
PARIS. Voici une description de Paris
telle qu’elle était en 1850 – Ce texte issu de la BNF est signé
par Monsieur Girault de Saint-Fargeau, Eusèbe (1799-1855). Auteur
de l'ouvrage Les beautés de la France : vues des principales
villes, monuments, châteaux, cathédrales et sites pittoresques
de la France.
De toutes les villes du globe, Paris est, sans contredit, la ville qui représente le plus dignement l'univers
intellectuel, développé par le temps, éclairé par l'expérience.
Cette opulente cité renferme dans tous les genres ce que l'esprit
et le génie des hommes, ce que l'art et l'industrie ont pu réaliser
de plus complet en grandeur et en magnificence.
Comparée
aux autres capitales de l'Europe, la supériorité de Paris n'est
pas contestable. Si, sous le rapport du climat et de la beauté
du site, elle est surpassée par Rome, par Naples et par Constantinople,
elle est supérieure à ces villes par l'agrément de ses lieux
publics; par la multiplicité des ressources de toute nature
qui y sont accumulées à profusion; par la diversité des plaisirs
qu'elle offre aux étrangers; par le nombre de ses établissements
intellectuels.
Des provinces fertiles et populeuses l'entourent,
et lui fournissent, par mille voies de communication, toutes
les nécessités de la vie, tout ce qu'une population accoutumée
au bien-être, tout ce que la richesse et l'opulence peuvent
désirer. En aucune ville on ne trouve autant de lieux consacrés
aux plaisirs ou à l'instruction ; autant de spectacles magiques
; autant de monuments, de temples, de palais, de musées et de
bibliothèques. Ses jardins publics, ses quais, ses promenades,
ses boulevards surtout, sont un objet constant d'admiration
pour les étrangers, dont Paris est la ville de prédilection
entre toutes les villes du monde, par la raison que, outre tous
les avantages que nous venons d'énumérer, ils y trouvent le
peuple le plus social, le plus généreux, le plus spirituel et
le plus communicatif; celui qui regarde les autres peuples comme
ses frères, qui les a toujours associés à ses triomphes, et
qui sait leur faire, avec le plus d'amabilité, les honneurs
de sa maison et de son pays.
Paris est d'ailleurs, avec Londres,
la seule grande capitale où l'on jouisse d'une grande indépendance
et d'une véritable liberté. Mais Londres, ville opulente et
superbe, est une ville taciturne et essentiellement égoïste,
qui garde pour elle ses conquêtes et ses progrès, qui fait payer
au poids de l'or presque tout ce qu'on trouve gratuitement à
Paris, ville dont il est rare qu'on ne sorte pas plus éclairé,
et dont on ne quitte jamais les habitants sans regrets.

Mais
Paris n'est pas seulement grand par son incomparable civilisation.
Immense foyer de lumière, sentinelle avancée de la liberté,
l'ascendant Seine, contenue dans son lit par des quais magnifiques,
et percée dans la plus grande partie de son étendue de larges
rues éclairées au gaz, où se presse une population active et
intelligente; en traversant chaque quartier, où s'élèvent de
beaux monuments, d'importants établissements, où se succèdent
sans interruption des magasins pourvus de tout ce qu'il est
possible de désirer, on ne se douterait guère de ce qu'était
cette ville il y a environ cinquante ans. On y comptait alors
un grand nombre d'églises, de couvents ou monastères, mais on
circulait avec peine dans ses rues étroites, fangeuses et mal
éclairées ; le Louvre était inachevé et dans un état complet
de dégradation; la plupart des quais et des ponts n'existaient
pas, ce qui forçait les habitants de traverser sur plusieurs
points la rivière en bac; les marchés Saint-Honoré, Saint-Joseph,
des Blancs-Manteaux, Saint-Martin, des Carmes, Saint-Germain,
aux Fleurs, ont été construits de nos jours; on comptait à peine,
dans Paris, quelques rares fontaines, et les rues étaient si
mal éclairées la nuit, que ceux qui étaient obligés de sortir
le soir étaient obligés de se munir d'un falot.
Cependant,
dès cette époque, Paris, comparativement à ce qu'il était au
quinzième siècle, avait déjà considérablement changé. Avant
la grande révolution Avant la grande révolution de 1789, Paris
était divisé en trois villes distinctes et séparées, ayant chacune
leur physionomie, leur spécialité, leurs mœurs, leur caractère,
leurs privilèges, leur histoire
LA CITÉ, L'UNIVERSITÉ, LA VILLE
La Cité occupait l'île ; l'Université couvrait la rive
gauche de la Seine, et la Ville la rive droite. Dans la Cité
abondaient les églises, dans l'Université se groupaient quarante-deux
collèges, dans la Ville se trouvaient les palais. L'Ile était
à l'évêque, la rive gauche au recteur, la rive droite au prévôt
des marchands. La Cité avait Notre-Dame et l'Hôtel-Dieu ; l'Université,
la Sorbonne et le Pré-aux-Clercs ; la Ville, le Louvre, l'Hôtel-de-Ville
et les Halles.
Dans l'enceinte étroite de la Cité se dressaient
les clochers de vingt et une églises de toutes formes et de
toutes grandeurs, que dominaient les tours de l'église Notre-Dame,
qu'entouraient au sud et au nord le cloître et le palais de
l'évêque; plus loin étaient la Sainte-Chapelle et le Palais-de-Justice.
— L'Université renfermait le Petit-Châtelet, le palais des Thermes,
la Tournelle et la tour de Nesle. Dans cette partie de la ville
comme dans la Cité, les rues formaient d'interminables couloirs
en zigzags, bordées de maisons à toits anguleux, à pignons bourgeois,
à solives sculptées, à vitraux plombés, entremêlées d'espaces
en espaces de collèges, de grands hôtels en pierres à portes
massives, et d'abbayes, dont les principales étaient Saint-Germain-des-Prés,
Saint-Victor, Sainte-Geneviève, etc., etc.

La Ville renfermait
les hôtels Saint-Paul, de Sens, Barbeau, de Jouy, des Tournelles,
la commanderie du Temple, les abbayes Saint-Martin, des Filles-Dieu,
etc., etc. Le centre était occupé par un monceau de maisons,
de rues étroites, croisées, se groupant autour des halles, que
dominait la tour de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie. Au
bord de la Seine s'élevait le Louvre, avec ses vingt-quatre
tourelles et sa grosse tour. A la droite du palais des Tournelles
se dressait la Bastille, immense donjon flanqué de neuf tours
et environné de fossés.
Si on se reporte, par la pensée,
au milieu de cette ville du moyen âge pour se figurer les mœurs
et les habitudes du passé ; si l'on se retrace ses rues étroites
et sinueuses où pullulait une population souffreteuse, bordées
de maisons mal alignées, toutes variées dans leurs constructions,
d'hôtel à grandes portes, surmontées d'un écusson bizarre, et
garnies de clous à tête carrée disposés en losanges, à fenêtres
défendues par des barreaux de fer, comme des loges de bêtes
féroces, on aura peine à reconnaître le Paris de 1850, avec
ses candélabres de gaz, ses beaux passages, ses riches magasins
fermés par des glaces, et ses boulevards où se croisent les
plus somptueux équipages.