Les galeries du Palais-Royal, ancêtre des passages couverts

Le Palais-Royal devint la propriété des Orléans,
branche cadette du royaume de France, en février 1692, quand Louis
XIV l’offrit à Monsieur, son frère. Le jardin du palais était alors
ouvert sur la ville.
En 1781, Philippe d’Orléans, duc de Chartres,
plus connu sous le nom de Philippe Égalité, est au bord de la ruine
lorsqu’il entreprend un grand projet de spéculation immobilière
consistant à lotir le pourtour du jardin du Palais-Royal. Il confie
le projet à l’architecte Victor Louis, qu’il a rencontré à Bordeaux
en 1776. Les maisons, larges de trois ou quatre arcades, sont élevées
sur sept niveaux : un étage de caves, un rez-de-chaussée destiné
aux boutiques et surmonté d’un entresol, un étage noble, un attique,
un étage mansardé et un dernier, pris dans les combles, pour les
domestiques. Ce lotissement amputait le jardin de près de 60 mètres
sur sa longueur et de 40 mètres sur sa largeur, au grand dam des
propriétaires mitoyens qui perdaient leur vue sur les parterres.
En 1786, les galeries de pierre étaient achevées sur trois côtés.
Victor Louis avait prévu de fermer la cour d’honneur, au sud du
jardin, par une colonnade surmontée d’une terrasse. Faute de crédits,
le chantier fut interrompu au stade des fondations. Afin de protéger
ces dernières, le duc concéda l’emplacement à un entrepreneur qui
y construisit des hangars de planches abritant trois rangées de
boutiques desservies par deux allées couvertes. Ce baraquement provisoire
(démoli quarante ans plus tard !) servira de prototypes aux passages
couverts de Paris.
Les marchandes de modes, perruquiers, cafés-limonadiers,
marchands d’estampes, cabinets de lecture, libraires et autres commerçants
se partagèrent les quatre-vingt-huit boutiques, tandis qu’une foule
interlope de flâneurs, de joueurs, de pickpockets et de prostituées
investirent le lieu et en firent le succès et la réputation.
Une scène de genre

Cette peinture à l’huile imitant l’estampe
est la reprise d’un tableau, probablement en couleur, que Boilly
exposa au Salon de 1804 et qui aurait été détruit lors de l’incendie
de la préfecture de Paris en 1871.
L’image, rythmée par les
arcades, se lit de gauche à droite. Le propos est introduit par
des pourparlers engagés entre un homme derrière la grille et une
femme vue de dos et dont les deux chiens, un noir et un blanc, se
font l’écho. La composition, en frise, s’articule ensuite autour
de trois groupes de figures où alternent un personnage féminin,
vêtu de clair et en pleine lumière, et un personnage masculin en
costume sombre, dans l’ombre. Les bras nus et tout en sinuosités
des demoiselles sont autant d’invitations à la promenade tandis
que les échanges de regards en coin et le placard « Avis aux sexes
» permettent de comprendre l’activité de ces dames. Dans le premier
groupe, l’affaire semble conclue et l’homme empoigne la femme par
la taille. Accompagnée d’un petit garçon, la femme du deuxième groupe
est en train de vendre ses charmes aux deux hommes qui lui font
face. La présence de l’enfant pourrait faire pencher l’interprétation
vers une simple scène de la vie quotidienne, mais le geste et le
regard de la jeune femme ne laissent aucune ambiguïté. Quant au
troisième groupe, il reprend une iconographie licencieuse fort prisée
au XVIIIème siècle : une fille caresse la marmotte nichée dans le
panier d’un petit savoyard avec l’approbation de sa nourrice qui,
dans l’ombre, lui sert d’entremetteuse.

La critique de l’époque reprocha à Boilly
de ne pas avoir pris position contre le phénomène de la prostitution.
En effet, il traite cette scène avec réalisme, sous la forme d’une
simple description du quotidien, et ses prostituées pourraient presque
être confondues avec des femmes honnêtes.
La scène se situe
dans la galerie du Tribunat, dont le Palais-Royal fut le siège de
1800 à 1807. L’endroit était réputé depuis la construction des galeries
pour être le rendez-vous des filles publiques qui venaient y exercer
leur commerce (elles disaient « faire leur palais »). Les sources
de l’époque estiment que 600 à 800 filles habitent au Palais-Royal,
auxquelles il convient d’ajouter les « hirondelles » qui n’y résident
pas mais qui viennent à la recherche de clients le soir venu. La
prostitution était libre mais très organisée : les demi-castors
opéraient dans les allées et les galeries de bois, les castors dans
les galeries de pierre, et les cocottes de luxe à la terrasse du
café du Caveau.
Cette activité du Palais-Royal cessera avec le futur roi Louis-Philippe,
à qui le palais et son jardin seront restitués en 1814. En 1829,
il fera d’abord remplacer les galeries de bois par la galerie d’Orléans.
Spacieuse (65 mètres de long sur 8,5 mètres de large) et couverte
d’une somptueuse verrière, elle abritait vingt-quatre boutiques.
Entièrement démontée en 1935, il n’en reste aujourd’hui que la double
colonnade de pierre.
Puis, dès son arrivée au pouvoir en 1830,
Louis-Philippe réglemente la prostitution, désormais interdite en
dehors des maisons de tolérance. Le Palais-Royal est déserté quand,
en 1836, s’ajoutent à ces mesures celles décrétant la fermeture
des salles de jeu. Avec les filles de joie et les joueurs, c’est
toute la jeunesse qui quitte le lieu pour se replier sur les boulevards.
Article de Madame Béatrice MÉON-VINGTRINIER

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