Sous le règne de Charles IX Paris languit,
tourmenté par les horreurs de la discorde provoquée par les
intrigues de la cour de Rome et des Guises.
Le massacre des
protestants fut arrêté dans l'entrevue que Catherine de Médicis
eut à Bayonne, en 1565, avec le duc d'Albe, et sept années après
cet infernal projet fut mis à exécution.
La reine mère en
fixa l'exécution au point du jour de la St Barthélémy, 24 août
1572 (deux jours après la tentative d'assassinat sur l'amiral
de Coligny). La résolution en fut prise dans le château des
Tuileries, entre la reine, le duc d'Anjou, le duc de Nevers,
le comté d'Angoulême, Birague, les maréchaux de Tavannés et
de Retz... On hésita si l'on envelopperait dans la proscription
le roi de Navarre, le prince de Coudé et les Montmorency...
Afin de prévenir jusqu'à l'ombre du soupçon, les princes lorrains
feignirent de craindre quelques violences de la part de leurs
ennemis, et, sous ce prétexte, ils vinrent demander au roi la
permission de se retirer. « Allez, leur dit le monarque d'un
air courroucé; si vous êtes coupables, je saurai bien vous retrouver...»
Tavannés fit venir en présence du roi les prévôts des marchands, Jean Charron et Etienne Marcel son prédécesseur, qui avaient grand crédit auprès du peuple. Il leur donna l'ordre de faire armer les compagnies bourgeoises, et de les tenir prêtes pour minuit à l'hôtel de ville. Ils promirent d'obéir. Mais, quand ou leur dit le but de l'armement, ils tremblèrent et commencèrent à s'excuser sur leur conscience. Tavannés les menaça de l'indignation du roi, et il tâchait même d'exciter contre eux le monarque, trop indifférent à son gré. «Les pauvres diables ne pouvant pas faire autre chose, répondirent alors : « Hé le prenez-vous là, sire, et vous, monsieur ? Nous vous jurons que vous en aurez nouvelles ; car nous y mènerons si bien les mains à tort à travers, qu'il en sera mémoire à jamais. Voilà, ajoute Brantôme, comme une résolution prise par force a plus de violence qu'une autre, et comme il ne fait pas bon acharner un peuple ; car il y est après plus âpre qu'on ne veut. » Ils reçurent ensuite les instructions à savoir, que le signal serait donné par la cloche de l'horloge du Palais ; qu'on mettrait des flambeaux aux fenêtres ; que les chaînes seraient tendues ; qu'ils établiraient des corps de garde dans toutes les places et carrefours, et que, pour se reconnaître, ils porteraient un linge au bras gauche et une croix blanche au chapeau. Tout s'arrange, selon ces dispositions, dans un affreux silence. Le roi, craignant de faire manquer l'entreprise par trop de pitié, n'ose sauver le comte de la Rochefoucauld, qu'il aimait
Triste et morne, le roi attend avec une secrète horreur l'heure fixée pour Le massacre. Sa mère le rassure et l'encourage. Il se laisse arracher l'ordre pour le signal, sort de son appartement, entre dans un cabinet tenant à la porte du Louvre, et regarde dehors avec inquiétude. Un coup de pistolet se fait entendre... Le vindicatif Guise avait à peine attendu le signal pour se rendre chez l'amiral. Au nom du roi, les portes sont ouvertes, et celui qui en avait rendu les clefs est poignardé sur le champ. Les Suisses de la garde navarroise, surpris, fuient et se cachent. Trois colonels des troupes françaises, accompagnés de Pétrucci, Siennois et de Béme, Allemand; escortés de soldats, montent précipitamment l'escalier, et fonçant dans la chambre de Coligny : À mort ! s'écrient-ils tous ensemble d'une voix terrible. Au bruit qui se faisait dans sa maison, l'amiral avait jugé d'abord qu'on en voulait à sa vie : il s'était levé, et, appuyé contre la muraille, il faisait ses prières. Béme l'aperçoit le premier. « Est-ce toi qui es Coligny? » lui dit-il. « C'est moi-même, répond celui-ci d'un air tranquille. Jeune homme, respecte mes cheveux blancs. » Béme lui enfonce son épée dans le corps, la retire toute fumante, et lui coupe le visage : mille coups suivent le premier. L'amiral tombe nageant dans son sang. «C'en est fait l'» s'écrie Béme par la fenêtre. « M. d'Angoulême ne le veut pas croire, répond Guise, qu'il ne le voie à ses pieds. » On précipite le cadavre. Le duc d'Angoulême essuie lui-même le visage pour le reconnaître, et on dit qu'il s'oublia jusqu'à le fouler aux pieds. Aux cris, aux hurlements, au vacarme épouvantable qui se fit entendre de tous côtés, sitôt que la cloche du palais sonna, les calvinistes sortent de leurs maisons, à demi nus, encore endormis et sans armes. Ceux qui veulent gagner la maison de l'amiral sont massacrés par les compagnies des gardes, postées devant sa porte. Veulent-ils se réfugier dans le Louvre, la garde les repousse à coups de pique et d'arquebuse ; en fuyant ils tombent dans les troupes du duc de Guise et dans les patrouilles bourgeoises, qui en font un horrible carnage. Des rues on passe dans les maisons, dont on enfonce les portes, tout ce qui s'y trouve, sans distinction d'âge ni de sexe, est massacré ; l'air retentit des cris aigus des assassins et des plaintes douloureuses des mourants.
Le jour vient éclairer la scène affreuse
de cette sanglante tragédie. « Les corps détranchés tombaient
des fenêtres ; les portes cochères étaient bouchées de corps
achevés ou languissants, et les rues, de cadavres qu'on trainait
sur le pavé à la rivière. » Ce qui se passait au Louvre ne démentait
pas les fureurs de la ville... Les gardes, ayant formé deux
haies, tuaient à coups de hallebarde les malheureux qu'on amenait
désarmés, et qu'on pressait au milieu d'eux, où ils expiraient
les uns sur les autres, entassés par monceaux. La plupart se
laissaient percer sans rien dire; d'autres attestaient la foi
publique et la parole sacrée du roi. « Grand Dieu ! s'écriaient-ils,
prenez la défense des opprimés. Juste Juge, vengez celte perfidie...
» Des enfants de dix ans tuèrent des enfants au maillot ; et
on vit des femmes de la cour parcourir effrontément de leurs
yeux les cadavres nus des hommes de leur connaissance, cherchant
matière à des observations licencieuses, qui les faisaient éclater
de rire. Le fougueux Charles, une fois livré à son caractère
impétueux, ne connut plus de bornes. On l'accuse d'avoir tiré
lui-même sur les malheureux calvinistes qui fuyaient.
Ce
tableau, emprunté à Anquetil (Esp. de la Ligue), est plein de
vérité et de force. Mezeray peut servir à le compléter, « Pour
faire en petit l'histoire de cet horrible massacre, dit-il,
il dura sept jours entiers : les trois premiers, savoir : depuis
le dimanche, jour de St-Barthélemy, jusqu'au mardi, dans sa
grande force; les quatre autres, jusqu'au dimanche suivant,
avec un peu plus de ralentissement. Durant ce temps, il fut
tué près de 5,000 personnes, de diverses sortes de morts, et
plusieurs de plus d'une sorte, entre autres 5 à 600 gentilshommes.
On n'épargna ni les vieillards, ni les enfants, ni les femmes
grosses ; les uns furent poignardés, les autres tués à coups
d'épée, de hallebarde, d'arquebuse ou de pistolet, quelques-uns
précipités par les fenêtres, plusieurs traînés dans l'eau.
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