Le Duc d’Epernon


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Le Duc d’Epernon

Jean-Louis de Nogaret de la Valette, duc d'Epernon s'était vu attribuer, en qualité de favori du roi, de nombreuses charges par Henri III et entre autres le gouvernement de l'Angoumois. Il advint qu'il perdit. l'estime du monarque et, chassé de la cour, chercha refuge en Angoumois. Aussitôt la nouvelle connue, des ordres furent donnés par Henri de Guise, qui n'avait pu gagner d'Epernon à sa cause, et le maire de la ville d'Angoulême, Normand de Puygrelier, fut chargé d'empêcher le gouverneur d'entrer dans la citadelle. Mais le duc y était déjà depuis trois jours lorsque Puygrelier en fut informé. Un beau-frère du maire, nommé Souchet, alla trouver à la cour le ministre Villeroi, ennemi personnel du duc, et obtint l'ordre d'arrêter d'Epernon et de le conduire immédiatement à Blois où se tenait la cour pour la convocation des États Généraux (1588). A son retour, Souchet organisa le complot et fit valoir près de la population, en majorité dévouée à la ligue, que d'Epernon était un ennemi dangereux pour les catholiques, puisqu'il pactisait avec le roi de Navarre. On profita du moment où le pont-levis était baissé afin de laisser passer la femme du duc, Marguerite de Foix-Candale, qui se rendait à la messe à l'église des Cordeliers, pour faire entrer une quarantaine d'hommes, précédés du maire et de Souchet. Le corps de garde fut attaqué et désarmé. Puygrelier avança dans la cour du château, suivi de ses aides, et se dirigea vers la chambre où le duc faisait sa toilette. En traversant un couloir, il rencontra un groupe de gentilshommes qui lui barrèrent le chemin; des coups de feu furent échangés et le maire reçut une balle dans la tête. Au bruit des fusillades, d'Epernon appela ses serviteurs aux armes, fonça sur les soldats commandés par Souchet, puisqu'on venait d'emporter Puygrelier mourant, les repoussa, et Souchet fut blessé. Aussitôt, on sonne le tocsin, le peuple s'arme, vient se placer près du château, pendant qu'un groupe arrête la duchesse à la sortie de la messe. En apprenant la mort du maire et la blessure de Souchet, le peuple décide d'enfumer le duc. Déjà les torches brûlent, lorsqu'on apprend l'arrivée de François de La Rochefoucauld et de Gaspard Foucaud-Beaupré envoyés à la tête de leurs troupes par le roi de Navarre. En un instant, les conspirateurs disparurent. Henri IV maintint d'Epernon dans ses charges et dignités parce qu'il comptait sur lui pour l'aider contre les ligueurs. Lorsque Ravaillac commit son crime, d'Epernon était dans le carrosse de Henri IV. Aussitôt il ramena le roi mourant, se rendit immédiatement au Louvre, enveloppa avec ses soldats le couvent des Augustins où siégeait le parlement et le mit en demeure de déférer le titre de régente à Marie de Médicis. La reine-mère, lors de son voyage à Bordeaux pour le mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche (1615), passa à Angoulême; d'Epernon et les bourgeois de la ville, cuirasse sur le dos, casque de cuir en tête et pique en mains, l'accueillirent avec enthousiasme; pendant trois jours, ce ne fut que fêtes et plaisirs. C'est encore d'Epernon qui, en 1619, fit évader de Blois Marie de Médicis, qui y avait été exilée par Luynes, pour la ramener à Angoulême. Pendant ce séjour, un complot fut ourdi par Jean Poussy papetier à Limoges, qui, sans haine personnelle et seulement pour se donner un nom dans l'histoire, avait projeté de faire brûler le château, ses hôtes et même la ville. Pour réussir, il se proposait de faire sauter l'arsenal contigu à la maison du duc, la torchère était déjà allumée lorsque Poussy fut arrêté, subit la question et fut décapité. La reine-mère effrayée se sauva et alla chercher asile dans la maison de Guez, père de Balzac.


La révolte des Angoumois

La révolte des Angoumois


La légende du Taufbrunnen
Angoulème

La Cour étoit occupée de ces intrigues, lorsqu’on y reçut la nouvelle d’une conjuration qui avoit éclaté à Angoulême contre le Duc d’Epernon, qui manqua d’en être la victime. Nous avons vu que les Ordres du Roi qui défendoient de recevoir le Duc dans cette Ville, ni de l’y reconnoître , y étoint arrivés trop tard. Quelques Bourgeois qui n’aimoient pas ce Duc, se persuaderent trop légèrement, qu’ils rendroient fervice au Roi, en chassant d’Epernon de leur Ville. Ils envoyèrent à la Cour un homme de confiance, qu’ils adressèrent à Villeroi, pour savoir premièrement de lui, quelles étoient les véritables intentions de Sa Majesté, et l’assurer qu’ils se sentoient assez de courage pour chasser le Duc de leur Ville, et même l’arrêter Prisonnier, quoiqu’il demeurât toujours dans le Château, Place sûre et bien fortifiée. Villeroi ennemi du Duc, et qui avoit expédié les ordres dont on vient de parler, crut que la circonstance et les ordres du Roi s’accordoient parfaitement, et goûta les propositions de cet homme. Il la communiqua au Roi, qui commençant à se défier de lui, ne voulut pas lui déclarer nettement sa volonté. Mais afin qu’il ne pénétrât point ses véritables sentimens, qui étoient toujours les mêmes pour le Duc d’Epernon, il lui répondit froidement : qu’il ne seroit pas fâché de voir ce Seigneur chassé d’Angoulême, et même qu’on le conduisît prisonnier à son Armée, pourvu qu’on n’attentât point à sa vie. Le Secrétaire d’Etat saisit avec ardeur cette réponse, et la rendit au Député des Conjurés : Cet homme fut même introduit quelques jours après dans le Cabinet du Roi, qui se contenta de lui dire, de s’en tenir aux ordres qu’il recevroit du Secrétaire d’Etat. Villeroi ne voulut à la vérité lui en donner aucun par écrit ; mais, il lui dit, que l’intention du Roi étoit qu’ils fissent tous leurs efforts, pour ôter le Gouvernement de leur Ville au Duc d’Epernon et même pour l’arrêter, et qu’ils rendroient en cela un service essentiel à Sa Majesté.
Les Conjurés encouragés par le rapport de Villeroi, très-différent de l’indifférence qu’avoit marqué le Roi, par l’exagération que leur fit leur Député de tout ce qu’il avoit vu et entendu, comme c’est la coutume en pareil cas, se crurent capables d’exécuter leurs promesses, et projetterent de prendre le Duc d’Epernon, mort ou vif. Ils communiquèrent leur dessein aux Seigneurs de Méré, de la Messeliere, au Vicomte d’Aubeterre, et à quelques autres Gentilshommes du Pays. Le dixième d’Août, Fête de Saint Laurent, ils prirent les armes, coururent tout-à-coup au Château, et s’étant emparés de la porte, où l’on n’étoit point sur ses gardes, ils pénétrèrent jusques dans les Appartemens les plus reculés du Duc, et y attaquèrent ses Domestiques qui étoient dans l’Anti Chambre, tandis qu’il s’entretenoit dans sa Chambre avec Marivaux et l’Abbé d’Elbene. Les Domestiques du Duc d’Epernon se défendirent avec vigueur, malgré leur petit nombre. Raphaël Jeronimi Florentin, défendit long-temps la porte, et tua trois des Conjurés ; mais il fut enfin tué lui-même d’un coup de pistolet. Sorbin, Chirurgien du Duc, prit aussi-tôt sa place, et se comporta bravement. Quoique dangereusement blessé, il arrêta les efforts des assaillans, en appellant à haute voix à son secours les autres domestiques qui étoient dans les chambres basses ; enfin il donna le temps au Duc, et à ceux qui l’accompagnoient, de barricader la porte de sa chambre avec des cassettes et des coffres, et tout ce qui se présenta, pour défendre leur vie, contre une attaque si inopinée. Pendant qu’on combattoit à la porte de l’anti-chambre, ses Gentilshommes ayant à leur tête Lancelot de Nores, Noble Cypriot , et jugeant par le bruit de ce dont il s’agissoit, avoient pris les armes et regagné la porte du Château que Dambleville et Lartigues se chargèrent de garder. Les autres montèrent dans les escaliers, et ayant trouvé les Conjurés qui s’efforçoient d’enfoncer les portes de la chambre, ils les passèrent tous au fil de l’épée, à l’exception d’un des Consuls de la Ville qu’ils firent prisonnier. Le Duc sortit de son appartement, prit ses armes, et se présenta courageusement avec ses amis pour défendre le Château, il descendit dans la cour où le tumulte redoubloit. Le frère du Consul y étoit déjà entré, après avoir escaladé les murs avec quelques gens armés, pour secourir les siens, le Duc les attaqua avec vigueur, et tua leur Chef de sa propre main.. On y prit encore cinq des principaux Bourgeois qui l’avoient suivi, et l’on arrêta ainsi la fureur des Conjurés.
Cependant tout le Peuple s’étoit soulevé dans la Ville au son du Tocsin, les principaux avoient arrêté la Duchesse d’Epernon, qui, sans se douter de rien, étoit venue entendre la Messe dans la Cathédrale. Les Habitans recevoient à chaque instant des renforts de la Noblesse qui accouroit de toutes parts pour seconder leur projet. Enhardis par ces secours, ils poussèrent des Barricades pour attaquer le Château. Mais le Duc les fit menacer, s’ils usoient de la moindre violence, de faire mourir ses prisonniers, qui étoient des premières familles de la Ville. Il tint par ce moyen le Peuple en bride, jusqu’à ce que Tagent arriva avec ses troupes. Il avoit ses quartiers dans le voisinage, et accourut promptement au bruit qu’on entendoit de loin dans la Campagne. Son arrivée intimida le Peuple ; et les Chefs des Conjurés déconcertés, convinrent enfin, par l’entremise de l’Evêque d’Angoulême et de l’Abbé d’Elbene, que les Prisonniers seraient relâchés. La Duchesse fut pareillement remise en liberté ; les Gentilshommes qui avoient trempé dans la conspiration, sortirent de la Ville, et le Duc fut reconnu comme auparavant Gouverneur au nom du Roi. C’est ainsi que le Duc d’Epernon, autant pas sa modération, après l’accommodement, que par sa valeur à se défendre, étouffa cette dangereuse conspiration , qui manqua de l’accabler lorsqu’il s’en doutoit le moins.
La nouvelle de cet événement acheva d’indisposer Sa Majesté contre Villeroi. Henri ne put se persuader que, si le Ministre eût rapporté précisément au Député des Habitans d’Angoulême, la réponse froide et ambiguë qu’il avoit lui-même faite à leur proposition, ils n’auroient jamais eu l’audace d’attenter à la vie du Duc, malgré la défense expresse qu’il leur en avoit faite. Il conclut que Villeroi s’étoit prévalu de la circonstance pour satisfaire l’inimitié déclarée, et assouvir la haine implacable qu’il portait au Duc d’Epernon. Cette pensée lui fit déplorer son sort, de se voir ainsi entouré de Ministres qui n’écoutoient que leurs passions et leurs intérêts particuliers.

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