Hugues Capet
Le sacre de Charles VII de France (14 juillet 1429) dans la cathédrale
de Reims - Jules Eugène Lenepveu.
Les Capétiens ne furent pas reconnus d'abord
dans tout le Midi. Les Aquitains virent sur leurs monnaies « Deo
Regnante « pendant le règne de Dieu. » Hugues Capet enjoignit au
comte de Périgord de lever le siège de Tours et, le trouvant désobéissant,
lui demanda « Qui t'a fait comte ? » L'autre lui répondit « Qui t'a
fait roi » Les seigneurs féodaux refusaient donc de reconnaître la suprématie
des nouveaux rois. Ceux-ci, réduits à un rôle modeste, eurent l'extrême
habileté de s'allier étroitement avec l'Église. Hugues Capet était abbé
de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Martin de Tours.
Son fils Robert fut un moine plutôt qu'un roi. Ce pieux souverain faisait
l'aumône selon l’Évangile, c'est cependant sous son règne que commencèrent
les persécutions contre les hérétiques. Henri ler et Philippe
Ier, qui vinrent ensuite, furent des rois à peu près nuls.
Les plus grandes choses s'accomplissaient autour d'eux et ils y demeurèrent
tout à fait étrangers.
Le Sacre de Hugues Capet
Le Sacre de Hugues Capet -Noyon 987
L'empire de Charlemagne, partagé d'abord
entre les fils de Louis le Débonnaire par le traité de Verdun, s'était
lentement divisé en grands fiefs, bientôt héréditaires, qui méconnaissaient
complètement l'autorité royale. Cet édifice, hardiment élevé par
la maison d'Héristal, s'était brisé dans des démembrements successifs,
et les derniers Carlovingiens, sans pouvoir, sans influence, réduits
à un vain titre, rappelaient dans leur affaiblissement le triste
spectacle offert à l’histoire par les Mérovingiens.
Au centre
même de leur domination, à Paris, les Carlovingiens n'étaient plus
maîtres ; la puissance leur échappait avec la possession réelle
du territoire et, tandis qu'ils s'éteignaient dans leur incapacité,
une famille obscure, sans passé, sans souvenirs, s'élevait rapidement
et préparait à la France une glorieuse dynastie.
Par les services
quelle rendait au pays elle se créait un parti et acquérait pour
l'avenir des titres solides ; c'était elle qui luttait courageusement
contre les Normands auxquels les chefs de l'empire n'osaient résister
: Robert le Fort mourait en les combattant ; Eudes, son fils, alors
que Charles le Gros abandonnait lâchement Paris aux attaques des
hommes du Nord, défendait vaillamment la cité assiégée. Aussi. Lorsqu'â
la mort de Charles le Gros les royaumes réunis un moment sous sa
domination se séparèrent, les habitants du duché de France, déjà
même on peut dire les Français, proclamèrent roi Eudes, comte de
Paris, fils de Robert le Fort, cet aventurier d'origine saxonne,
dont la race devait porter plus de couronnes qu'aucune autre maison
royale.
Cependant Eudes ne fut pas le chef de la dynastie nouvelle
; après lui, par un inexplicable dédain de Hugues le Grand, son
fils, pour la couronne, un Carlovingien, Louis d'Outremer, monta
sur le trône et régna sous la tutelle immédiate et impérieuse du
duc de France. A Louis d'Outremer succédèrent deux princes, Lothaire
et Louis V, derniers représentants de Charlemagne ; deux ombres
qui n'ont laissé d'autre souvenir dans l'histoire que leur nom.
Le moine Gerbert, qui illustra le trône pontifical sous le nom de
Sylvestre et qui s'était placé à la tête du clergé de France pour
conduire le mouvement auquel les Capétiens allaient devoir la couronne,
disait avec mépris du roi Lothaire : « Il est roi seulement de
nom ; Hugues n'en porte pas le titre, mais il est roi et par le
fait et par les œuvres. « Et de Louis V : Il ne fit rien ; à charge
à ses amis, il ne donnait pas beaucoup d'inquiétudes à ses ennemis
et pendant ce temps la grande affaire de sa ruine se traitait sérieusement
en secret. »
Hugues Capet avait hérité de tout le pouvoir
de Hugues le Grand ; toutefois, plus ambitieux que son père, il
voulait avec cette autorité le titre de roi qui lui manquait encore.
Il avait souffert le règne de ces princes à qui Hugues le Grand
avait accordé son appui, mais il s'apprêtait à s'emparer de leur
succession. Cette importante révolution, décidée par tant de causes,
s'accomplit enfin ; la dynastie des Carlovingiens céda le trône
à celle des Capétiens, et le changement se fit presque sans secousse,
sans contestation. Louis V, après une année de règne, était mort
sans enfants '', cependant il restait des héritiers de sa couronne
: Charles, duc de Basse Lorraine, second fils de Louis d'Outremer,
frère de Lothaire, avait des droits légitimes. Avant qu'il eût pu
les faire valoir Hugues Capet réunit ses partisans, les principaux
seigneurs du duché de France, à Noyon, et à la fin de mois de mai
de l'année 987 il est élu ou plutôt choisi, reconnu roi de France.
Quel fut le caractère de cette assemblée, on l'ignore ; mais il
n'y faut vraisemblablement chercher ni règles précises, ni acceptation
réfléchie ce fut un mouvement spontané, une acclamation en quelque
sorte. « Cette élection, dit M. Augustin Thierry dans ses : Lettres
sur l'histoire de France, n'eut point lieu avec des formes régulières,
on ne s'avisa ni de recueillir, ni de compter les voix des seigneurs,
ce fut un coup d'entraînement, et Hugues Capet devint roi des Français
parce que sa popularité était immense. L'archevêque de Reims,
Adalberon, sacra le nouveau souverain et ratifia au nom de l'église
le choix des seigneurs francs. Hugues Capet n'oublia jamais la protection
que lui avait donnée le clergé ; arrivé au trône en s'appuyant sur
lui, il ne cessa de rechercher son concours : trop humble pour porter
la couronne, il revêtait seulement aux jours solennels la chape
de saint Martin et n'usait de la souveraineté dont on venait de
l'investir qu'avec une prudente réserve. Les es chefs égaux à Hugues
par l'étendue de leur domaine ne semblent avoir fait aucune opposition
à son élection. Au nord les services de son père et de son aïeul
l'avaient rendu populaire : puis ces seigneurs féodaux s'accommodaient
mieux d'un roi d'origine récente : ils préféraient aux Carolingiens,
à qui ils avaient ravi leur royaume province par province, à qui
ils avaient arraché des concessions révocables après tout, un roi
pris parmi eux et dont en fait la véritable force ne s'augmentait
pas. L'assemblée de Noyon n'étendit pas la puissance réelle du fils
de Hugues le Grand, elle le laissa duc de France ; seulement elle
revêtit cette domination d'un titre plus général dont les Capétiens
devaient par une sage politique se faire une supériorité profitable.
Enfin Hugues Capet était en quelque sorte protégé par l'orgueil
même de ceux qui l'avaient reconnu ; le titre qu'ils lui accordaient
leur semblait sans importance, ils prétendaient à une complète égalité
de rang et surtout de pouvoir avec le successeur des Carlovingiens.
Arnould II, comte de Flandre, et Herbert III, quatrième comte de
Vermandois, se faisaient contraindre par les armes à reconnaître
la dignité nouvelle du duc de France, et c'était là tout ce que
Hugues pouvait obtenir d'eux. Richard 1er, duc de Normandie, accordait
l'hommage au roi de France, mais il l'exigeait à son tour de lui.
Conan le Tors, comte ou duc de Bretagne, restait entièrement étranger
à la royauté capétienne. Enfin, Hugues Capet, afin d'assurer l'avènement
de son fils aîné, convoqua les seigneurs francs à Orléans et fit
reconnaître à l'avance Robert comme son successeur. Pendant deux
siècles les rois imitèrent cet exemple, et cette politique persévérante
rendit à la longue la couronne de France héréditaire.
Au midi
à peine s'inquiéta-t-on de celui qui prenait le titre de roi, tant
son influence était vaine sur les grands fiefs situés au sud de
la Loire. On ignorait son nom, et les seigneurs des provinces méridionales
après son élection inscrivaient toujours en tête de leurs actes
: Dieu régnant en attendant un roi. Hugues Capet voulut essayer
son pouvoir, il ne réussit guère à le faire accepter. Ainsi Adalbert
1er comte de Périgord, s'étant allié avec Foulques Nerra, cinquième
comte d'Anjou, assiégea Tours, qui appartenait à Eudes 1er, comte
de Blois. Celui-ci eut recours au roi de France, qui ordonna au
comte de Périgord de lever le siége. Comme Adalbert n'obéissait
pas, Hugues lui envoya dire . Qui t'a fait comte? .. Qui t'a fait
roi ? répondit fièrement Adalbert. Toutefois l'avènement de la troisième
dynastie est un événement considérable ; définitivement la royauté
française, nationale est constituée. Longtemps encore elle restera
faible, peu étendue, dépendante des seigneurs féodaux qui sont restés
maîtres du territoire de la Gaule ; mais la patience, le temps,
une singulière habileté, une modestie opportune unie au courage
et à l'intelligence lui préparent de grandes destinées et finissent
par lui assurer une autorité suprême, immense, incontestable. M.
Augustin Thierry, qui a apprécié avec son habituelle supériorité
cette révolution nationale, en exprime ainsi les résultats et le
caractère : «L'avènement de la troisième race est dans notre
histoire nationale d'une bien autre importance que celui de la seconde
; c'est à proprement parler la fin du règne des Francs et la substitution
d'une royauté nationale au gouvernement fondé par la conquête. Dès
lors notre histoire devient simple ; c'est toujours le même peuple
qu'on suit et qu'on reconnaît, malgré les changements qui surviennent
dans les mœurs et dans la civilisation. Un singulier pressentiment
de cette longue succession de rois paraît avoir saisi l'esprit du
peuple à l'avènement de la troisième race ; le bruit courut qu'en
981 saint Valeri, dont Hugues Capet, alors comte de Paris, venait
de faire transférer les reliques, était apparu en songe au roi futur
et lui avait dit : « A cause de ce que tu as fait, toi et tes
descendants vous serez rois jusqu'à la septième génération : c'est
à dire à perpétuité. » Cette parole était prophétique ; pendant
neuf cents ans les Capétiens, toujours grandissant au milieu des
désastres, des révolutions, des attaques extérieures et intérieures,
occupent le trône sans interruption et donnent des rois à la plupart
des peuples de l'Europe.
Après Louis VI, la suprématie de la royauté sur
les seigneurs féodaux n'est plus contestée. Malgré la désastreuse croisade
de Louis VII, malgré son divorce maladroit avec Aliénor de Guyenne le
progrès continua. Philippe-Auguste en accéléra le mouvement. Il fit
aussi une croisade, sans doute pour ne pas rester en arrière de ses
brillants rivaux, comme Richard Cœur de Lion et Frédéric Barberousse,
mais ce fut à l'intérieur que se déploya surtout son activité.
Dès
le début, il acquit les comtés d'Amiens, de Vermandois et de Valois.
Plus tard, il enleva à Jean sans Terre la Normandie, l'Anjou, la Touraine
et le Poitou. Le roi d'Angleterre ayant-formé avec l'empereur d'Allemagne,
le comte de Flandre et les seigneurs des Pays-Bas une coalition pour
arrêter le développement rapide de la puissance française, Philippe-Auguste
gagna sur eux la victoire de Bouvines, la première victoire nationale
à laquelle les milices des communes accourues de toutes parts autour
de l'oriflamme de Saint-Denis.
La France, pour la première fois,
se sentit sauvée de l'étranger et fit éclater une joie universelle ;
la France du nord, bien entendu, car celle du midi n'avait guère de
rapports avec elle. Qui pourrait dire, s'écrie le poète chroniqueur,
la très grande joie et très grande fête que tout le peuple fit au roi,
alors qu'il s'en retourna en France après la victoire ! Ses clercs chantoient
par les églises de doux chants en louanges de Notre-Seigneur ; les cloches
sonnoient à carillon par les abbayes et par les églises les montres
estoient solennellement ornées dedans et dehors de drap de soie; les
rues et les maisons des bonnes villes estoient vêtues et parées de courtines
et de riches garniments; les voies et les chemins estoient jonchés de
rameaux d'arbres verts et de fleurs nouvelles.Tout le peuple, petits
et grands, hommes et femmes, vieux et jeunes accouroient en foule aux
carrefours des chemins. Les bourgeois et la multitude des écoliers allèrent
à la rencontre du roi. Ils firent une fête sans égale, et si le jour
ne leur suffisoit pas, ils festoyoieat la nuit avec grands luminaires,
si bien que la nuit estoit aussi éclairée que le jour. Les écoliers
surtout dépensèrent moult en festins et bombances ; et dura la fête
sept jours et sept nuits (1214). »
Les croisades
Prédication de la première croisade à Clermont Ferrant
Depuis longtemps déjà la papauté jetait vers
l'Orient des regards d'amertume ; Jérusalem, la cité sainte, le
berceau du christianisme, était chaque jour insultée par quelque
nouvel outrage des musulmans ; les pèlerins y allaient vainement
chercher l'expiation de leurs fautes, on leur refusait l'approche
du Saint Sépulcre ou, s'il leur était permis de s'agenouiller devant
la tombe du Christ, il leur fallait acheter cette faveur par la
plus humble soumission.
Les pontifes de Rome s'étaient inutilement
adressés au dévouement des princes de la terre pour obtenir la délivrance
des lieux saints ; Grégoire VII avait écrit à l'empereur d'Allemagne
; après lui Victor III avait inutilement appelé les chrétiens en
Orient ; on plaignait la misère des pèlerins, on déplorait la servitude
de Jérusalem, et là s'arrêtait le zèle religieux.
Enfin, en 1094,
la voix éloquente d'un moine obscur, qui, à travers tous les périls
d'un voyage en Palestine, était allé prier à Jérusalem, décida ce
grand mouvement religieux qui devait, pendant deux siècles, remuer
toute I‘Europe.
C'était un pauvre chevalier, nommé Pierre, et
d'origine picarde, croit-on, car sa famille, sa naissance, sont
à peine connues.
Dégoûté du monde et des hommes, après avoir
vainement essayé d'occuper l'activité de son esprit tour à tour
par l'étude des lettres, et les fatigues de la guerre, il s'était
renfermé dans la plus austère solitude pour se livrer tout entier
à la prière et à la méditation.
Arraché à sa retraite par le
bruit des pèlerinages en Orient, emporté peut être par une force
secrète, supérieure à sa volonté même, il était allé en Palestine
; il avait vu l'abaissement de Jérusalem, les souffrances des chrétiens,
la cruauté des Infidèles, et son cœur s'était profondément ému des
malheurs de la Terre sainte : il avait versé des larmes sur cette
désolation pour laquelle l'Europe semblait sans pitié. A son retour
Pierre l'Ermite se rendit à Rome auprès d'Urbain II, qui occupait
le trône pontifical ; il lui peignit avec toute la vivacité de sa
douleur l'état d'abandon de Jérusalem, et, entre lui et le pape,
il fut résolu qu'un concile serait assemblé pour y faire un appel
à la piété et au courage des chrétiens. Ce fut à la suite de cette
solennelle entrevue que Pierre parcourut l`Italie et la France,
proclamant partout la misérable situation de la Palestine et appelant
chacun à la délivrer.
Baudoin Ier à la bataille de Montgisard
Monté sur une mule, un crucifix à la main,
la tête découverte, les pieds nus, ceint d'une corde et couvert
d'un manteau de bure, il racontait avec une émotion pénétrante le
spectacle douloureux dont il avait été témoin ; le peuple se pressait
autour de lui pour entendre cette parole, d'une si puissante éloquence
qu'il semblait, dit un historien des croisades, « qu’il y eût
eu lui quelque chose de divin. » Tandis que Pierre l'Ermite
excitait ainsi le zèle du peuple, Urbain II avait réuni un concile
à Plaisance ; mais les Italiens perdus dans les agitations de leurs
républiques naissantes, avaient à peine répondu à son appel. Le
pape résolut alors d'invoquer le dévouement de la France, cette
nation, à la fois chrétienne et guerrière, à laquelle à toujours
été réservée l'initiative des grandes entreprises ; et il convoqua,
à Clermont en Auvergne, un nouveau concile, qui fut ouvert le 18
novembre 1095. .
Cette fois, ses espérances ne furent pas déçues
: les prédications de Pierre l'Ermite avaient ému tous les cœurs,
ranimé partout le zèle de la religion ; de toutes parts on arrivait
à Clermont ; les hommes renommés par leur sainteté et leur science,
les prélats, les plus nobles seigneurs de la France s'y étaient
rendus ; les princes y avaient envoyé des ambassadeurs : « de
sorte., rapporte un chroniqueur, que vers le milieu de novembre
les villes et villages des environs se trouvèrent remplis de peuple
et furent plusieurs contraints de faire dresser leurs tentes et
pavillons au milieu des champs et des prairies, encore que la saison
et le pays fussent pleins d'extrême froidure. » La foule était
telle que l'église ne la pouvait contenir, et la prédication de
la première croisade dut se faire en plein air sur la place spacieuse
qui s'ouvrait devant le parvis de la cathédrale ; un peuple immense
la remplissait, avide d'entendre de la bouche même du chef de l'Église
l'ordre d'aller défendre la foi en Orient : le pape ayant pris place
avec ses cardinaux sur l'estrade qu'on avait élevée pour cette séance
du concile, Pierre l'Ermite parla le premier des misères de l'Orient
avec sa passion et son enthousiasme habituels. Urbain II, se levant
ensuite, adressa aux chrétiens réunis à ses pieds un discours entrecoupé
de pleurs et de sanglots : « C'est du sang chrétien dit-il, racheté
par le sang du Christ, qui se verse en Asie ; c'est de la chair
chrétienne de même nature que la chair du Christ qui est livrée
aux bourreaux.
Et vous, hommes de France, nation chérie de Dieu,
que vos âmes s'émeuvent au souvenir de vos ancêtres ! rappelez à
votre esprit leurs dangers et leur gloire ; ils ont sauvé l'Occident
de la servitude ! Vous aussi, vous délivrerez l'Europe et l'Asie.
» Alors le pape retraça en traits énergiques les supplices qu'enduraient
les chrétiens d'Orient, les injures dont on les abreuvait, les persécutions
qu'ils avaient à subir : « Enfin, ajouta- t- il en terminant,
éteignez toute haine, que les querelles se taisent, que les guerres
s'apaisent. Prenez la route du Saint Sépulcre, arrachez Jérusalem
à ses ennemis ; cette cité royale, située au milieu du monde, vous
demande et souhaite sa délivrance. Prenez donc cette route en rémission
de vos péchés et partez assurés de la gloire impérissable qui vous
attend. » Ce tableau animé des malheurs de la Terre Sainte,
ces accents passionnés excitèrent un enthousiasme indicible ; des
cris de vengeance, de bruyantes acclamations éclatèrent dans cette
foule émue, et, d'une seule voix, l'assemblée s'écria : Dieu
le veut ! Dieu le veut !.
Chevaliers, prêtres, nobles, peuple,
femmes, enfants, tous se pressaient aux pieds du pape, tous demandaient
la croix, tous voulaient à l'heure même partir pour Jérusalem. Bientôt
cette ardeur se propagea dans toute l'Europe sur toutes les épaules
on voyait briller la marque du pieux engagement : les hauts barons,
les chevaliers allaient demander aux évêques la bénédiction de leurs
armes et de leurs drapeaux, ils recevaient leur épée humblement
agenouillés devant les prélats, qui leur rappelaient, en la leur
remettant, le but de la sainte expédition : Recevez cette épée,
disaient-ils, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Servez-vous
en pour le triomphe de la foi ; mais quelle ne répande jamais le
sang innocent. Les seigneurs engageaient leurs biens ; les pauvres
vendaient le peu qu'ils possédaient pour prendre la croix. Ce fut
le signe de ralliement d'armées saintes, comme cette parole du concile
de Clermont : Dieu le veut ! Devint leur cri de guerre. .
Les croisades, ces lointaines expéditions, auxquelles devaient prendre
part les plus illustres princes de l'Europe, étaient commencées
; et si elles ont apporté quelque gloire au monde du moyen âge,
la France en peut fièrement revendiquer sa part car la première
croisade fut prêchée par un moine français, ouverte en France par
un pape français, et le premier chevalier qui mit le pied sur les
remparts de Jérusalem fut un chevalier de France, Godefroi de Bouillon.
Enfin ce fut la France qui, par son ardeur, son dévouement, donna
l'exemple des croisades et montra le chemin de Jérusalem à toute
l'Europe, « si bien, comme le remarque Michaud dans son Histoire
des croisades, qu'on eût dit que les Français n'avaient plus d'autre
patrie que la Terre Sainte, et qu'ils lui devaient le sacrifice
de leur repos, de leurs biens et de leur vie. » La première
armée de croisés, appelée La Croisade des Gueux, multitude confuse
où se confondaient tous les âges, aussi irréfléchie qu'enthousiaste,
partit vers le milieu de 1096, sans attendre que les immenses préparatifs
qui se faisaient en France fussent terminés.
Croyant, à chaque
ville forte, à chaque village, apercevoir la cité vers laquelle
ils couraient, et s'écriant, à tous les hameaux : Est-ce là,
Jérusalem ? ils traversèrent l'Allemagne dans les transports
d'un enthousiasme qui cependant ne put les sauver d'une ruine complète.
Après s'être attiré, par leur indiscipline, leurs fureurs aveugles,
de nombreux échecs au milieu même de l'Europe chrétienne, les soldats
de Pierre l'Ermite, attaqués à l'improviste dans l'Asie Mineure,
sous les murs de Nicée, périrent presque tous, malgré une vaillante
défense, dans leur première bataille contre les infidèles. Mais,
derrière ces bandes en désordre, l'élite du monde chrétien s'armait,
et bientôt toute la chevalerie de France allait demander compte
aux musulmans, sous les murs même de Jérusalem, des insultes qui
depuis si longtemps outrageaient le tombeau du Sauveur du monde.
Scène de bataille - Augusto Ferrer-Dalmau
Tout occupé de combattre les « deux grands lions
qu'il avait aux flancs, » c'est-à-dire le roi d'Angleterre et l'empereur,
Philippe-Auguste ne prit aucune part à cette quatrième croisade qui,
détournée de son but, n'aboutit qu'à une grande piraterie, la prise
de Constantinople ; un empire latin remplaça pendant un demi-siècle
l'empire grec, et des seigneurs français partagèrent en fiefs le pays
de Thémistocle et d'Alexandre. Philippe demeura également étranger à
la croisade des Albigeois ; il laissa les seigneurs épuiser leurs forces
dans cette triste expédition et prendre sur eux tout l'odieux des bûchers
et du sang répandu à grands flots, bien assuré que la royauté seule
en recueillerait les fruits. Ce fut, en effet, à la suite de cette guerre
et sous Louis VIII que presque tout le Midi fut réuni à la couronne.
Les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne y furent fondées pour
y être les organes de l'administration royale.
Vincent Voiture (1597-1648) était un poète très admiré à la cour
française. Champaigne a fait ce portrait du vivant du poète. Une
gravure de ce portrait accompagnait la publication, en 1650, d’un
livre de ses poèmes, après sa mort. Quelques années plus tard, Madeleine,
la fille de Voiture, est entrée au couvent. Elle voulait garder
le portrait de son père avec elle. Mais, du fait que seuls des sujets
religieux étaient les images qu’elle avait la permission de garder
avec elle, Champaigne a retouché le tableau pour ajouter une couronne
et des vêtements royaux, un sceptre et la couronne d’épines de Jésus-Christ,
la relique associée à Saint Louis. Ainsi, Madeleine a pu conserver
avec elle le portrait de son père, sous l’identité du saint.
Justice de Saint Louis
Justice de Saint Louis
Justice de Saint Louis. Un des plus remarquables
côtés du caractère de Saint Louis c'est sans contredit ce profond
sentiment d'équité qui fut la règle constante de toute sa vie. Rien
de plus élevé, rien de plus pur que cette âme dévouée au bien, au
bon droit, sans autre aiguillon que le devoir. On peut trouver,
dans l'histoire de la France, un règne brillant d'un plus vif éclat
; mais il n'en est point dont le récit offre autant que celui-ci
des exemples parfaits de justice et de loyauté. Dans les grandes
aussi bien que dans les plus médiocres circonstances, qu'il ait
à juger les querelles qui arment les barons anglais contre leur
roi ou les différends des bourgeois de Paris, Saint Louis montre
une égale sincérité de cœur, une semblable impartialité, et ses
propres intérêts même ne peuvent altérer cette pieuse candeur, qui
puise sa force dans les inspirations de la foi.
Chez la plupart
des princes, l'illustration est pour ainsi dire inséparable des
gloires du champ de bataille ou des splendeurs de la royauté ; jamais,
au contraire, Saint Louis ne paraît plus admirable que lorsqu'on
pénètre dans l'intimité de son existence : il tire de lui seul une
grandeur particulière qu'on ne retrouve qu'à de bien rares intervalles
dans les pages de notre histoire. Sa valeur n'était pas dégénérée
de celle de ses prédécesseurs, les exploits de Taillebourg en font
foi ; mais, au-dessus des succès militaires, il estimait le bonheur
de son peuple. Les paroles qu'il adressa à son fils durant une dangereuse
maladie qu'il fit à Fontainebleau, où il se plaisait à passer de
longues retraites dans le recueillement et la prière, révèlent la
tendre inquiétude que lui inspirait le repos de la France.
« Beau fils, dit- il au jeune prince je te prie que tu te fasses
aimé du peuple de ton royaume ; car vraiment j'aimerois mieux qu'un
Escot (Écossais) vînt d'Écosse et gouvernât le peuple du royaume
bien et loyalement, que tu le gouvernasses mal apertement. »
Cette constante sollicitude n'est pas exprimée avec moins de force
dans les dernières instructions qu'il donna à son fils, Philippe
le Hardi au moment où, mourant sous les murs de Tunis, il remit
entre ses mains les destinées du royaume de France. « Aie le
coeur doux et pitoyable pour les pauvres, les chétifs, les malheureux,
et les réconforte en aide autant que tu pourras.
Maintiens les
bonnes coutumes du royaume et détruis les mauvaises...
Sois
loyal et roide pour tenir justice et droit à tes sujets, et soutiens
la querelle du pauvre jusqu'à ce que la vérité soit éclaircie...
Et si tu entends que tu tiennes nulle chose à tort, ou de ton
temps ou du temps de tes prédécesseurs, fais-le de suite rendre,
bien que la chose soit considérable, ou en terre, ou en deniers,
ou en autre chose. »
Pour rendre la véritable expression
de cette grande figure, dont nous essayons de réunir les traits
divers, nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter au naïf biographe
de Louis IX, à Joinville, le récit des assises populaires tenues
par le Saint roi sous les hautes verdures de Vincennes, ou dans
le jardin de son palais de Paris. « Maintes fois il advint qu'en
été il alloit s'asseoir au bois de Vincennes après la messe, et
se accostoit (s'appuyait)à un chêne, et nous faisoit asseoir autour
de lui : et tous ceux qui avoient affaire venoient lui parler sans
empêchement d'huissier ni d'autres.
Et lors il leur demandoit
de sa bouche : Y a t il ici quelqu'un qui ait partie (procès) ?
Et ceux qui avoient partie se levoient, et lors il disoit :
Taisez vous tous, et on vous expédiera l'un après l'autre.
Et
lors il appeloit monseigneur Pierre de Fontaines et monseigneur
Geoffroy de Villette, et disoit à l'un deux : : Expédiez moi cette
partie.
Et, quand il voyoit quelque chose à amender dans le
discours de ceux qui parloient pour autrui, lui-même il l'amendoit
de sa bouche.
Je le vis aucune fois en été que pour expédier
ses gens il venoit au jardin de Paris vêtu d’une cotte de camelot,
d'un surtout de tiretaine(laine) sans manches, d'un manteau de cendal
(taffetas) autour du cou, moult bien peigné et sans coiffe, et un
chapel de paon blanc sur la teste, et faisoit étendre un tapis pour
nous seoir autour de lui.
Et tout le peuple qui avoit affaire
par devant lui se tenoit debout autour de lui, et lors il les faisoit
expedier en la manière que je vous ai dit devant au bois de Vincennes.
»
Justice de Saint Louis - Georges Rouget
Cette justice paternelle, sans gardes ni
huissiers, si simple dans ses formes, n'excluait cependant pas à
l'occasion la fermeté, et Saint Louis se sentait alors d'autant
plus fort : qu'il ne cédait qu'aux plus impérieuses convictions.
Enguerrand de Coucy, chef de la maison de Coucy, qui avait pris
pour devise ces fières paroles : Je ne suis roi, ne duc, prince,
ne comte aussi ; je suis le sire de Coucy, avait fait pendre
trois jeunes gens nobles qui, dans l'ardeur de la chasse, étaient
venus tuer du gibier sur ses terres. Aussitôt que le roi de France
eut appris cette exécution faite à la hâte, il cita devant lui le
sire de Coucy, le fit arrêter, conduire à la tour du Louvre et comparaître
devant sa cour pour rendre compte de cette violence. L'accusé. dont
la famille était alliée à toutes les maisons souveraines, et même
à celle de France. demandait la preuve en combat singulier, et sa
prétention était appuyée par le duc de Bourgogne, les comtes de
Champagne, de Bar, de Soissons, qui s'étaient rendus auprès du roi
pour défendre leur parent et leur ami. Mais le roi refusa cette
épreuve, qui le plus souvent donnait gain de cause à l'épée la mieux
trempée plutôt qu'au bon droit. Au fait des pauvres, des églises
et des personnes dont il faut avoir pitié, l'on ne doit pas aller
avant par gage de bataille, répondait-il à leurs instances, car
on ne trouveroit pas facilement aucuns qui voulussent combattre
pour de telles personnes contre les barons du royaume. » Malgré
toutes les sollicitations la justice eut son cours régulier. Le
sire de Coucv, privé du droit de haute justice et de chasse, fut
condamné à une amende de douze mille livres et à de nombreuses expiations.
Ce jugement par voie de droit excita de violents murmures parmi
les barons, qui le considéraient comme une atteinte à leur indépendance
politique et à leur liberté personnelle. L'un d'eux même, Jean Thourot,
châtelain de Noyon, qui avait pris vivement la défense du sire de
Coucy osa dire ironiquement au roi : « Si j'avois été le roi,
j'aurois fait pendre tous les barons : car un premier pas de fait,
le second ne coûté rien. » Certainement je ne ferai pas pendre mes
barons, reprit sévèrement le roi mais je les châtierai s'ils méfont.
» Cette énergie, si différente de la douceur habituelle de Saint
Louis, ajoute encore, il nous semble, à l'éclat de ce caractère,
qui fut la gloire du moyen âge.
Justice de Saint Louis - Georges Rouget
Inflexible envers les autres, il ne l'était
pas moins envers lui-même ; tourmenté par des scrupules de conscience
sur le droit qu'il pouvait avoir de conserver les provinces conquises
sur l'Angleterre durant les règnes précédents, après d'attentives
consultations il se résolut à les rendre, avec un désintéressement
que la politique a pu condamner, mais que cependant on est obligé
d'admirer. Nous insistons sur cette équité naturelle, sur ces qualités
supérieures aux passions ordinaires du cœur humain, parce que ce
sont elles surtout qui font de Saint Louis l'homme modèle du moyen
âge, en qui on ne sait lequel plus admirer, a dit M. de Châteaubriand,
du chevalier, du clerc, du patriarche, du roi et de l'homme. Sa
piété si vive, si profonde, que chacun, les prestres mesmes,
désiroient suivre sa vie, n'obscurcit jamais cette pure raison,
qui recherchait avant tout la vérité et la préférait à toutes choses
; obligé de défendre contre le pape les droits de l'église de France,
il le fit avec fermeté. Sa célèbre ordonnance connue sous le nom
de Praqmatique Sanction, qui posa les premières bases des libertés
de l'église gallicane, témoigne de son indépendance vis-à-vis du
Saint Siége.
Quand bien même, comme l'a prétendu, et sur de
fortes présomptions, M. Ch. Lenormand, on ne devrait pas attribuer
cette énergique protestation contre les empiétements de la cour
de Rome à Louis IX, l'accord avec lequel les historiens font remonter
jusqu'à lui cet acte important serait encore un indirect hommage
rendu à sa raison et à l'ascendant de sa vertu. Quel prince pouvait
en effet mieux juger ces délicates questions que celui dont le cœur
semble dégagé de toute préoccupation mondaine et personnelle ?
En qui pouvait-on avoir plus de confiance qu'en ce Saint roi,
qui, dans l'ardeur de sa foi, écrivait à sa fille pour dernier adieu
: « Chère fille, la mesure par laquelle nous devons aimer Dieu,
c'est de l'aimer sans mesure. »
Saint Louis servit à son tour puissamment la royauté par des moyens
différents, il joignit à l'habileté, au courage, la vertu d'un saint,
et par là rendit le trône vénérable à tous. Il battit à Taillebourg,
en 1422, les Anglais et une ligue de barons révoltés; puis, quoique
vainqueur, il abandonna, par scrupule de conscience, le duché de Guyenne
à la simple condition de l'hommage. Il alla deux fois en croisade en
1247 puis en 1270 et montra, prisonnier en Égypte, ou mourant de la
peste sous les murs de Tunis, le courage et la résignation d'un martyr.
Assis sous le chêne de Vincennes, il personnifia aux yeux du peuple
la justice royale. Il punit sévèrement les crimes de ses barons par
exemple, ce sire de Coucy qui, pour un simple délit de chasse, avait
fait pendre trois jeunes gens. Il le condamna à une lourde amende. Les
autres barons murmurèrent ils prisaient bien plus leur droit de chasse
que la vie de trois hommes. L'un d'eux dit ironiquement
« Si j'avais
été le roi, j'aurais fait pendre tous mes barons; le premier pas fait,
il n'en coûte pas davantage. » Le roi l'entendit et lui répondit
cette juste et sévère parole « Je ne pendrai point mes barons, mais
je les châtierai s'ils méfont. » Ses Établissements introduisirent dans
ses domaines des principes d'une plus saine justice ; il y abolit le
duel judiciaire, il y rendit les guerres privées presque impossibles
par l'établissement de la Quarantaine le Roi, par et des appels et des
cas royaux, il évoqua un grand nombre de causes à son parlement.
Ce roi si bon justicier, ce roi qui savait par pragmatique arrêter les
empiétements des papes, n'était pas étranger aux passions de son temps.
« Aucun, disait-il, s'il n'est grand clerc et parfait théologien, ne
doit disputer avec les juifs, mais doit l'homme laïque, quand il ouït
médire de la foi chrétienne, défendre la chose non pas seulement de
paroles, mais à bonne épée tranchante et en frapper les mécréants au
travers du corps tant qu'elle y pourra entrer. » Déplorable théorie
qui venait d'être pratiquée dans la croisade contre les Albigeois.
Le XIII
ème siècle est le plus remarquable du moyen âge. C'est
le grand siècle de l'architecture gothique ; c'est celui où nos grandes
villes deviennent commerçantes et industrieuses ; où les universités
récemment fondées comptent de nombreux disciples. La France, où l'ordre
et la richesse se développent simultanément, commença à déborder au
dehors. Sans parler de nouveau du royaume français de Jérusalem et de
l'empire français de Constantinople, voici le frère de saint Louis,
Charles d'Anjou, qui installe une dynastie française sur le trône des
Deux-Siciles et prépare les longues prétentions des rois de France sur
l'Italie méridionale.
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