Parler de Montpellier, c'est éveiller aussitôt
à l'esprit l'idée de sa Faculté de médecine. Des origines de la
ville à l'heure présente, l'Ecole tient, en effet dans la cité,
une place de premier plan. Et la question se pose aussitôt de comprendre
pourquoi et comment le plus ancien établissement d'enseignement
médical du monde actuel s'est constitué dans son enceinte.
A
l'écart des grandes voies de communications, vers l'Espagne ou l'Italie,
Montpellier n'est sur le trajet de nulle part, à moins d'emprunter
la voie transversale qui conduit de Toulouse à Tarascon.
Son
arrière pays, dans le bas Languedoc, est étroitement resserré entre
la mer et les Causses désertiques des Cévennes; Nîmes et Béziers
le bride de chaque côté. Sa population n'est que de très moyenne
importance. Enfin, son activité économique se borne à peu près exclusivement
au commerce du vin, tant la nature du terrain et du climat y sont
peu favorable à d'autres cultures. Il faut donc remonter dans le
passé pour trouver, dans l'histoire et jusqu'à la géologie, la clef
du problème.
Des Pyrénées au Rhône, entre les Cévennes et la
Golfe du Lyon, s'étale une bordure de terrains secondaire avec,
au centre, une cuvette tertiaire, de la rivière de l'Aude, à celle
de l'Hérault. A quelques kilomètres de distance de cette côte primitive
et assez découpée, des îlots volcanique ont surgi par la suite :
montagnes d'Agde, de Sète, croupe de Maguelone.
Plus tard, à l'époque quaternaire, les torrents
cévenols ont englobé les deux premier et constitué une longue dune
séparative qui forme un second rivage en bordure de mer. Ce lido
aride et sablonneux se constitue du côté du large par une plage
à pente très douce sous les eaux, tandis qu'il isole, vers les terres,
des étangs échelonnés bout à bout, que des graus (gradus), passages
étroits et sans profondeur, relient par intermittence à la mer.
De ces ilots ensablée, un seul à persisté plus longtemps; par comparaison
avec les autres les Phéniciens l'appelais :« Mégalé nésos» ou grande
île, encore que les dimensions du territoire de Maguelone nous paraissent
aujourd'hui minimes, puisqu'il mesure à peine vingt-sept hectare.
Elle aussi ne tarde pas à être réunie aux précédents par les alluvions
venus du Rhône, entraînés qu'ils sont par un courant marin dirigé
du fleuve vers l'occident.
Telle quelle, la côte du Bas-Languedoc
est plate et monotone, peu favorable au demeurant à la vie maritime,
sauf au voisinages des anciens îlots.
Pour les navigateurs, désireux
de renouveler leur provision d'eau potable, partout sur la côte
, il n'est que d'eau saumâtre, dont les infiltrations des étangs
rendent l'usage peu agréable : quelques puits seulement leur donnent
de l'eau douce émergeant, le long des terrains éruptifs, de nappe
d'eau, venues de fort loin. D'où la fréquentation, par les vaisseaux
de l'antiquité, de ces points privilégies et l'exclamation joyeuse
des Phéniciens : quelle bonne aubaine !« agathé thuké» qui a donné
son nom à l'un des îlots. Ainsi se constituent, dès l'antiquité,
ces deux villes : Agde et Maguelone; celle ci va prospérer davantage
du fait des facilités offertes à la navigation par l'existence du
Lez à ses portes : navigable, ce petit fleuve conduit vers la voie
romaine qui traverse la Gaule Narbonnaise. Prospère, par son activité
commerciale, entre les autres villes de cette province, elle le
demeure au morcellement de l'Empire Romain, et dès lors, après avoir,
pour un temps fait partie de la Septimanie, elle reste en Languedoc,
à travers les vicissitudes politiques, le seul port de la France
sur la méditerranée, puisque, jusqu'à l'acquisition tardive par
Louis XI, de la Provence et de Marseille, le Rhône va constituer
la frontière de la France avec le royaume d'Arles et le Saint Empirer
Romain Germanique; De fait, même aujourd'hui, de Beaucaire à Tarascon
la formule est resté de « Terre de royaume» et «Terre d'Empire».
Maguelone n'a pas qu'une importance commerciale.
C'est aussi un point stratégique, repaire de Sarrasins, au moment
de leurs incursions conquérantes. Leur nom est demeuré attaché à
l'un des graus qui coupent sur ce point le cordons littoral. Charles
Martel la fait raser en 737, sa cathédrale exceptée.
Ses habitants
se retirent à deux lieux de là dans l'épaisseur des terres, et tandis
que l'Evêque et son chapitre vont s'établir, cent ans durant, à
Substantion, l'antique Sexta Statio des tables de Peutinger, les
commerçants édifient de l'autre côté du fleuve une ville nouvelle,
héritière de l'activité d'affaires de Maguelone.
Dès le Xème
siècle, unique port de la couronne sur la mer latine, le port de
la jeune cité est en quelque sorte spécialisé dans le commerce des
épices, d'ou le nom de « Mons Pistillarius », ou montagne des commerçants
en denrées coloniales, donnée à la colline dont le nom va luis rester.
Les bateaux de ces marchands viennent jeter l'ancre en vue de Maguelone,
face au port Sarrazin. De là des barques à fond plat remontent le
cours du Lez, jusqu'au port Juvénal, sous les murs de la ville,
d'où un commerce d'une incomparable activité, où se mêlent toutes
les races, les religions et les langues.
Deux grand courant cependant. Le bassin oriental
de la Méditerranée avec escale obligatoire sur les côtes d'Italie,
d'où les intermédiaires chrétiens; la moitié occidentale relève
des Arabes d'Espagne dont l'activité s'est faite plus paisible.
A leur suite, de nombreux juifs jouent le rôle de banquiers. Ils
se groupent au centre ville, autour de l'Eglise Notre Dame à laquelle
leurs comptoirs font donner le nom de Notre Dame des Tables, en
raison des tables de changeurs où ils font commerce de monnaies.
Les besoins du négoce amène de partout des hommes d'affaires : Montpellier
devient une ville importante, la seconde du royaume avec ses 20
000 habitants.
Les premiers maîtres de médecine sont aussi les
plus riches d'entre ces marchands et sont aussi de culture relative
et possèdent dans leur coffre à objets précieux quelques manuscrits
traitant l'art de guérir. D'origine salernitaine ou ibérique, c'est
toujours l'œuvres d'Hippocrate ou de son Ecole, souvent traduite
en languedocien par les Juifs dont les colonies sont prospères dans
toute la région Par eux, Hippocrate, pour prépondérant qu'il soit,
n'est pas seul, il voisine avec Razès, Constantin et Avicenne.
Au milieu de l'ignorance et des superstitions ambiantes, la possession
de ces livres confère à leurs détenteurs un prestige certain, et
leurs correspondants demandent à les consulter, à les lire.. Le
possesseurs y consent volontiers, chez lui sous sa surveillance
ou sa direction, et moyennant salaire.
Ce sont là les premières
écoles de Médecine : l'expression va persister longtemps, puisque
sous Louis Philippe, dans les registre du conseil de la Faculté,
se trouve encore la formules «les écoles».
Peu à peu, le renom
de ces lecteurs leur vaut, non seulement des élèves, mais aussi
des consultants venus de loin, tel cet Héraclius de Montboissier,
archevêque de Lyon, qui, tombé malade au cours d'un voyage «ad limina»,
se fait transporter, de Saint-Gilles, où il était parvenu, jusqu'à
Montpellier pour s'y faire traiter, dépensant avec les médecins,
raconte Saint-Bernard, dans une lettre de 1135 « ce qu'il avait
et ce qu'il n'avait pas».
Peut-être convient-il de ne pas tirer
argument de cupidité contre eux, car si le prélat est parti de sa
ville archiépiscopale avec les richesses et le cortège qui conviennent
à un seigneur de si haute condition, poursuivi par des brigands,
il s'est déguisé sous les effets de l'un de ses serviteurs et n'a
gardé sur lui qu'une faible somme, dont il n'était pas malaisé de
voir bientôt la fin.
La concurrence entre médecins devient promptement
assez âpres, d'autant que d'irritantes questions d'origine et de
religion viennent s'y mêler. Les chrétiens d'origine salernitaine,
voient d'un mauvais œil des infidèles leur disputer la faveur des
élèves et c'est pourquoi ils se tournent vers le pouvoir local,
représenté, en janvier 1181, par Guilhem VIII, seigneur de Montpellier,
et lui demande pour eux seuls le monopole de l'enseignement.
Incompétent en matière médicale, et ne voyant que l'avantage pour
la ville de posséder le plus grand nombre possible de maîtres en
médecine; en fait ils ne sont d'ailleurs à peine une dizaine; l
noble seigneur s'élève contre une telle prétention et après l'avoir
qualifier « d'odieuse, d'injuste et d'impie », il décide au contraire
: « dans l'intérêt du bien public, sa propre utilité et celle de
mes sujets, je ne donnerai jamais à personne , quelles que soient
ses prières et ses supplication, le droit exclusif de lire ou de
tenir école de médecine à Montpellier... c'est pourquoi, tant en
mon nom qu'en celui de mes successeurs, je donne plein pouvoir à
quiconque le désirera, que qu'il soit et d'où qu'il vienne.»
Libérale entre toutes, cette décision laissait le champ ouvert aux
rivalité de personnes, avec comme conséquence, de fâcheux résultats
: de prétendues compétences s'improvisent : pour pouvoir recruter
des élèves, plus d'un n'hésite pas sur le choix des moyens, voire
même de les détourner, en cours de scolarité, sans même de savoir,
s'ils ont au préalable acquitté à l'endroit du précédent enseigneur
le salaire convenu à l'avance. De tels abus eussent sans doute provoqué
un revirement dans l'esprit de Guilhem, mais son unique héritière,
Marie, avait apporté en dot la seigneurie de Montpellier à Pierre
d'Aragon, et de ce suzerain éloigné, l'indépendance chatouilleuse
des bourgeois de la ville avait obtenu un charte communale. En dépit
des clauses de style qui font figurer le nom du roi d'Aragon en
tête des actes publics, pendant près d'un siècle, jusqu'à son retour
à la couronne de France, Montpellier est une sorte de république
autonome s'administrant elle-même sous l'autorité de consuls électifs.
Soucieux de soutenir leur popularité, ceux-ci se garderont bien
d'intervenir dans ces chicanes de boutiquiers. Seul un pouvoir indépendant
et hors de discussion avait des chances d'intervenir avec succès.
Au début du XIIIème, l'affaire des albigeois met
tout le Midi en effervescence. Pour en finir avec ses troubles,
le cardinal Conrad, évêque de Porto et de Sainte-Rufine, est envoyé
en Languedoc, comme légat, par le pape Honorius III.
Il s'arrête
à Montpellier. Ce n'est pas que la ville soit touchée par l'hérésie,
et de fait, elle a pu éviter les horreurs qui ont ensanglanté Béziers
et Carcassonne, mais depuis la donation du 27 avril 1085 à Grégoire
VII par Pierre de Melguel et de sa femme, Almodis de Toulouse, seigneurs
de Maguelone, et à ce titre, suzerains de Montpellier, la ville
est sous la protection du Saint-Siège : le légat de Rome est donc
chez lui dans la cité. Les hauts dignitaires ecclésiastiques de
la région viennent lui présenter leurs devoirs, et tout spécialement
les évêques de Maguelone, d'Agde, de Lodève et d'Avignon. C'est
par leur intermédiaire que la corporation médicale élève jusqu'à
lui ses doléances.
Plan du site - Moteur de recherche | | Page Aide | Contact © C. LOUP 2017