Le Grand Hiver de 1709

Les difficultés économiques de la France
avaient déjà commencé dès 1672, mais elles culminèrent en 1709.
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte, et d'abord l'état
de guerre permanent qui avait fait augmenter les prélèvements fiscaux
et ralentir considérablement l'activité économique du royaume. La
France était alors engagée dans la guerre de Succession d'Espagne,
entamée depuis 1701. Au cours de l'année 1708, les armées françaises
commençant à s'épuiser, à bout de forces, furent repoussées de toutes
parts.
Les finances du royaume étaient au plus bas, suite en
partie à l'échec de la Hougue qui est une rade au nord est du département
de la Manche, près de laquelle Anne de Cotentin, comte de Tourville,
combattit sous l'ordre exprès de Louis XIV malgré l'infériorité
de ses cadres; il perdit glorieusement un combat contre les flottes
de l'Angleterre et de la Hollande après un jour de lutte en 1692.
A cela s'ajoutait l'émigration de quelques 300 000 protestants suite
à la révocation de l'édit de Nantes en 1685, départs oh combien
lourds de préjudices puisqu'ils causèrent de nombreuses suppressions
d'activités.
Comme si les problèmes internes et externes du
royaume ne suffisaient pas, la France dut subir les caprices du
temps, partageant les années 1692-1713 entre étés extrêmement pluvieux
ou accablés par la sècheresse (années 1705,1706 et 1707), et des
hivers tout aussi rigoureux. Curieusement, l'hiver de 1708 fut très
doux puisqu'on relevait à Paris en plein décembre 10°C ! La première
vague de froid eut lieu dans la nuit du 6 janvier 1709. Par bonheur,
la neige l'accompagnant, les cultures et autres récoltes furent
épargnées par le gel. En 24 heures cette vague de froid s'étendit
sur toute la France: on releva ainsi -25°C à Paris, -17°C à Montpellier
ou encore -20,5°C à Bordeaux ! La Seine gela progressivement et
on raconte que la mer elle-même commençait à geler sur plusieurs
kilomètres de largeur ! Le froid n'épargnait personne, et que ce
fut à Versailles ou dans la plus petite chaumière de la France profonde,
tout le monde grelotait.
Au château de Versailles, Louis XIV
se voyait contraint d'attendre que son vin daigne bien dégeler près
du feu, ce dernier se figeant rien qu'en traversant une antichambre
! Les oiseaux tombaient en plein vol, les animaux succombaient de
froid au sein des étables et le prix du blé ne cessait de grimper.
Il valait huit fois plus cher que l'année précédente. Tout les végétaux
se mirent à dépérir, le sol gelant sur plusieurs mètres de profondeur;
les oliviers, les vignes, et autres arbres fruitiers furent perdus
pour plusieurs années. Les cheminées chauffaient mal et nécessitaient
un important apport de bois, de toute façon beaucoup trop cher pour
la population, laissant ainsi le vent glacial s'engouffrer dans
les habitations, faisant descendre la température jusqu'à -10°C.
Partout en France on allumait de grands feux pour que les plus
démunis puissent s'y réchauffer. Lorsque le dégel eu lieu en avril,
le constat fut épouvantable, toutes les récoltes étaient pourries.
Le 23 avril, par arrêté royal, Louis XIV autorisa à ressemer chaque
parcelle de terrain. Les villes et communes taxèrent les bourgeois
et les "riches" mensuellement pour pouvoir parer au plus pressé
: la faim et le manque de nourriture.
Tout le clergé en appela
à la charité et à l'aumône. Hélas la famine se faisant ressentir,
des émeutes et pillages commencèrent à avoir lieu dans tout le pays
et les troupes furent envoyées dans toute la France pour empêcher
les vols dans les boulangeries. Les paysans étaient contraints de
se nourrir, pour les plus chanceux, de pains faits de farines d'orge
et d'une sorte de soupe populaire faite de pois, de pains coupés
en morceaux et de graisse... Pour les autres, ce n'était que racines
et fougères.
Soucieux de retrouver le calme et de chasser le
spectre de la disette, Louis XIV fit fondre sa vaisselle d'or et
invita tout les courtisans à en faire autant. Les dons n'affluant
pas, il eut la brillante idée de se faire communiquer les noms des
donateurs, ce qui eut pour effet de mobiliser toute la noblesse.
Mais le monarque ne s'arrêta pas là, puisqu'il alla même jusqu'à
favoriser la piraterie. De ce fait, plusieurs dizaines de navires
céréaliers accostèrent en rades de Marseille et de Toulon, ce qui
arrêta en partie la propagation de la famine. Mais l'été revenu,
tous les vagabonds, paysans et autres gens sous-alimentés et affaiblis
qui étaient partis sur les chemins de France pour tenter de trouver
de quoi se nourrir et travailler contribuèrent à la prolifération
des maladies créant ainsi de grandes épidémies de dysenteries, de
fièvres typhoïdes ou encore de scorbut.
La France subira ainsi
une crise démographique sans pareil puisque l'on constate qu'entre
le premier janvier 1709 et le premier janvier 1711, la population
diminua de 810.000 habitants sur une population globale de 22 millions
de Français!

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