Le Combat des Trente
Le Combat des Trente
Il est au centre de la Bretagne un petit pays
nommé le pays de Porhoët, apanage , au dixième siècle, des puinés des
comtes de Rennes. Si les seigneurs de Porhoët ne se qualifièrent pas
rois comme ceux d' Yvetot, et s' ils se contentèrent du titre de comte,
ils n' en exerçaient pas moins des droits souverains dans leur comté.
Ils donnèrent même de vrais rois a des contrées plus célèbres ; en effet,
Porhoët passa, au treizième siècle, de la maison de Fougères dans celle
de Lusignan, dont plusieurs membres occupèrent, comme l' on sait, les
trônes d' Arménie, de Chypre et de Jérusalem. Au quatorzième siècle,
Philippe-le-Bel confisqua le comté de Porhoët sur Guy de Lusignan comte
de la Marche et d' Angoulême, et, en 1570, Pierre de Valois, comte d'
Alençon, le vendit au connétable de Clisson, dont la fille l' apporta
en mariage aux Rohan, qui en jouissent encore en partie. Il faut reconnaitre
au moins que si le coin de terre qui nous occupe ne fut pas très-célèbre
par lui-même, il le fut par ses possesseurs, qui tiennent plus de place
dans l' histoire que le pays de Porhoët sur la carte de France.
Le combat des Trente
Au milieu du XIVème siècle, le
château de Josselin appartient au domaine royal et Jean de Beaumanoir
en est le capitaine. En peine guerre de Succession, Josselin, soutien
la cause de Charles de Blois ; le parti de Jean de Montfort tient
Ploërmel où commande l' Anglais Bemborough, dit Bembo. Les deux
chefs arrange un combat qui mettra en présence trente chevaliers
de chaque camp ; on se battra à pied, en usant de l' épée, la dague,
la hache et de l' épieu. Après avoir communié, la troupe de Beaumanoir
se rend au lieu de la rencontre. Le camp adverse compte vingt Anglais,
sis Allemands et quatre Bretons. La journée se déroule en corps
à corps acharnés jusqu' à l' épuisement des combattants. Josselin
est vainqueur : la capitaine anglais est tué avec huit de ses hommes,
les autres sont faits prisonniers. Au cours de la lutte, le chef
breton, blessé, demande à boire : " Bois ton sang, Beaumanoir, la
soif te passera !" réplique Geoffroy de Bouays, l' un de ses rudes
compagnons.
Je venais de visiter Josselin, capitale de Porhoët
et l' un des châteaux du fameux connétable, et je me rendais a Ploërmel
pour y dessiner les tombeaux de deux de nos ducs, lorsque la silhouette
d' un de ces nombreux menhirs qui couvrent les landes du Morbihan m'
apparut sur le bord de la route. Je crus d' abord reconnaitre dans cette
pierre un de ces blocs granitiques élevés par les Celtes pour célébrer
une gloire ou un nom a nous inconnus ; et, eu effet, c' était bien a
la fois et un mémorial d' honneur et un monument funèbre que j' avais
devant moi ; seulement y les héros dont il recouvre la dépouille ne
sont point oubliés ; les siècles ont bien passé sur eux, mais, plus
heureux que les héros d' Ossian, il ne s' écrieront point en vain :
0 pierres, de concert avec les chants des bardes, Préserverez-vous mon
nom de l' oubli ? (1).
Le combat des Trente
Bannerets, bacheliers et trestous nobles
homs,
Evesques et abbés, gens de religion,
Héraulx et ménestrels
et tous bons compagnons,
Gentilshoms et bourgeois de toutes
nacions,
Escoutez cet roman que dire nous voulons.
L' histoire
en est vraie, et les ditz en sont bons
Comment trente Engloiz
hardix comme lions
Combattirent un jour contre trente Bretons.
Sy prie à celuy Dieu qui sa chair laissa vendre
Qu' il ayt mercy
des ames , car le plus sont en cendre.
Messire Jehan le sage,
le preux et le séné (sensé),
Vers les Engloiz alla pour parler
à seureté
Sy vit poiner chétifz, dont il oust grant pitié.
Ly un estoit en ceps (fersaux pieds)et ly aultre ferré,
Ly aultre en grésillons et ly aultre enchaisné
Deuxà deux, troisà
trois, chascun sy fut lié
Comme bœufs et mules que l' on méne
au marchié.
Quand Beaumanoir les veist, du cœur a soupiré
Sy a dist à Bembro par moult très grant fierté:
« Chevalier
d' Engleterre, vous faictes grand péchié
De travailler les pauvres,ceulx
qui sèment le blé
» Et la chair et le vin de quoy avons planté
(en abondance).
» Se laboureurs n' estoient, je vous dis mon
pensée,
» Les nobles conviendroicrt tavailler en l' airée (aux.champs),
» Au flaiel(fléau), à la houe et souffrir pauvreté,
» Et
ce seroit grant poine, quant n' est accoustumé.
» Paix aient
d' ores en avant, car trop ont enduré.
» Le testament Dagorne
est bientost oublié.»
Et Bembro sy respond par moult très grant
fierté:
« Beaumanoir taisez-vous ; de ce n' est plus parlé
» Montfort sy sera Duc de la noble Duchié
» De Pontorson à Nantes
jusques à Sainct Mahé
» Edouart sera Roy de France couronné,
» Engloiz auront mestrie (pouvoir) partout auront posté (puissanée)
» Maulgré tous les François et ceulx de leur costé.»
Beaumanoirs
repont :« Sachiez certainement.»
» Que ceulx qui le plus dient,
en la fin leur mesprent.»
» Songiez un aultre songe, cestuy est
mal songié.»
» Car jamais par telle voie n' en auriez demy pied.».
Dedans un moult beau pré séan tsur un cével (tertre) .
Mais ly
preux et ly sage feist ses dévotions
Et faisoit dire messes par
grands oblacions:
Ses compagnons appelle et chascun absolu,
Prinrent leur sacrementen nom du roi Jésu.
Beaumanoir où
es-tu?
» Les Engloiz s' y m' emmènent bléchié et dérompu.
»Je n' eus onques paour le jour que je t' ay veu;
» Se le
vray Dieu n' en pense par sa saincte vertu,
« Engloiz sy m'
emmèneron et vous m' aurez perdu.
» Beaumanoir jure Dieu qui
en croix fut pendu,
» Avant y aura-t-il maint rude coup féru,
» Et rompu mainte lance et percé maint escu;
» A ces paroles
tient le biau bran esmoulu,
» Cil qu' il attaint à coup est
mort ou abattu.»
Rends toy tost Beaumanoir, je ne t' occirai
mie,
Ains je feray de toy un présent à ma mie,
Car je luy
ay promis, ne luy mentiray mie,
Qu' aujourd' huy te mettray
en sa chambre jolie.
Bois ton sang, Beaumanoir, la soif te passera
!
Besoignez , Beaumanoir, car bien besoigneray.
(Extrait
d' un Poème de la Bataille des Trente.)
Je ne tardai pas, en approchant, à lire sur l'
une des faces de l' obélisque l' inscription suivante :
«
Vive le roi longtemps, Les Bourbons toujours ! Ici, le 27 mars 1351,
trente Bretons combattirent pour la défense du pauvre, du laboureur,
de l' artisan, et vainquirent des étrangers, que de funestes divisions
avaient amenés sur le sol de la patrie.»
Je saluai le
monument destiné a transmettre aux âges futurs les noms et la mémoire
de ces trente preux, et parcourant avec émotion la terre jadis rougie
de leur sang (2), je me promis de raconter quelque jour le combat des
Trente, l' un des plus brillants exploits chevaleresques de notre histoire,
dont la renommée remplit bientôt l' Europe, dont le grandiose rappelle
les combats de l' Iliade, dont les couleurs poétiques frappent encore
l' imagination et où la victoire fut disputée avec un tel acharnement
que Froissart, pour décrire un combat opiniâtre, ne manque pas d' ajouter
: On fi battit comme au combat des Trente.
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