Aux Services de sa Majesté - D'Artagnan
En 1646, d’Artagnan entre au service de Mazarin,
alors Premier Ministre de la France, pendant cette période difficile
de transition entre Louis XIII et Louis XIV, appelée « la Régence
». Un autre gascon, Besmaux, est également attaché au Cardinal.
La même année, la Première Compagnie des Mousquetaires est dissoute.
… Mazarin se constituait une clientèle de partisans. Le cardinal
avait besoin d’hommes en qui il put avoir une totale confiance,
d’hommes qui le serviraient avec une fidélité aveugle, car espérant
tout de lui. Deux jeunes gentilshommes étaient de ceux-là : François
de Monlezun, sieur de Besmaux, et Charles de Castelmore d’Artagnan.
Colbert a dit que d’Artagnan fut une créature de Mazarin ; rien
n’est plus vrai. C’est vers 1646, semble-t-il que d’Artagnan lia
sa fortune à celle du cardinal en devenant, en même temps que Besmaux,
l’un de ses gentilshommes.
Avec quelques autres, ils firent
partie des « gentilshommes ordinaires » de Son Eminence ou, comme
on disait également à l’époque de ses « domestiques » sans qu’à
ce terme fut attachée une quelconque nuance de mépris. Leur rôle
tenait à la fois de l’estafette, chargée de porter les dépêches
les plus importantes et de l’agent politique. C’étaient des partisans
pleinement engagés au service du cardinal, qui poursuivaient une
mission de soldats itinérants, annonçant les mouvements de troupes,
renseignant leur maître sur l’activité des ses ennemis, recrutant
des soutiens, etc.
Il semble cependant que les deux hommes n’étaient
pas grassement payés pour leurs services, car le cardinal n’avait
pas la bourse généreuse. C’est Courtilz qui fait ainsi parler d’Artagnan
à ce propos :
Nous languîmes longtemps devant que de voir réussir
nos espérances. Loin de nous faire le bien que nous prétendions,
tout ce que cette nouvelle qualité nous procura fut qu’il nous employa
à des courses pour récompense desquelles il nous fit donner des
ordonnances, tantôt de cinq cents écus, tantôt de cent pistoles
et tantôt moins. Or, comme il fallait en dépenser une bonne partie,
ce qui nous en restait était si peu de chose que nous sentions toujours
ce que nous étions. Je veux dire par là que si nous avions des bas,
nous n’avions pas de souliers…
Si d’Artagnan ne fait pas fortune,
il sert tout de même Mazarin avec zèle et obéissance. Le cardinal
lui confie d’ailleurs des missions délicates que seul un homme intelligent
et de confiance pouvait accomplir. Celui-ci ne devait cesser de
galoper d’un bout à l’autre de la France et à l’étranger, pour porter
les instructions et lettres de Mazarin. Mais on se tromperait grandement
en ne voyant alors, en Artagnan, qu’un simple courrier. Si Mazarin
avait choisi d’infatigables chevaucheurs capables de braver tempêtes
et dangers, il leur demandait aussi d’être les interprètes de sa
pensée et de sa volonté. Ils n’avaient pas seulement à transmettre
des plis, ils devaient être capables de les compléter par des explications
orales, de recevoir des renseignements, de se faire une idée des
situations et des hommes. Enfin, alors que Mazarin était entourés
d’ennemis acharnés à sa perte, ces envoyés devaient être des fidèles,
attachés à la fortune du cardinal et inaccessibles à tout débauchage.
On le retrouve à Courtrai, Voici d’Artagnan
chevauchant sur les routes des Flandres, où la guerre fait rage
contre l’Espagne et l’Empire des Habsbourg. Il doit constamment
faire la navette entre la cour et les places fortes de la frontière,
suivre les mouvements des troupes, les déplacements des ennemis,
capter des informations sur leurs desseins, tous renseignements
qu’il faut transmettre aussitôt à son maître. De son côté, le cardinal
lui confie les ordres à porter aux chefs des armées ou aux gouverneurs
des places concernées.
Ou encore à Péronne, Mémoire à M. d’Artagnan,
s’en allant à Péronne, le 9 juin 1648 Le sieur d’Artagnan dira à
M. d’Hocuqincourt que l’on a eu avis de Bruxelles que les ennemis
assemblent environ trois mil hommes dans le Hainaut pour tenter
quelque surprise sur nos places frontières ou pour faire diversion,
entrant en France par quelque endroit que je ne sais point. C’est
pourquoi il dira au dit sieur d’Hocquincourt qu’il se tienne sur
ses gardes, et le priera de donner part de cet avis aux autres gouverneurs…
Archives du Ministère des Affaires Etrangères.
De son côté,
Mazarin n’est pas en position de force. Ses détracteurs se font
de plus en plus nombreux et l’événement fâcheux de la Fronde se
profile à l’horizon. D’Artagnan lui témoigne alors les plus grandes
marques de fidélité. La haine contre Mazarin atteignait son paroxysme.
On lui reprochait de poursuivre une guerre inutile avec l’Espagne
et l’Empire, de dilapider les deniers publics. Les corps constitués
s’agitaient. L’ordre d’arrestation de trois parlementaires, Charton,
Blancmesnil et Broussel, le 26 août 1646 déclencha la Fronde… Chaque
jour, le nombre des ennemis du cardinal grossissait. La majeure
partie de la grande aristocratie provinciale , bridée par Richelieu,
mais encore infatuée de préjugés féodaux, relevait la tête bien
décidée à faire valoir ses droits oubliés.
D’Artagnan est, en effet, mêlé à tous les
événements de cette période particulièrement agitée. Homme de confiance
de Mazarin en ces temps de Fronde, il reste aussi fidèle à la reine
Anne d’Autriche et au jeune roi Louis XIV, garde son sang froid
pendant les premiers soulèvements populaires de la journée des Barricades
du 26 août 1646.
. Alors que certains de leurs anciens compagnons
suivaient les insurgés, lui-même (d’Artagnan) et son ami Besmaux
continuaient à servir la monarchie, à l’instar du maréchal de Gramont.
Ils accompagnaient le roi, la reine et le cardinal dans leurs périples
à travers la France, destinés à apaiser les troubles.
Quant
à d’Artagnan, agent du cardinal, il se démenait, allant toujours
d’une mission à l’autre. Pourquoi tant de fidélité obstinée à un
parti qui semblait s’écrouler, alors qu’il eut été facile de se
ranger aux côtés de Condé ou de ses amis, les « petits maîtres »
comme on les nommait ? …. Non, le héros de roman, brave et vaillant
à souhait, n’hésite pas ! … Il part comme le Capitaine Fracasse,
à la recherche d’un idéal chimérique. Embrochant le traître, pourfendant
la canaille, il gagne, il triomphe en évitant les pires embûches…
D’Artagnan resta un homme obstinément fidèle à sa reine, au cardinal
abhorré et à la monarchie chancelante, ce qui, somme toute, valait
bien les héros brouillons et agités de la Fronde.
Mazarin ayant
été forcé de quitter le royaume (mars 1651), d’Artagnan lui sert
d’émissaire, soit auprès de l’électeur de Cologne, soit auprès de
Colbert et des autres amis fidèles restés en France. Le 3 avril,
le cardinal en exil écrit d’Aix-la-Chapelle à Anne d’Autriche :
« J’ay envoyé Artaignan à Bonne faire mes complimens à M. L’Electeur
et luy demander quelque chasteau pour ma retraite, car le nonce
ne m’a nullement conseillé d’aller à Cologne, où le peuple est extrêmement
brutal. Je croy que je pourray demeurer à Leischnik ou à Bruel qui
sont à deux lieues de la dite ville, l’un en delà et l’autre en
deça. » Le choix de Mazarin s’arrêta en définitive sur Brühl, d’où
il prépara sa rentrée en France.
Pendant ce temps les frondeurs continuent
leurs offensives et Mazarin devient de plus en plus impopulaire.
Les hommes qui le servent ne sont pas à l’abri du danger. A Paris,
il ne faisait pas bon d’étaler des sentiments trop cardinalistes.
Sur le Pont-Neuf, on affichait le « tarif dont on est convenu pour
récompenser ceux qui délivreront la France du Mazarin » (…) Inlassable,
méprisant le danger, d’Artagnan parcourait la campagne lorraine
et champenoise de Brühl à Paris, de Paris à Brühl. Il lui fallait
beaucoup d’adresse pour déjouer les soupçons, trouver des relais
sûrs, éviter les grandes routes et les attroupements de soldats,
échapper aux patrouilles, galoper parfois à travers les champs…
« Je vous prie de dire à d’Artagnan qu’il me revienne toujours
et prenne ses précautions afin qu’il ne lui arrive pas quelque malheur.
Au nom de Dieu, prenez aussi les vôtres car si tout le monde savait
à quel point vous êtes Mazarin, je crois que vous feriez mal vos
affaires. » Lettre de Mazarin à Basile Fouquet du 11 janvier 1652
: Le cardinal appréciait l’efficacité et le courage de d’Artagnan.
« Etre Mazarin » n’était pas facile en ces années-là, alors qu’un
arrêt du Parlement promettait une récompense considérable à qui
arrêterait Son Eminence et le livrerait à la justice. On venait
de commencer à mettre en vente sa bibliothèque. Les « Mazarinades
» aux propos diffamatoires et orduriers contre le cardinal et contre
la reine inondaient la capitale.
Et d’Artagnan sert à nouveau
le cardinal durant son deuxième exil. Encore et toujours sur les
routes, il assure les liaisons entre Mazarin et ceux qui lui restent
attachés. Mais, la Fronde menée par le Prince de Condé commence
à lasser le peuple. Voici Condé maître de Paris, cependant que la
Roi et la Reine mère et Mazarin en restent exclus et doivent demeurer
à Compiègne. Mais le séjour de Condé et de son armée à l’intérieur
de Paris y provoque bientôt un tel état d’anarchie que les Parisiens,
excédés, en viennent à prier le Roi et la Reine de rentrer à Paris.
Toutefois, point de Mazarin ! Cette condition, Anne d’Autriche se
refuse à l’admettre. Mais, plus avisé, le cardinal lui conseille
d’en passer par là. Et pour bien montrer qu’il ne veut pas être
le seul obstacle à la paix, il a l’habileté de paraître se sacrifier
en s’exilant pour la seconde fois. (…) Et navettes d’Artagnan de
reprendre. .
Peu de temps après, c’est à dire en octobre 1652,
le Roi rappelle Mazarin mais ce dernier se fait attendre, laissant
les troubles et les esprits s’apaisaient. Il ne retourne à Paris
qu’en février de l’année suivante, escorté par d’Artagnan et… acclamé
par la foule ! Au fur et à mesure que l’on approchait de la capitale,
une foule de plus en plus dense s’amassait sur les routes pour acclamer
l’Italien de retour. Après les années sombres de la Fronde, c’était
l’apothéose. Le 2 février, à Paris, les rues étaient si noires de
monde – malgré la densité de la pluie – qu’on se demandait comment
le cortège pourrait se frayer un chemin dans une telle marée humaine.
Versatile et bouillant peuple qui, quelques mois plus tôt, criait
encore fort contre le Mazarin, brûlait son effigie et conspuait
ses partisans !
C’est ainsi que Mazarin rentra victorieusement
à la cour, et d’Artagnan avec lui. Notre Gascon y avait gagné d’abord
de se dire qu’il avait misé vraiment sur la bonne carte – ce qui
ne laisse jamais aucun homme de sa race indifférent – mais il commençait
aussi à en retirer de plus tangibles avantages. Le cardinal n’était
pas si ingrat qu’on s’est plu à l’en accuser, à l’égard de ceux
qui le servaient bien.
Ces années d’abnégation, de bons et loyaux
services, et surtout de fidélité inconditionnelle à Mazarin et à
la royauté qu’il représentait, scellent l’avenir de d’Artagnan tant
auprès du Cardinal que du jeune roi. Louis XIV, adulte, restera
profondément marqué par l’épisode de la Fronde, synonyme de trahison.
Il se souviendra d’un homme comme d’Artagnan qui n’a pas failli
durant cette période.
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