Note importante
Il n’est pas dans mes propos d’insulter ni d’offenser de quelque manière que se soit les insulaires de l’Ile de Beauté. Le texte reproduit ci-dessous provient de la Bibliothèque de France- Site Gallica et trouve son origine dans un manuscrit conservé à la bibliothèque de Gène et rédigé par un certain Félice Pinello dans le courant du XVIIIème (vers 1750). Ce texte est reproduit ici avec le seul et unique but : vous divertir.
Note
Ce texte est extrait d'un carnet de notes
contenant l'opinion de Félice Pinello sur un grand nombre de
points et indiquant la façon de résoudre les différents problèmes
de l'administration Corse. Ce qu'il y a de piquant, c'est que
l'auteur eut l’occasion plus tard, comme gouverneur de la Corse
de mettre ses idées en pratique. Ces idées étaient-elles chimériques,
ou Pinello ne sut-il pas les appliquer ?
Toujours est-il
que ce fut sous son gouvernement qu'éclata l'insurrection définitive
qui, tantôt triomphante, tantôt comprimée, jamais vaincue, ne
se termina en réalité que le jour où la Corse devint française.
(Note de M. l'abbé Lettero Bulletin de la société des sciences
physiques et naturelles de la Corse, vol. IV 1887- Imp. Ollagnier,
Bastia)
Considération sur La Corse

La Corse est une île qui a l'étendue
d'un royaume; elle se divise en deux parties : le deçà et le
delà des monts. Cette dernière comprenant à peu près les deux
tiers de l'île. Beaucoup prétendent rattacher le deçà des monts
à l'Italie, le delà à l'Afrique dont il se rapproche davantage;
mais pratiquement, l'île entière se rattache à l'Italie, en
raison surtout du pays qui la gouverne.

Dans leurs façons de s'habiller, de porter
le turban, dans leurs cérémonies mortuaires où les femmes interviennent,
leurs danses, leur teint sombre et dans bien d'autres particularités
aussi, les habitants de l'au delà des monts tiennent en effet
des Maures qui ont laissé nécessairement beaucoup de traces
dans le pays, dont ils ont autrefois trafiqué despotiquement,
surtout dans cette région. Ajoutons que les gens de l'au delà
sont plus maniables pour la justice que ceux de l'en deçà.
Dans cette étude des Corses, il convient d'abord de se rendre
compte de leur caractère et particulièrement de leurs défauts
pour être à même de les corriger. D'une manière générale, et
à part certaines exceptions tant dans le bien que dans le mal,
les Corses sont attachés à leur Prince, respectueux de la justice
formelle, surtout quand elle est rendue avec impartialité ;
mais ils ignorent la justice naturelle. Certaines familles sont
accessibles à toutes les influences : il faut en chercher la
raison dans les lieux où elles habitent, le nombre de leurs
parents : d'où difficulté des captures, à moins de n'y employer
beaucoup de bras.
D'un naturel guerrier et belliqueux, ils
sont très aptes au métier des armes où ils réussissent bien,
à cause de leur grande estime pour la renommée et le point d'honneur;
mais ils sont indolents et n'exercent aucun métier; dès qu'ils
sortent de leur île, ils sont aussi propres qu'en Corse, ils
étaient sales, s'apprivoisent et se domestiquent quelquefois
trop.


Ordinairement ils sont maigres et petits
: la même remarque s'applique à leurs bêtes. Les végétaux, au
contraire, affectent des formes plus grandioses. Je suppose
que chez les premiers cette particularité est due aux tribulations
qui leur viennent de leurs inimitiés; tandis que pour les seconds,
la raison doit être cherchée dans la vigueur du terrain peu
fatigué par la culture. Chez eux, aucune vivacité dans la coloration
de leur teint et la manifestation de leur joie ; il faut en
attribuer la cause au soleil qui les frappe plus d'aplomb qu'en
Terre Ferme et à leur habitude continuelle de ruminer leurs
pensées. Ils ne peuvent s'empêcher de publier certains secrets
dont l'aveu leur fait une renommée de bravoure : c'est même
la seule façon de découvrir les nombreux méfaits qu'ils commettent
; mais, quand ils sont pris, ils nient sous n'importe quel tourment;
aussi, la torture ne réussit pas, en général, au lise, car le
Corse n'avoue presque jamais.
Ils se font une règle d'observer
la foi jurée, mais c'est surtout par crainte de la personne
à qui ils la donnent plus que pour tout autre motif. Très jaloux
de leur réputation, ils le sont aussi beaucoup de leurs femmes
et ils regardent comme une vilenie de les offenser, même quand
ce sont les femmes de leurs ennemis mortels.
Les vols sont
rares dans ce pays, et quand il s'en commet, ils sont presque
toujours imputables aux étrangers.


On ne trouve pas de sbires parmi eux
; cependant on y compte fort peu de saints. Chez les paysans
surtout, la malignité est grande, leur bouche est toujours pleine
de fiel, facilement ils disent des mensonges et des impostures
et ils savent colorer agréablement des inventions malignes :
un fait est d'autant mieux arrangé qu'il est plus faux ; aussi
est-il très difficile d'obtenir d'eux la vérité sincère, celle
qui apporte la paix.
Même les vilains les plus abandonnés
et les plus pauvres sont orgueilleux ; ils ont la prétention
d'être bien traités, estimés et honorés comme ils font entre
eux, dans leurs causeries, où ils se traitent toujours de seigneurs
: c'est ainsi qu'en Terre Ferme ils arrivent à se concilier
l'amour du beau sexe qui est cependant très orgueilleux.
Devant le travail matériel, ils sont lâches, surtout quand il
s'agit de porter des fardeaux. « C'est le propre des bêtes,
» disent-ils; et tous, même les plus infimes ont soin d'avoir
une monture.
Leur souci des provisions ne va pas au delà
de leurs besoins annuels et ils ne cultivent jamais davantage.
Chacun sait qu'ils sont paresseux ; ils sont très insinuants
et quand ils ont gagné la confiance de quelqu'un, ils en abusent
quelquefois ; pourtant ils ont un esprit perspicace et délié,
qualité qu'ils doivent, je suppose, à la pureté de l'air qu'ils
respirent; même les plus déguenillés savent parler avec à-propos,
beaucoup mieux que les paysans de Terre Ferme.
Ils réussissent
admirablement dans l'exagération et la flatterie, ou ils s'exercent
journellement chez eux dans leurs réunions oisives.


Il y a dans l'île quelques endroits dangereux
et infestés. A citer particulièrement : 1° La région du Niolo
et, notamment dans celle-ci, la commune de Casamiccioli qui
relève de la juridiction de Corte. Elle est composée en grande
partie de bergers très hardis, qui n'ont d'autre ressource agricole
que la production du blé, car ils habitent au sein des plus
âpres montagnes de la Corse ; l'hiver surtout, ils se répandent
avec leurs troupeaux dans tous les pâturages et les plages de
la région, et comme ils sont toujours réunis en bandes armées
dans les campagnes les plus reculées et les plus boisées, ils
commettent délits et violences; sur les plages, il est difficile
de les contenir sans vaisseaux; dans les montagnes, la difficulté
est encore plus grande, car leur accès est périlleux et lointain.
Le délit qu'ils commettent le plus souvent consiste à se
faire justice eux-mêmes, en manière de représailles.
Les
lieux suivants sont des repaires de voleurs :
1 - Noceta,
de Corte;
2 - Canevaggia, de la juridiction de Bastia;
3 - Isolaccio, de celle d'Aleria;
4 Oreto et Ficaggia,
endroits peuplés de gens sanguinaires et turbulents, appartenant
tous deux à la juridiction de Bastia. Toutes ces localités sont
comprises dans la région en deçà des monts. Dans l'au delà des
monts, il faut citer : 6° Zicavo, village de maisons, qui abrite
beaucoup de voleurs; 7° Palneca, à la population turbulente.
La juridiction de Sartène est aussi infestée par beaucoup de
voleurs. D'une manière générale, plus les habitants sont éloignés
des cours de justice, plus ils ont de tendance à commettre des
délits Dans les villes cependant, nombreuses sont les personnes
discrètes et civilisées, surtout à Bastia, qui compte beaucoup
de familles originaires du pays génois où elles sont encore
apparentées. La plupart des ouvriers sont de la Terre Ferme
ou de pays étrangers. On les désigne sous la dénomination de
Lucquois; ils viennent travailler une grande partie de l'année,
et emportent ensuite beaucoup d'argent dans les domaines d'autres
princes. Il serait peut-être bon, à ce propos, de renvoyer les
ouvriers qui ne sont pas domiciliés dans le pays et de n'admettre
que ceux dont l'intention est de s'y fixer; ou alors de permettre
l'accès de l'ile à des ouvriers, sujets des États Sérénissimes.


De toutes façons, l'agriculture devrait être, comme toujours, la première maxime de l'État, tant pour le bien public que pour celui des particuliers; et l'on ne devrait rien négliger pour sa prospérité. Elle arracherait les gens à l'oisiveté, mère de tous les vices, et en Corse particulièrement, mère de toutes les haines et de toutes les inimitiés. Elle retiendrait les habitants qui prendraient goût à leurs travaux et aux bénéfices qu'ils en retireraient; ce serait de plus un moyen de les détourner du service des princes étrangers, car ils sauraient ne pas trouver ailleurs vie plus facile et plus abondante. Les étrangers seraient admis à concourir au commerce, à l'approvisionnement, aux travaux de toute sorte. Le trésor public profiterait énormément de l'augmentation des tailles et des gabelles d'entrée et de sortie qui grandiraient en proportion des personnes et des échanges; et puis, dans tous les cas « expedit Reipublicœ habere subditos dives. » L'agriculture et le métier des armes sont incompatibles; l'une exclut l'autre. Or, le dernier édit qui a prohibé les armes à feu aux insulaires, a eu pour conséquence de faire prospérer l'agriculture dans des proportions notables. L'examen des registres fait chaque année depuis ladite prohibition, l'a démontré. Il faut donc croire que, s'attachant à leurs cultures, les Corses se sont un peu départis de leur affection native pour les armes ; ils pourront donc de moins en moins désirer prendre du service chez les princes étrangers et nous ne les verrions peut-être plus commettre aussi facilement des délits, prétextes pour eux de quitter l'ile et de suivre leurs inclinations naturelles, nées et accrues dans leur oisiveté.

Il semblerait à première
vue que les écoles de belles-lettres soient nécessaires et désirables
: elles élèvent les esprits; mais celles que les RR. PP. Jésuites
ont créées à Ajaccio et à Bastia sont suffisantes pour le pays.
Si, comme dans les autres royaumes, on introduisait en Corse,
des écoles enseignant au delà des premiers rudiments, on arriverait
à ce résultat que la jeunesse se détacherait de la terre ; arrivés
à l'âge adulte, les jeunes gens ne voudraient plus retourner
à la charrue et alors on arriverait aux deux absurdes suivants
:
1° il faudrait travailler pour les sujets lettrés, qui
autrement auraient labouré pour eux et pour les autres ;
2° lesdits sujets lettrés entreraient dans les ordres en nombre
plus grand qu'il ne faut De cette façon la juridiction scolaire
serait augmentée, et le nombre de ses ennemis croîtrait d'autant;
de plus, la partie la plus tranquille et la meilleure de nos
sujets serait perdue pour la République et il ne resterait plus
que les sujets les plus inquiets pour peupler l'île d'une race
toujours pire.
On devrait plutôt introduire en Corse des
arts manuels, même des arts délicats, car l'esprit de ce peuple
l'est aussi. Les produits pourraient en être exportés. La soie,
par exemple, y réussit bien; on y créerait des provisions abondantes
de feuilles et on trouverait ainsi une occupation pour les femmes,
dans les périodes de morte-saison, comme cela se pratique dans
certaines régions du cap Corse Mais l'agriculture est le premier
objectif que l'on doit avoir, car c'est le moyen le plus rapide,
le plus sûr, celui qui offre le plus de garanties; il est plus
loisible de commencer par elle, car les terrains y sont pleinement
disposés » Si les bêtes sont petites, les végétaux au contraire
sont grandioses; de partout ils poussent à l'envi et s'élèvent
à merveille en touffes serrées. Les orangers et les citronniers,
dans les endroits humides, poussent mieux qu'à San Remo, qui
fournit la moitié du monde; il en est de même des oliviers qui
produisent de l'huile en abondance, des mûriers qui pourraient
fournir de nombreux vers à soie; du reste, dans ce pays tous
les arbres et tous les fruits viennent bien.

Les ecclésiastiques,
et surtout les curés, encouragent les aventures et souvent les
haines ; ils protègent les gens confisqués et armés. Les corriger
en secret. Ce n'est pas une bonne chose d'avoir plus de prêtres
qu'il n'en faut. Beaucoup de curés tirent de leurs cures deux
et trois mille francs de revenus ; cela leur coûte quelquefois
cher à Rome. Que dans les commencements, ils aient été aussi
favorisés, cela est à peine croyable; mais ils doivent ces richesses
à l'augmentation des dîmes et à la prospérité des cultures.
On pourrait à ce propos refaire la répartition des pensions.
Pour les séculiers, ils peuvent aliéner les biens de l'Église
ou des œuvres pies; leurs supérieurs n'y mettent aucune entrave;
ils ont aussi, quand ils ont fait des acquisitions, le droit
de les aliéner sans l'autorisation de Rome.. La vengeance est
un point d'honneur diabolique qui fait aux Corses une obligation
indispensable à leur réputation, d'avoir à se laver de toute
offense, soit contre celui qui en est l'auteur, soit contre
un de ses parents consanguins jusqu'au 3e degré inclus. Les
parents éloignés et les alliés n'entrent pas dans la catégorie.
La vengeance ne s'exerce pas non plus contre les femmes et les
religieux cloîtrés, mais elle peut atteindre les prêtres. Ces
derniers et les chefs de famille comptent double; alors, si
dans la perpétration de la vengeance, la qualité de l'offense
venait à être dépassée soit dans le mode, le nombre ou la personne,
il faut la compenser par une autre offense : de cette façon
la chaîne s'allonge et les offenses sont cataloguées dans les
esprits. Les collatéraux entrent en ligne lorsqu'un parent de
l'offensé offense à son tour un parent de l'offenseur. Tout
cela a mis le gouvernement dans la nécessité de nommer des commissaires
qui exercent une juridiction collatérale conforme au délit.
Les commissaires interviennent également dans d'autres délits
atroces La meilleure façon d'en arriver à bout — c'est aussi
la plus difficile — est de faire, en cas de délit, prompte,
sincère et pleine justice dans le châtiment des délinquants,
et cela, dans la mesure du possible, car en Corse la vendetta
provient du manque de justice. Si les choses pouvaient se passer
comme il est dit plus haut, les Corses seraient disposés à l'apaisement;
mais dans le cas contraire, ils se font justice eux-mêmes. Si
donc on pouvait réaliser ces réformes, on aurait de reste des
commissaires, des prohibitions d'armes et des autres formes
anormales et extraordinaires de la justice, imposées par la
nécessité Eu faisant tomber les châtiments et les mortifications
sur les puissants des villes et des campagnes, on aura des exemples.
Un châtiment pareil a plus d'effet que cent autres infligés
à des pauvres gens; tout geste de la main, menaçant ces derniers,
est chose banale ; tandis que, lorsqu'elle atteint les puissants,
la justice frappe des coups de maitre et donne ainsi une idée
de sa force et de son impartialité. Entre le riche et le pauvre,
il faut toujours prendre le parti du pauvre, à condition que
le bon droit soit de son côté. Le riche sait toujours se défendre,
et dans tous les cas, il trouve toujours des protecteurs, ce
que ne peut faire le pauvre qui n'a d'autre ressource, dans
sa faiblesse, que de s'adresser au juge Il convient donc, dans
les affaires de Corse, de s'armer de bonne volonté et de s'en
remettre à Dieu, de faire appel à la vérité qu'il est très difficile
de découvrir, et à la justice vraie et sincère; mais il ne faut
pas se montrer trop scrupuleux et se laisser émouvoir par des
bagatelles. Soyez rigoureux ; mais ne faites que ce que le devoir
vous indique; employez la sévérité et la douceur, quand la raison
d'État est en jeu, et vous verrez que les Corses mesureront
leurs déportements ; mais s'ils remarquent chez vous de la faiblesse,
ils en profiteront pour donner cours à leurs caprices ; ils
se soumettront au contraire à la règle, s'ils vous savent rigoureux.
Ne négligez les avis de personne .et surtout des ministres;
mais agissez suivant les inspirations de Notre-Seigneur, car
les juges, quand ils sont animés de bonnes intentions, ont pour
guide le Saint-Esprit. Gardez le secret dans la mesure du possible,
car la chose est rare en Corse. Fiez-vous à peu de gens. Les
faux témoignages sont nombreux, soit en faveur soit en défaveur
de l'accusé. En résumé, voici quelles sont mes observations :
1° Gardez-vous de la flatterie naturelle aux Corses; par ce
moyen ils ont raison de ceux qui ne s'en méfient, et obtiennent
ce qu'ils désirent ;
2" Gardez-vous également des mensonges
trop fréquents, qu'ils soient verbaux ou écrits, dans les choses
jurées et jugées. Plus la chose est parée et moins elle est
digne de foi. Ne vous abandonnez pas à votre première impression
;
3° Faites de fréquentes tournées de justice;
4° Expédiez
vivement les affaires.
5° La discrétion est une vertu si
rare qu'elle se perd et s'évapore facilement ; ne vous confiez,
si vous pouvez, qu'à un seul et dites-lui bien qu'il est le
seul gardien de vos secrets;
6 Ayez l'air d'écouter les
personnes sûres ; mais ne faites que ce que Dieu vous inspirera.
Vous aurez ainsi la renommée de ne dépendre de personne, et
de ne vous conduire que d'après ce qui advient.
. (1) Mémoires pour servir à l'histoire de la Corse, par le
colonel Frédéric de NEUIIOFF (1768). Londres. Imprimés pour
J. Hooper. libr. dans le Strand.