Le marquis de Sade.

Rassurez-vous, c’est n’est pas l’apologie
du « Divin Marquis » que vous lirez dans ces lignes, mais cette
personne, hors du commun, a laissé dans l’histoire de notre pays
une place trop particulière pour passer sous silence l’existence
de ce personnage dont les mœurs dépravés ont défrayé les chroniques
de l’époque.
Le sol d'Arcueil est crayeux; mais, près de
l'aqueduc, plusieurs parcs que baigne la Bièvre se distinguent par
la richesse de leur végétation. Un de ces parcs dépendait d'une
maison appelée l’Aumônerie, où demeurait le marquis-de Sade. Donatien-Alphonse-François,
marquis de Sade, appartenait à une ancienne famille du Comtat Venaissin.
Son père, Jean- Baptiste-François-Joseph, était comte de Sade, seigneur
de Saumane et de la Coste, capitaine de dragons au régiment de Condé,
lieutenant-général des provinces de Bresse, Bey, Gex et Valromey.
Sa mère, Marie-Éléonor de Mailhés, était dame de compagnie de la
princesse de Condé.
Dans cette famille, qui compte parmi ses
membres Laure de Noves, amante de Pétrarque; Jean de Sade, juge-mage
et chancelier de Provence; Pierre de Sade, premier viguier triennal
de Marseille; Hippolyte de Sade, chef d'escadre pendant la guerre
de l'indépendance américaine; l'abbé de Sade, auteur de travaux
sur les littératures italiennes et provençales; le fils aîné prenait
le titre de marquis.
Ce fut avec ce titre que le jeune Donatien,
après des études sommaires au collège Louis-le-Grand, entra dès
l'âge de quatorze ans aux chevau-légers, conquit le grade de capitaine
pendant la guerre de sept ans, et revint à Paris, en 1760, pour
épouser Mlle de Montreuil, fille d'un président à la cour des aides.
À partir de cette époque, l'imagination dévergondée du marquis conçoit
des projets d'orgies où le sang coule avec le vin, où les chants
des buveurs et des bacchantes ont pour accompagnement les lamentations
des victimes.
Ses premières infamies ne font point scandale;
mais le 3 avril 1708, il rencontre sur la place des Victoires une
femme nommée Rose Keller, veuve d'un garçon pâtissier. Il l'emmène
dans sa maison d'Arcueil, où deux femmes de mauvaise vie l'attendaient
pour souper. Là elle fut dépouillée de ses vêtements, fustigée sans
pitié, et laissée demi-morte dans un grenier. Au point du jour,
elle s'en échappa en sautant par la fenêtre, et sur ses plaintes
une instruction fut dirigée contre le marquis. Mais, comme le fait
remarqué Mme du Deffand, dans une lettre à Horace Walpole, il appartenait
à des gens assez considérables et en crédit. Pour le soustraire
à un décret de prise de corps lancé par la chambre de la Tournelle,
Louis XV l'envoya an château de Saumur, et de là à Pierre-Encise;
mais au bout de six semaines, le marquis obtint des lettres d'abolition,
par ces motifs que le crime dont il s’était rendu coupable était
d’un genre non prévu par les lois, et que l'ensemble en présentait
un tableau si obscène et si honteux, qu'il fallait en éteindre jusqu'au
souvenir.
Le marquis de Sade va vivre dans son domaine de la
Coste, avec sa belle-sœur qu'il avait séduite. Au mois de juin 1772,
pendant une nuit de débauche, il prodigue à des filles des drogues
excitantes de telle nature que deux de ces malheureuses expirent,
et que le parlement d'Aix le condamne à mort comme empoisonneur.
Il s'enfuit en Piémont, où de nouveaux désordres le font enfermer
dans la citadelle de Miolans : il s'en échappe, et, après avoir
mené une vie errante pendant plusieurs années, il comparaît devant
le parlement d'Aix, qui, par un arrêt du 30 juin 1778, annule son
premier jugement pour défaut absolu d'existence du délit présupposé
d'empoisonnement. Néanmoins, à la requête du procureur général,
le marquis, reconnu coupable de débauche outrée, fut condamné à
être admonesté par le premier président, à payer une amende de 50
francs et à s'éloigner de Marseille pendant trois ans. L'avocat
qui plaida pour lui était Siméon, qui devint plus tard un des grands
personnages de l'empire.
Moins indulgent que la magistrature
provençale, le gouvernement comprit qu'on ne pouvait laisser vaguer
un homme aussi dangereux, et l'enferma à Vincennes, d'où il fut
ensuite transféré à la Bastille, puis à l'hôpital de Charenton.
Pendant une captivité de treize ans, le marquis de Sade composa
une multitude d'ouvrages: Aline et Valcour ; Oxtiern ou les Dangers
du libertinage, comédie en trois actes, qui fut jouée avec succès,
en 1791, sur le théâtre Molière; Justine ; le Magistrat du temps
passé, comédie en cinq actes et en vers; Juliette ; Jeanne Laisné
ou le Siège de Beauvais, tragédie en cinq actes ; l'Homme dangereux
ou le Suborneur, comédie en un acte et en vers ; les Crimes de l'Amour
ou le Délire des passions ; Henriette et Saint-Clair ou la Force
du sang, drame en cinq actes. Celles de ses productions qui sont
raisonnables et décentes n'auraient point fait passer le nom de
leur auteur à la postérité ; mais il est resté célèbre par les horribles
théories qu'il développa dans Justine et Juliette, livres qui se
vendaient publiquement sous le Directoire, et dont un exemplaire
doré sur tranche fut adressé à chacun des directeurs. Toutes les
lois divines et humaines y sont niées et foulées aux pieds ; les
horreurs les plus répugnantes y sont complaisamment étalées : c'est
l'œuvre d'un assassin qui, dans ses fêtes nocturnes, pour réveiller
ses sens blasés, rêve des tortures et des supplices.
On conçoit
que tous les gouvernements, sauf celui de Barras, aient poursuivi
l'auteur de ces monstrueuses infamies.
En1803, il fut reconduit
à Charenton, où il mourut le 2 décembre 1814. Son souvenir néfaste
se rattache aux plus frais ombrages du village d'Arcueil.
Ce texte provient de Émile de Labédollière - Histoire des environs
du nouveau Paris - Gallica

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