Ce texte provient de L’Histoire,
la Vie, les Mœurs et les Curiosités - Ouvrage de John Grand-Carteret
publié par la Librairie de la Curiosité et des Beaux Art
- 1928.
Si pour certains, ce récit ne concerne que l'Allemagne,
il relate des faits qui ont eu un impact important dans
notre pays. En effet, c’est à partir de cet étrange commerce
que le moine Luther, profondément indigné par de telles
pratiques, publia la première Bible en langage vernaculaire
et qui est l’origine de la Réforme.
Réforme qui en France,
allait plonger le pays dans un bain de sang pendant plusieurs
siècles. En France, le roi Henri II créait les «Chambres
Ardentes» qui allaient conduire au bucher, ceux que l’Église
appelait «hérétiques».
Plus tard, le roi Louis XIV,
en abrogeant l’Édit de Tolérance, plus connu sous le nom
de « l’Édit de Nantes », plongeait le Sud de la France dans
le chaos et le sang par la révolte connue sous le nom de
« Révolte des Camisards »
Nous sommes en Allemagne au début
du XVIème siècle. Une grande agitation régnait
alors parmi le peuple. L'Eglise avait ouvert un vaste marché
sur la terre. A la foule des clients, aux cris et aux plaisanteries
des vendeurs, on aurait dit un marché ou une foire, mais
c'était un marché tenu par des moines ! La marchandise qu'ils
présentaient et qu'ils offraient à bon prix, c'était, disaient-ils,
des indulgences pour le salut des âmes. Les marchands d'indulgences
parcouraient le pays dans de belle voiture, accompagnés
de trois cavaliers, menant grande vie et faisant de fortes
dépenses. On aurait dit un prince en tournée, avec sa suite
et ses officiers, et non un vulgaire marchand. Quand le
cortège s'approchait d'une ville, un envoyé se rendait auprès
des autorités: "La grâce de Dieu et du saint Père le Pape
est devant vos portes" disait l'envoyé. Aussitôt c'était
le branle-bas dans l'endroit. Le clergé, les prêtres, les
nonnes, les maîtres d'école, les étudiants, les corps de
métier avec leurs drapeaux, hommes et femmes, jeunes et
vieux, allaient à la rencontre des marchands, tenant en
main des cierges allumés, s'avançant au son de la musique
et de toutes les cloches, « de manière, dit un historien,
que l'on n'aurait pu recevoir plus grandement Dieu lui-même.»
Les salutations faites; tout le cortège se dirigeait vers
l'église. La bulle de grâce du Pape était portée en tête
sur un coussin de velours, ou sur un drap d'or. Le chef
des marchands d'indulgences venait ensuite, tenant en mains
une croix rouge en bois. Toute la procession cheminait ainsi
au milieu des chants, des prières et de la fumée des parfums.
Le son des orgues et une musique retentissante recevaient
dans l'église la procession, la croix qu'il portait était
placée devant l'autel : on y suspendait les armoiries du
Pape, et pendant tout le temps qu'elle demeurait là, les
membres du clergé du lieu venaient chaque jour, lui rendre
honneur, en portant à la main de petits bâtons blancs. Cette
grande affaire excitait une vive sensation dans les tranquilles
cités germaniques. Un personnage attirait surtout l'attention
des spectateurs dans ces ventes. C'était celui qui portait
la grande croix rouge et qui était chargé du rôle principal.
Revêtu de l'habit des dominicains, il se présentait avec
arrogance. Sa voix était retentissante, et il semblait encore
plein de force, quoiqu'il eût déjà atteint sa soixante-troisième
année. Cet homme, fils d'un orfèvre de Leipzig nomme Diez,
s'appelait Jean Diezel ou Johann Tetzel. Il appartenait
à l'ordre des dominicains. Bachelier en théologie, prieur
des dominicains, commissaire apostolique, inquisiteur, haereticoe
pravitatis inquisitor, il n'avait cessé, depuis l'an 1502,
de remplir l'office de marchand d'indulgences. L'habileté
qu'il avait acquise comme subordonné l'avait bientôt fait
nommer commissaire en chef. Il gagnait quatre-vingt florins
par mois ; tous ses frais étaient payés; on lui fournissait
une voiture et trois chevaux ; mais ses gains accessoires,
on le comprend sans peine, dépassaient de beaucoup son traitement.
En 1507, il gagna en deux jours, a Freiberg, deux mille
florins.
S'il avait les fonctions d'un charlatan,
il en avait aussi les moeurs. Convaincu à Innsbruck d'adultère
et de conduite immorale, il fut près d'expier ses vices
par sa mort. L'empereur Maximilien avait ordonné qu'il soit
mis dans un sac et jeté à la rivière. L'électeur Frederic
de Saxe étant intervenu, il obtint sa grâce. Mais la leçon
qu'il avait reçue ne lui avait pas profité. Il menait avec
lui deux de ses enfants (NDLR: adultérins. les moines faisant
voeu de chasteté). Millitz, légat du Pape, cite ce fait
dans une de ses lettres. Il aurait été difficile de trouver
dans tous les cloîtres de l'Allemagne un homme plus propre
que lui au commerce d'indulgences dont on le chargea. A
la théologie d'un moine, au zèle et à l'esprit d'un inquisiteur,
il unissait la plus grande effronterie ; et ce qui lui facilitait
surtout sa tâche, c'était l'art d'inventer de ces histoires
bizarres par lesquelles on captive l'esprit du peuple. Tout
moyen lui était bon pour remplir sa caisse. Enflant la voix,
il offrait à tout venant ses indulgences, et savait mieux
qu'aucun marchand de foire faire valoir sa marchandise.
Quand la croix avait été dressée et que les armes du Pape
y étaient suspendues, Tetzel montait en chaire, et d'un
ton assuré il se mettait à exalter la valeur des indulgences,
en présence de la foule que la cérémonie avait attirée dans
le lieu saint. Le peuple crédule écoutait, et ouvrait de
grands yeux à l'ouïe des vertus admirables qu'il annonçait.
Ecoutons une des harangues qu'il prononçait:
« Les
indulgences, dit-il, sont le don le plus précieux et le
plus sublime de Dieu. Cette croix (en montrant la croix
rouge) a autant d'efficace que la croix même de Jésus-Christ.
Venez, et je vous donnerai des lettres munies de sceaux
(les indulgences), par lesquelles les péchés mêmes que vous
auriez envie de faire, à l'avenir, vous seront tous pardonnés,
Je ne voudrais pas échanger mes privilèges contre ceux de
saint Pierre dans le ciel; car j'ai sauvé plus d'âmes par
mes indulgences, que l'apôtre par ses discours. Il n'y a
aucun péché si grand que l'indulgence ne puisse le remettre;
et même, si quelqu'un, ce qui est impossible sans doute,
avait fait violence a la sainte Vierge Marie, mère de Dieu,
qu'il paye bien seulement, et cela lui sera pardonné (Tetzel
défend et maintient cette assertion dans ses antithèses,
publiées la même année. Th. 99, 100 et 101.). La repentance
n'est pas même nécessaire. Mais il y a plus: les indulgences
ne sauvent pas seulement les vivants, elles sauvent aussi
les morts. Prêtre! Noble! Marchand! Femme! Jeune fille!
Jeune homme! Entendez vos parents et vos proches qui sont
morts et qui vous crient du fond de l'abîme : "Nous endurons
un horrible martyre! Une petite aumône nous délivrerait
; Vous pouvez la donner, et vous ne le voulez pas!" On frémissait
à ces paroles prononcées par la voix formidable du moine
charlatan. A l'instant même, continuait Tetzel, Que la pièce
de monnaie retentit au fond du coffre-fort, l'âme part du
purgatoire et s'envole délivrée dans le ciel. O gens imbéciles
et presque semblables aux bêtes, qui ne comprenez pas la
grâce qui vous est si richement présentée!... Maintenant
le ciel est partout ouvert !... Refuses-tu à cette heure
d'y entrer? Quand donc y entreras-tu ? ... Maintenant tu
peux racheter tant âmes ! Homme dur et inattentif ! Avec douze
gros (gros=pièce de monnaie) tu peux tirer ton père du purgatoire,
et tu es assez ingrat pour ne pas le sauver ! Je serai justifié
au jour du jugement mais vous, vous serez punis d'autant
plus sévèrement, pour avoir négligé un si grand salut. Je
le déclare, quand tu n'aurais qu'un seul habit, tu serais
obligé de l'ôter et de le vendre, afin d'obtenir cette grâce...
Le Seigneur notre Dieu n'est plus Dieu. Il a remis tout
pouvoir au Pape. Puis, cherchant à faire usage d'autres
armes encore, il ajoutait : Savez-vous pourquoi notre très-saint
Seigneur distribue une si grande grâce ? II s'agit de relever
l'église détruite de Saint-Pierre et Saint-Paul, en sorte
qu'elle n'ait pas sa pareille dans l'univers (NDLR: Michel
Ange était en train de décorer les plafonds de la chapelle
Sixtine). Cette église contient les corps des saints apôtres
Pierre et Paul et ceux d'une multitude de martyrs. Ces corps
saints, par l'état actuel de l'édifice, sont maintenant,
hélas continuellement battus, inondés, souilles, déshonores,
réduits en pourriture par la pluie, par la grêle... Ah!
ces cendres sacrées resteront-elles plus longtemps dans
la boue et dans l'opprobre ? »
Cette description ne manquait pas
de faire impression sur plusieurs. On brûlait du désir de
venir à l'aide du pauvre Pape Léon X, qui n'avait pas de
quoi mettre à l'abri de la pluie les corps de saint Pierre
et de saint Paul. Alors l'orateur s'élevait contre les ergoteurs
et les traîtres qui s'opposaient à son oeuvre : «Je les
déclare excommuniés !» s'écriait-il. Ensuite, s'adressant
aux âmes dociles, et faisant un usage impie de l'Ecriture:
«Bienheureux sont les yeux qui voient ce que vous voyez,
car je vous dis que plusieurs prophètes et plusieurs rois
ont désiré voir les choses que vous voyez, et ils ne les
ont pas vues, et d'entendre les choses que vous entendez,
et ils ne les ont point entendues !» s'écriait-il. Et pour
terminer, montrant le coffre-fort où l'on recevait l'argent,
il concluait d'ordinaire son pathétique discours, en adressant
à trois reprises au peuple cet appel : Apportez (l'argent) !
Apportez ! Apportez !
II criait ces mots avec un si
horrible beuglement, écrit Luther, qu'on aurait dit un taureau
furieux qui fondait sur les gens et les frappait de ses
cornes. Quand son discours était fini, il descendait de
chaire, courait vers la caisse, et, en présence de tout
le peuple, y jetait une pièce d'argent, qu'il avait soin
de faire sonner bien fort. Tels étaient les discours que
l'Allemagne étonnée entendait aux jours où Dieu préparait
Luther. Le discours termine, on se pressait en foule vers
les confesseurs. On venait, non pas avec des coeurs contrits
d'avoir péché, mais avec une pièce de monnaie dans la main
acheter une indulgence. Hommes, femmes, petits, pauvres,
ceux même qui vivaient d'aumônes, chacun trouvait de l'argent.
Les moines, après avoir expose de nouveau a chacun en particulier
la grandeur de l'indulgence, adressaient aux pénitents cette
demande : « De combien d'argent pouvez-vous en conscience
vous priver pour obtenir une si parfaite rémission ? » Cette
demande, dit l'instruction de l'archevêque de Mayence aux
commissaires, cette demande doit être faite dans ce moment,
afin que les pénitents soient disposés au mieux à contribuer.
Du reste, c'étaient toutes les dispositions requises. Tetzel
et ses compagnons se gardaient bien de faire mention de
repentance du coeur et de confession de la bouche : leur
bourse serait restée vide. L'instruction archiépiscopale
défendait même de parler de conversion ou de contrition.
La grâce que nous vous annonçons, disaient les commissaires,
d'après la lettre de leur instruction, est le pardon complet
de tous les péchés : et on ne peut rien nommer de plus grand.
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