La Loire


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Carte de la Loire

Escarpé, rocailleux, infertile, le Mont Gerbier de Jonc doit son nom aux plantes pressées en touffes épaisses sur un marécage désolé qui le couronne. A cinq cents pas au sud-est de sa masse rébarbative, une petite fontaine surgit parmi les pierres volcaniques et se fraye un passage dans les verdures du vallon Sainte-Eulalie. Elle jauge environ 14 centimètres. C'est la Loire en son berceau, c'est le plus grand fleuve de France.
La Loire, symbole de sensualité, de douceur, de raffinement... En attendant de le devenir, elle fait l'apprentissage de l'austérité. La voici entre des hauteurs abruptes au sommet desquelles se perchent d'humbles villages. La voici, ayant déjà pris la force d'un torrent, au pied d'une coulée basaltique dont la partie supérieure dessine un temple grec. Plus haut encore subsistent les tours du château d'Arlempdes, captif de deux montagnes.

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château d'Arlempdes

Ce Velay que traverse la Loire supérieure est une terre miraculeuse dont les roches prodigieusement variées conservent les traces de vingt siècles. Le mont Anis, qui a porté peut-être un temple gallo-romain et vu célébrer le culte druidique, fut, selon la tradition, choisi par Notre-Dame pour devenir le théâtre de nombreux prodiges. Au VIème siècle, saint Vosy y fonda la ville du Puy vers laquelle devaient affluer les foules.

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Le cloitre de l'église du Puy

Tous les grands conflits du Moyen Age et de la Renaissance jusqu'à la fin des guerres de Religion éveillèrent de terribles échos en la ville des dentellières, aujourd'hui somnolente parmi les vestiges de son passé, ses venelles, ses escaliers, ses pavés de lave rouge, ses places semblables à des cours de couvent, le sarcophage qui contient les entrailles de du Guesclin, et la statue de La Fayette Les cortèges, les processions éblouissantes montaient vers la cathédrale. Pendant des siècles, les pèlerins partis de tous les horizons de la chrétienté sont venus contempler le grand portail roman, ses cinq étages d'arcades, ses piliers aux chapiteaux grotesques ornés d'une marqueterie de laves rouges, bleues et noires. Ils ont prié dans l'église dont la nef se partage en travées sous les coupoles oblongues d'une hauteur vertigineuse. Ils ont médité dans le cloître du IXème siècle marqueté de pierres multicolores. Ils ont observé non sans terreur les mascarons où paraissent les figures des habitants de l'enfer, telles que les conçurent des artistes proches du délire.

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Un cour d'eau

La Loire reste grave, sévère, imprégnée des souvenirs du Moyen Age tandis qu'elle passe devant le dyke de l'Aiguille, cône de laves stratifiées haut de 85 mètres que domine l'église Saint Michel ; devant les ruines du château de Polignac, plus évocatriœs d'une féodalité brutale que de la frivole et dangereuse amie de Marie-Antoinette ; à travers un chaos de laves, de granits, de trachytes d'où s'élèvent des volcans morts
Encore des églises romanes, des forteresses écroulées. Puis le fleuve, ayant atteint le maximum de sa pente, reçoit les eaux du Lignon, qui, malgré la douceur de son nom, arrose des régions aux hivers rudes. Il enveloppe l'ilede la Garenne et les ruines sauvages de la Roche Baron. Il quitte le Velay pour entrer dans le Forez sous le regard du château de Monistrol, jadis résidence des évêques du Puy, dont la terrasse domine la vallée. C'est une bâtisse de style renaissance. La Loire en a terminer avec les temps héroïques, l'exaltation religieuse et les convulsions de la nature.
Au voyageur du passé, le Forez rapelle l'Arcadie du XVIIème qu'Honoré d'Urfé, l'auteur de l'Astrée peuple de nymphes et de bergers amoureux. Mais la Loire reste au cœur des temps modernes, tandis qu'elle roule à travers des gorges étroites. Saut du Pinel, Saut du Perron et arrose une campagne médiocre. Les villes de la région sont en effet des centres industriels, depuis Feurs, jadis colonie romaine, jadis capitale du Forez, jusqu’à l’opulente Roanne. Les argiles de la régions comptent parmi les meilleurs. Ainsi les briqueteries, les tuileries, les usines de céramique y abondent, cependant que le tissage du coton et de la bonneterie forment un puissant complexe industriel.

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Le Saut du Perron

De Pouilly-sous-Charlieu à Decize (Nièvre), le fleuve sert maintenant de frontière entre la la Bourgogne et le Bourbonnais. A sa droite s'épanouit l'ancien duché de Charles le Téméraire dernière forteresse d'une féodalité qui refusait l'unité française. La fatalité des lieux y a définitivement été vaincue, car quelle province est aussi représentative du génie national que ce pays de l'éloquence, du vin et des grandes abbayes, cette mère de Cîteaux et de Lamartine, de Cluny et d'Edgar Quinet, de saint Bernard et de Buffon ?
La Loire s'est élargie considérablement. Plate et sablonneuse, elle enveloppe paresseusement de grandes îles et poursuit son cours entre des bassins houillers (Decize), des fonderies fumantes (Imphy), de vieilles églises, des châteaux en ruine et de fraîches verdures. Elle a gagné le Nivernais, qui, voilà trois siècles, ne faisait pas encore partie de la France. Sa capitale, Nevers, porte un nom attaché à une variété de porcelaine. Son destin agité eut également ceci de gracieux qu'il dépendit presque constamment de jeunes princesses et de leurs mariages. Depuis les Carolingiens, Nevers fut ainsi l'apanage de multiples familles.
On y peut rêver pêle-mêle à Jean sans Peur, assassin de Louis d'Orléans ; aux princesses de Clèves, perles de la cour des Valois, ou à Mazarin, enfin, acquéreur du duché en faveur de son neveu Philippe Mancini, premier en date des favoris équivoques de Monsieur, frère de Louis XIV. De ce passé tumultueux subsistent le palais ducal, les portes du Croux, la tour Saint-Eloi, une cathédrale disparate, de vieux puits, des maisons séculaires et un art de la confiserie issu des anciennes communautés religieuses.
La Loire s'est alanguie. Inégalement large, encombrée de bancs de sable, elle paraît immobile entre des coteaux où les vignobles alternent avec de petites villes paisibles. Parmi ces dernières, La Charité se dresse à l'extrémité d'un pont qui subit mainte bataille. Là se déchaînèrent les fureurs des guerres de Religion, La Charité étant « place de sûreté » protestante. Quand ses troupes la prirent, en 1577, Henri III présida un banquet extraordinaire : nul convive ne portait les habits de son sexe, la teinte uniforme des costumes était le vert, couleur des fous.

Une merveilleuse quiétude règne à présent sur cette région que foulèrent tant de guerriers sauvages. La Loire se développe, s'étire à la manière des luxuriantes beautés qu'aimaient peindre sans voiles les artistes de ce XVIème siècle qui lui donna le meilleur de sa gloire. Elle s'allonge entre des prairies, des vignes, des champs, d'humbles collines avant de rencontrer les gâtines, marécages creusés par les pluies, auxquels le Gâtinais doit son nom. Autour d'elle continuent à flotter les souvenirs des Valois et de la Fronde. Cette terre si française est une de celles où les Français semblent avoir éprouvé une joie particulière à s'entre-détruire.
Briare, active, commerçante, installée au bord du fleuve, évoque surtout Henri IV. « Le Vert Galant » fit creuser son canal qui rejoint en son port le canal latéral. Il ordonna aussi de planter force mûriers à l'entour, malgré les récriminations de Sully, violemment opposé à la passion de son maître pour cet arbre.
Gien se répand, en quelque sorte, au pied de son château dont les pierres et les briques forment en noir et rouge des figures géométriques. Plusieurs épisodes marquants de la guerre de Cent Ans eurent ce décor. C'est de Gien que partirent

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Le Château d'Amboise

Charles VII et Jeanne d’Arc vers Reims et le sacre. Aujourd’hui Gien ne compte plus guère, sinon dans le domaine de la faïence. Mais quelques vieilles rues, de vieilles maisons, rescapées des batailles, des destructions et de la marche du temps, permettent encore à l’imagination d’y susciter les personnages illustres qui la hantèrent. La Loire est maintenant arrivée au point où, si l’on peut dire, elle a pleinement trouvé sa personnalité. La voici telle qu’elle fut décrite et chanté d’âge en âge depuis César jusqu’à Péguy « La Loire dont les ondes bleuâtre arrosent le pays du blond Carnute » (Tibulle), la voici bleue et blonde elle-même, molle paresseuse, capricieuse, volontiers perfide, majestueuse avec abandon, sensuelle, féminine.
Il s'agit, cependant, d'un fleuve redoutable aux colères dévastatrices et soudaines. Nul autre en France n'a causé des ravages comparables à ceux de ses inondations. Nul, en des fureurs trop fréquentes, n'a jeté pêle-mêle à l'Océan tant de cadavres et de ruines.

Il s'agit aussi d'un des grands relais de l'histoire. Longtemps la Loire fut une frontière. Jusqu'à la fin du Moyen Age on trouva, de part et d'autre de ses rives, des caractères, des meurs, des aspirations, des langages différents. Pendant la guerre de Cent Ans et l'occupation anglaise, le fleuve marqua pratiquement la limite entre la France bourguignonne, qui acceptait la domination du conquérant, et la France armagnaque et angevine, résolue à demeurer elle-même.
Les Valois, en faveur desquels le débat fut tranché, eurent tendance à y établir le point d'appui de leur gouvernement. De Charles VII à Henri III, les bords de la Loire devinrent les rivaux de Paris, une province-capitale où se reflétaient les goûts nomades des souverains. La Loire symbolisait cette monarchie perpétuellement errante de ville en ville, de château en château, suivie de ses ministres, de ses ambassadeurs, de sa cour, de son mobilier, de ses meutes. Une monarchie qui conservait un contact étroit avec chaque partie du royaume.
Quand les Bourbons se fixèrent en Ile-de-France et abandonnèrent pour leur malheur cette tradition vagabonde, la Loire cessa d'être au centre des grands événements politiques. Mais les invasions troublèrent de nouveau son repos. En 1870-1871, au temps des armées de Chanzy, on put croire un moment que le XVème siècle recommençait et que la vague ennemie se briserait devant elle. La même illusion fut nourrie - peu de temps, hélas ! en 1940.

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Le château de Clisson

L'esprit accepte mal ces souvenirs tragiques lorsque, sous un soleil léger, entre des terres fraîches, plates et vertes, le fleuve atteint la région bénie où les contemporains de Ronsard et de Brantôme rencontraient leur idéal.
Livrée à elle-même dans la plaine du Val, la Loire aurait· le comportement du Nil. Ignorant les trompeuses limites que semblent marquer les ondulations du sol, elle trouverait un immense lit naturel aux époques de ses crues subites et redoutables ; elle se déverserait, s'étalerait en immenses nappes d'eau, de limon et de sable. S'il ne l'a pas réellement domptée, l'homme s'est évertué à prévenir ses désordres à grand renfort de digues, de canaux, de levées (turcies). Le fleuve réduit garde cependant une largeur de 250 à 300 mètres et sa hauteur augmente tandis qu'il traverse les lieux où s'entassent, se chevauchent les souvenirs d'un millénaire.
Le puissant château de Sully flanqué de ses tours féodales rappelle d'abord Charles VII et Jeanne d'Arc qui manquèrent là une ultime tentative de compréhension mutuelle avant le départ de la Pucelle pour Compiègne, la défaite et le bûcher. Il rappelle surtout la grandeur du ministre d'Henri IV et son caractère altier, farouche, tyrannique. Après l'assassinat du roi, cet homme célèbre pour son économie mena une vie dont le faste confond. Il ne faisait pas le tour de son parc sans être précédé de hallebardiers et de suisses, tambours battants.

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L'abbaye bénédictine de Fleury

L'épanouissement de la clairière de Saint-Benoît-sur-Loire au milieu des broussailles de la Sologne du Nord est une saisissante manifestation de la puissance créatrice de la Loire. Les champs découverts sont favorables aux cultures ; d'autres, parce que humides, sont consacrés aux prairies, à l'élevage. L'agglomération s'est développée sur une butte insubmersible. L'abbaye bénédictine de Fleury, chef-d'œuvre de l'art roman, était déjà célèbre au temps des Mérovingiens. Elle recevait sous Charlemagne des centaines d'écoliers. L'admirable église romano-ogivale, d'un beau ton mordoré, reflète toute la poésie du Moyen Age avec son péristyle ouvert que soutiennent d'énormes colonnes, sa magnifique porte de la façade nord, ses statues, ses lambeau d'Antiquité mêlés à la fable et à l’Apocalypse, ses démons et ses sphinx campés parmi des images fort réalistes.
Nous nous sommes écartés de la Loire. Rejoignons-la devant le château de Chaumont, qui dresse au-dessus d'elle ses tours d'angle coiffées en éteignoirs, ses créneaux, ses mâchicoulis et ses corniches. La Loire a doucement glissé jusqu'à la noble et plantureuse Touraine. Paysage de ciel, de verdure et d'eau, horizons clairs et monotones : c'est la terre grasse, spirituelle, narquoise, féconde de Rabelais, de Balzac, de Paul-Louis Courier. La malice y aiguise le bon sens, la volupté n'y cherche point de piments exotiques, la gourmandise s'y épanouit, triomphante, le vin y est léger, le climat a peu de fantaisie. L'histoire de France s'est faite en cette province depuis les temps gallo-romains. Haute, silencieuse, se reposant, semble-t-il, de ses agitations passées, Amboise est l'une des premières à susciter des fantômes. Son château, rebâti selon le goût italien au début de la Renaissance, domine une haute terrasse de murailles grises. C'est le souvenir de la conjuration ourdie en 1560 par un groupe de protestants, c'est le souvenir horrifiant de la répression qui enveloppe le château endormi, Du haut de ses balcons le jeune François Il, la divine Marie Stuart, Catherine de Médicis et une cour étincelante, regardèrent longuement les pendus se balancer aux gargouilles, tandis que, plus bas, des têtes roulaient sur l 'échafaud.

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La Loire

Il est pénible de s'attarder à de telles images. Mieux vaut se recueillir en la jolie chapelle, suprême asile de Léonard de Vinci, au terme de vicissitudes innombrables. Le fleuve roule vers Tours, côtoyant la pagode de Chanteloup dressée par Choiseul en l'honneur des processions de mécontents venus saluer son exil, passant devant Vouvray, évocateur de joies bachiques. « Tours, a dit Balzac, semble, comme Venise, sortir du sein des eaux. » Cette douce cité a cruellement souffert de la fureur des hommes depuis les invasions barbares jusqu'à la guerre de 1940, qui l'a ravagée. L'historien y cherche d'abord l'abbaye de Marmoutier, fondée par saint Martin. Aujourd'hui disparue, cette abbaye fut la plus puissante, la plus vénérée du haut Moyen Age, « le Delphes de la France », fertile en oracles et en miracles, but de pèlerinages incessants. Il en reste la tour, le magnifique portail et un ensemble de grottes qui reçoit encore les fervents de saint Martin.
La cathédrale, l'ancien hôtel de ville, actuellement musée, la place Plumereau et ses vieilles maisons miraculeusement épargnées font défiler pêle-mêle les siècles et cent figures évanouies. Tours ne semble pas sentir ce passé écrasant. Ayant pansé ses blessures, elle continue cette vie dont l'essence a peu changé depuis la Comédie humaine, elle maintient la renommée qui s'attache à ses tissus, à ses confiseries et à ses rillettes. Son importance de ville moderne tient surtout à la gare de Saint-Pierre-Des-Corps, magistral nœud de circulation, lieu de triage au centre du trafic entre l'Ouest et l'Est, entre la Bretagne et les régions lyonnaise, méditerranéenne.
Assez loin sur sa gauche, la Loire a laissé Chenonceaux plein des souvenirs de Diane de Poitiers, de la charmante reine Louise de Vaudémont et de cette fête fantastique pendant laquelle Catherine de Médicis fit servir Henri III par des femmes nues.
A une dizaine de kilomètres de Tours, elle aborde la Gâtine tourangelle, moins riche que le Val, semée de bosquets, d'arbres fruitiers, d'îlots de fertilité. Autour d'elle continuent de se presser des châteaux parfois intacts, parfois en ruine : vestiges de Plessis-lez-Tours, qui vit vieillir et mourir Louis XI dans les brumes d'une affreuse légende; tours sévères de Luynes, qui doit son nom au fauconnier de Louis XIII devenu duc et connétable; Cinq-Mars, souvenir du château rasé d'un autre favori mort tragiquement d'avoir été trop aimé; Langeais, jadis domaine des du Bellay, protecteurs de Rabelais; Ussé, propriété de Vauban; Azay-le-Rideau, joyau de la Renaissance.
La Vienne court au-devant de la Loire. Avant de la joindre, elle passe au pied de Chinon. Trois châteaux étaient réunis, qui virent Jeanne d'Arc quand elle vint annoncer à Charles VII «de la part de Messire » qu'il était « vrai héritier de France et fils de roi ». Aujourd'hui le lierre assiège les remparts, des manteaux de verdure tapissent les donjons, l'herbe a conquis les salles d'honneur où quatre cents seigneurs superbes regardaient ironiquement la bergère qui parlait de sauver la France et osait montrer ses cheveux. L'endroit reste imprégné de sa fugitive présence.

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La Loire à Gien

Cependant la Loire a pénétré en pays angevin. Le Val est devenu la vallée. Terre féconde pleine de jardins et de vergers. Au nord, la forêt couvre le sol moins fertile de la gâtine. Vers le sud, la craie, les graviers, secs et chauds, d'alluvions anciennes, constituent le domaine du vin de Bourgueil, si cher à Rabelais.
Avant de découvrir l'Anjou, peut-être faut-il s'attarder devant l'abbaye qui contient les dépouilles de ses plus glorieux princes, l'abbaye fondée au début du XII" siècle, Fontevrault. Plus d'un roi voulut y être enterré : même le farouche Richard Cœur de Lion lui légua son cœur. Près de lui gisent Henri II d'Angleterre, Eléonore d'Aquitaine, Isabeau d'Angoulême, femme de Jean sans Terre.
A la frontière de la Touraine et de l'Anjou, la Loire rencontre l'antique église de Candes-Saint-Martin et le château de Montsoreau. L'une, qui recueillit les restes de Saint Martin possède des statues, une couronne de mâchicoulis, un portail roman exquis et singulier, tout percé d’arcatures byzantines. L’autre évocateur des guerres de Religion et surtout d’Alexandre Dumas a gardé l’empreinte du XVIème siècle malgré les profanations modernes.
Le fleuve a fait sa jonction avec la Vienne, venue comme lui du Massif central. Au nord se trouvent les fertiles varennes de Bourgueil ; leurs haies de saules et les petites maisons blanches éparpillées le long des levées. A droite, de grasses prairies, closes d’arbres et de haies vives favorisent l’élevage. Les forêts dessinent des plaques vertes. Celle de Fontevraux domine le plateau. A gauche de la Vienne s'étend un puzzle de champs, cultures, vignes, arbres fruitiers. C'est à Avoine, entre Loire et Vienne, que surgit EDF1, l’importante centrale atomique française.
Aussitôt après cet emblème de la ’civilisation, l'Anjou ramène irrésistiblement le voyageur aux souvenir de l'ancienne France. Cette opulente province agricole productrice d’un vin célèbre, reste un pays de grandes propriétés, de couvents et château. Le plus ancien vestige du passé cette région est sans doute le prodigieux dolmen de Saumur, espèce de grotte artificielle formée de onze pierres énormes.

Tout auprès, Saumur se dresse sur un éperon de craie entre Loire et Thouet. Ses hauts toits d’ardoise aux pentes très aiguës se pressent près du pied du château. C'est le pays des vins qui conservent sa renommée à la ville, avec l'Ecole de cavalerie et une industrie religieuse (chapelets, médailles) vieille de trois siècles. Saumur connut son apogée aux XVI et XVIIème siècles quand, place de sûreté protestante, elle devint une des capitales de la Réforme. La révocation de l’édit de Nantes lui porta un coup cruel, mais, en 1763, l'arrivée du régiment de carabiniers, recruté parmi les meilleurs cavaliers l'empêcha de déchoir. Le Cadre noir continue d’organiser chaque année de célèbres carrousels équestres.
Saumur, paisible depuis bien longtemps, semblait en avoir fini avec la grande histoire lorsque, du 18 au 20 juin 1940, les cadets de l'Ecole de cavalerie y livrèrent. aux Allemands une glorieuse bataille qui lui laissa mainte blessure.

La Loire, jaune et verte, plus majestueuse, plus ample, suit de Saumur à Angers une route jalonnée de ruines et d'édifices singuliers. Les cultures abondent : haricots, petits pois, fraises, qui, dès le mois de mai, égaieront les marchés parisiens. Au loin s'étagent les plateaux, cadres forestiers de la vallée. Les falaises de craie blanche finissent et, brusquement, commencent les vieilles roches du Massif armoricain, les schistes ardoisiers, au cœur desquels furent ouvertes les principales carrières de France. Certaines continuent d'être exploitées à ciel ouvert et beaucoup, envahies par les eaux, forment de grands trous noirs. Mais l'extraction a lieu surtout le long des galeries souterraines.
Située sur la Maine, à 8 kilomètres avant son confluent avec la Loire, la noire Angers, ayant franchi vingt siècles, est le centre d'un commerce actif, que nourrissent les vins, les liqueurs, les légumes, les fruits, les fleurs, les plantes médicinales. La foire aux vins d'Anjou y attire chaque année de fervents connaisseurs. L'industrie textile, âgée de six cents ans- filatures, corderies, tissages reste prospère, et de même la parasolerie.
Mais Angers est d'abord une cité marquée par l'histoire. Au temps des Gaulois, elle rassemblait une tribu de chasseurs et de pêcheurs. C'est de l'époque féodale qu'Angers conserve une empreinte ineffaçable. Son château se dresse, colosse farouche, avec ses dix-sept tours, ses courtines, ses portes voûtées, ses rares meurtrières qui semblent des yeux perpétuellement aux aguets. Le prodigieux édifice sert aujourd'hui de cadre à un festival justement renommé et abrite une collection de tapisseries illustres.

Des tours énormes, largement crevées, qui relient des murs en ruine, ce sont les restes maudits de Champtocé, Gilles de Rais, - Barbes-Bleu – y pratiquait la magie et y satisfaisait atrocement sa luxure sanguinaire.
Saint-Florent-le-Vieil mérite l’attention du voyageur pour des raisons très diverses. Au milieu des hauts toits bleutés d’ardoise, on remarque des toits plats à tuiles creuses. Là se trouve la frontière entre toits à pente douce méditerranéens et toits à charpente aiguë. Les monuments de Cathelineau et de Bonchamps y perpétuent aujourd’hui le souvenir des guerres vendéennes. Ici commence cette lutte fratricide quand, le 10 mars 1793, les paysans ayant refusé d’obéir à la conscription s’insurgèrent contre la République qui prétendait les contraindre à se battre malgré eux. Jamais aucun roi n’avait osé cela.
Juste avant que la Loire traverse le sillon de Bretagne deux cours d’eau la rejoignent, au nord l’Erdre et au sud la Sèvre Nantaise. Les Gaulois reconnurent la valeur de cette position. Une de leurs tributs, celle des Mannètes, a laissé son nom à Nantes, septième ville de France, installée au passage de la Loire fluviale à la Loire maritime. Ville et port, cette rivale de Rennes fut la capitale préférées des ducs de Bretagne. Il lui reste peu de vestiges de sa longue histoire. Le vieux château ducal reconstruit au XVème n’a pas la grandeur de celui d’Angers, mais ses tours basses et ses façades intérieures lui valent une originalité incontestable.
Le jeune roi Charles VIII, que guidait sa sœur Anne de Beaujeu, y assiégea la petite Anne de Bretagne, héritière du duché. Cette princesse de treize ans aimait sans l’avoir jamais vu ; l’empereur Maximilien, auquel on l’avait mariée par procuration.
Alliance qui signifiait l'entrée en Bretagne de troupes allemandes, espagnoles, anglaises, et la ruine probable de l'œuvre de Louis XI. Clochant de tour en tour, Anne appela vainement le bel empereur au souvenir de qui elle ne devait jamais renoncer. Charles VIII prit le château, épousa l'héritière et la province, assura l'unité française.

Pendant la Terreur, Carrier y exerça un proconsulat sauvage. Il admirait fort le fleuve : - Quel torrent! disait-il, quel torrent révolutionnaire que cette Loire!
Aussi la préférait-il à la guillotine.
Malgré de tels souvenirs Nantes est une ville éminemment moderne. D'abord adossée à la rive droite, elle a conquis les îles et les communes avoisinantes. De grands travaux d'urbanisme ont été accomplis depuis 1920 : le cours de l'Erdre, notamment, a été détourné dans un tunnel et aboutit au canal Saint-Félix ; la voie ferrée qui passait en pleine ville à travers 34 passages à niveau a été, elle aussi, installée sous un tunnel. Les blessures dues à la dernière guerre s'effacent. Nantes étend vers l'aval une puissante agglomération industrielle, tandis qu'en amont subsistent les longues îles herbeuses et les vastes prairies.
Le fleuve a pris l'ampleur d'un bras de l'Océan. Ses flots dégagent une senteur marine. Les côtes sans relief sont parfois desséchées, parfois embellies de floraisons jaunes. Les fumées grises des usines se mêlent aux nuages. La navigation est active dans la Loire maritime, mais le maintien d'une voie dégagée et profonde pose un problème permanent. Des dragages intensifiés permettent aujourd'hui à d'assez gros navires d'atteindre le port de Nantes.

La Loire a parcouru environ un millier de kilomètres et mérité le titre de plus grand fleuve de France. Son estuaire s’inscrit dans une cuvette qui fut à plusieurs reprise occupée par les mers tertiaires. Des iles nées d’anciennes roches éruptives émergent au milieu du sol moins anciens. Quelques vieilles cités survivent aux lisières des étendues fangeuses, tombeaux des forêts ensevelies. Savenay et Guérande, qui encadre les tourbes de la Grande Brière, sillonnée de canaux pleins d’une eau noire
La Loire achève sa course. Ses eaux se mêlent à l’onde amère tandis qu’elle disparaît dans l’Océan. Pendant son cheminement, elle a bien des régions bien des climats divers, aussi divers que les évènements multiples dont elle fut me théâtre. Mais lorsqu’ils citent son nom, ses admirateurs ne veulent se rappeler ni les paysages tourmentés ni des tragédies. La lumière incomparable de son ciel ne suscite pour eux que la grâce, la douceur de vivre et une nonchalante volupté.



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