La Saintonge (en saintongeais Saintonghe,
le g est expiré) est une ancienne province française dont les
limites ont plusieurs fois varié avec le temps.
Les Ligures
s'implantent en Saintonge vers 1800 av. J.-C. et créent à Meschers
un important centre de travail du bronze. Selon la légende,
les saintongeais seraient une colonie troyenne venue après la
chute d'Ilion des rives du Xanthe, d'où la devise de la province
de Saintonge : Xantones a Xantho nomina sancta tenent.
Pendant le Haut Empire romain, la Saintonge constitua une
civitas prospère de la Gaule romaine. La capitale de la province
d'Aquitaine seconde fut établie à Mediolanum Santonum, l'actuelle
ville de Saintes, qui bénéficia d'importants travaux d'urbanisation
: amphithéâtre, thermes, pont sur la Charente, arc votif de
Germanicus (et non « de triomphe ») marquant l'arrivée de la
via Agrippa, partant de Lugdunum (Lyon, capitale de la Gaule
romaine). Saintes fut envahie successivement par les Alains,
les Vandales au début du IVème siècle et par les
Wisigoths en 419. En 507, elle fut conquise par Clovis avec
le reste de l'Aquitaine et incorporée au Regnum Francorum. Morcelée
en de nombreux fiefs, les seigneuries les plus importantes en
étaient celles de Saintes, de Saint-Jean-d'Angély, d'Aulnay,
de Cognac, de Jarnac et de Jonzac. En 565, un Waddon est mentionné
comme comte de Saintonge. Au Xe siècle, l'Aunis est séparée
de la Saintonge qui va dépendre du sénéchal du Poitou jusqu'en
1360. Partie intégrante de la province romaine d'Aquitaine durant
l'antiquité (Saintes devenant la première capitale de ce vaste
ensemble), elle est ensuite placée selon les époques dans la
mouvance des rois et ducs d'Aquitaine, des comtes d'Anjou puis
des comtes de Poitiers ramnulfides, avant d'être de nouveau
intégrée au duché d'Aquitaine pour plusieurs siècles. Apparaissant
comme une marche frontalière entre les domaines capétien et
Plantagenêt durant le bas Moyen Âge, elle est secouée par des
luttes incessantes entre 1152 et 1451, ses seigneurs hésitant
souvent entre l'attachement anglo-aquitain et le lien avec Paris.
Tout montre que l'attachement anglo-aquitain y a été prédominant
jusque vers la moitié du XIVème siècle.
La menace vis-à-vis du pouvoir royal
est bien réelle, et Richelieu entend bien la réduire à néant.
Grâce à l’édit d’Henri IV, La Rochelle est devenue un haut
lieu de la religion réformée en France. Ce port, dernière
place de sûreté des Huguenots, reçoit de mer l’aide des
Anglais, prompts à intervenir lorsqu’il s’agit de mettre
en péril le pouvoir de leur grand rival. La principale crainte
de Richelieu est que cette place forte devienne une sorte
de bastion d’où les protestants, aidés financièrement par
l’Angleterre, pourraient s’emparer de l’ensemble du territoire.
Sa décision est donc prise : il faut prendre sans tarder
la Rochelle. La Rochelle est soutenue par l’Angleterre en
tant que ville protestante mais aussi pour freiner le développement
de la marine française. George Villiers, duc de Buckingham,
quitte le port de Portsmouth avec 110 vaisseaux et 8 000
hommes. Mis au courant, Richelieu réagit immédiatement,
débute le siège de la ville et fait fortifier les îles de
Ré et d’Oléron. L’armée royale déploie quant à elle ses
20 000 hommes autour de la ville, coupant toutes les voies
de communication terrestres. Le ravitaillement ne peut plus
venir que de la mer. Le commerce est alors bloqué.
Buckingham
s’installe dans un premier temps dans l’île de Ré, le 22
juillet 1627. Bien qu’étant elle aussi protestante, l’île
n’a cependant pas rejoint la rébellion contre le roi. Le
duc en est chassé par Henri de Schomberg et Toiras, puis
battu en mer le 17 novembre. Il finit par rentrer sans gloire
en Angleterre. Pour empêcher le ravitaillement par mer,
Richelieu entreprend la construction par 4 000 ouvriers
d’une digue longue de 1 500 mètres et haute de 20 mètres.
Les fondations reposent sur des navires coulés et remblayés.
Des canons pointés vers le large sont disposés en renfort.
Les vivres commencent à s’épuiser, et les navires anglais
venus en soutien sont contraints de rebrousser chemin. La
décision est alors prise, comme à Alésia, de faire sortir
de la ville les « bouches inutiles ». Sont ainsi expulsés
femmes, enfants et vieillards. Tenus à distance par les
troupes royales qui n’hésitent pas à faire feu sur eux,
ils errent pendant des jours sans ressources et décèdent
de privation. Une deuxième puis troisième expéditions anglaises
échouent, malgré des tirs nourris. Les Rochelais sont contraints
de manger chevaux, chiens, chats… Lorsque la ville finit
par se rendre, il ne reste que 5 500 survivants sur les
28 000 habitants. Louis XIII leur accorde son pardon. Ils
doivent néanmoins fournir un certificat de baptême et les
murailles sont rasées. La capitulation est inconditionnelle.
Par les termes de la paix d’Alès du 28 juin 1629, les Huguenots
perdront leurs droits politiques, militaires et territoriaux,
mais conserveront la liberté de culte garantie par l’Édit
de Nantes.
Néanmoins, les erreurs de conduite de Henry de Grosmont, comte de Derby (« chevauchée » de 1346) puis du Prince Noir contribuent progressivement à affaiblir le pouvoir anglo-aquitain, et la province passe définitivement sous le contrôle du roi de France en 1451 (prise de Montguyon). La Saintonge (anciennement écrite Xaintonge) est aujourd'hui à cheval sur cinq départements, la Charente-Maritime (exceptée sa partie nord-ouest qui appartient à la province d'Aunis et du Pays d'Aulnay, qui appartient au Poitou), un quart ouest de la Charente (Cantons des Terres chaudes : canton de Cognac-Nord, canton de Cognac-Sud, Jarnac, Châteauneuf), l'extrême-sud des Deux-Sèvres (Frontenay-Rohan-Rohan et jusqu'aux faubourgs sud de Niort) et de la Vendée (elle incluait une partie du Marais Poitevin). Dans le nord de la Gironde, le pays Gabay, de langue saintongeaise, dépendait quant à lui de la Guyenne. Les frontières avec l'Angoumois, le Poitou ou la Guyenne ont cependant varié au cours des siècles. Beaucoup de cartes anciennes plaçaient ainsi Cognac en Angoumois. De même, au XVIIème siècle, les paroisses de Braud et d'Étauliers (pays Gabay) sont placées en Saintonge par Nicolas Sanson (Gouvernement général de Guienne et Gascogne, 1650) et Johannes Blaeu (Carte du gouvernement de Guienne et Gascogne, 1662), mais ce n'est plus le cas au siècle suivant, la limite entre les deux provinces passant alors au nord de Saint-Ciers La Lande ou de Braux (1778).
Commencé le 10 septembre 1627
et terminé par la capitulation de la cité, le 28 octobre
1628 le siège de La Rochelle fait partie des hauts fait
du règne de Louis XIII. il existe une autre bataille,
nettement moins connue, qui se déroula les 22 et 23
juin 1372 entre la flotte anglaise du comte de Pembroke
et la flotte espagnol du de l’amiral Ambrogio Boccanegra,
neveu du fameux doge Simon. Cette flotte est en fait
à la solde des Français, Henri de Trastamare payant
ainsi la dette qu’il a envers le Connétable Du Guesclin
dans sa lutte contre Pierre le Cruel, le roi d’Aragon.
Cette victoire essuyant la lamentable défaite de l’Ecluse
où le 24 juin 1340, la flotte française fut anéantie
par le marine d’Edouard III d’Angleterre.
Mais laissons
la parole à Jean Froissart qui dans ses récits relatifs
au règne des premiers Valois nous fait un récit de cette
bataille.
Note : Le texte est ici reproduit
fidèlement tel qu’il fut rédigé par ce grand chroniqueur.
FROISSART, Chroniques, édition
Kervyn de Lettenhove, t. VIII.
Chroniques de
Froissart
Quant messires Guichars d’Angle
et li sires de Puiane et messires Aimeris de Tarse
qui tout le temps s’estoient tenu en Engleterre,
veirent et entendirent le certain arest dou consseil
le roy et de ses barons, et que li doy (deux) fils
le roy seroient chief et souverain de ceste armée
et que nul il n’en aroient pour remenner en Poito
avoecq yaux (avec eux), si se adrechièrent deviers
le roy englès, et li fissent (lui firent) une prière
et requeste qui s’estendoit en telle mannière :
« Chiers sires et nobles roys, nous veons et entendons
que vous devés envoyer en ceste saison une grant
armée et chevaucie des vôtres ens ou royaumme de
Franche pour gueryer les marches de Pikardie, de
France, de Bourgoingne et d’Auviergne, de laquelle
grosse armée vo doi fil seront gouverneur et souverain
(et ce soit à l’onneur de Dieu et d’iaux (d’eux)),
si vous prions et requérons, chiers sires, ou kas
que nous ne les poons avoir, ne l’un d’iaux par
lui, que vous nous voeilliés baillier et délivrer
le conte de Pennebrucq (Pembroke) à gouverneur et
cappittainne, et que il vous plaise que il s’en
viègne avoecq nous ens ès marces de Poito. » Adont
s’aresta li roys sour monseigneur Guichart d’Angle
plus que sus les autres, et dist : « Messires Guichars,
se je ordonne le conte de Pennebrucq mon fil à aller
avoecq vous ens ou pays de Saintonge, vous faura-il
grant carge de gens pour aidier à garder et à défendre
le pays contre nos ennemis ? » — « Monseigneur,
respondi messires Guichars, nennil, mais que (pourvu
que) nous ayons CC hommes d’armes et otant d’archiers
pour les rencontres dessus mer et le finanche pour
gagier (payer) IIIm combatans. Nous en recouvrerons
bien par de delà ; car encorres y sont grant fuison
(foison) de gens des compaingnes et des gens d’autres
nations, qui vous serviront vollentiers, mès qu’il
aient bons gaiges et que on lor paie ce avant le
main (d’avance) pour V ou pour VI mois. » Adont
respondi li roys englès : « Messires Guichars, jà
pour or, ne pour argent ne demourra (retarder, faire
obstacle) que je n’aie gens assés et que chils voiages
ne se fache (fasse) ; car j’ay bonne vollenté de
deffendre et garder mon pays de Poito. Or soyés
de ce costé tous recomfortés et asségurés, car j’en
ordonneray temprement (bientôt), et vous cargeray,
avec le mise que vous emporterés, tel gens et telle
cappitainne qu’il vous devera bien souffire. » Adont
respondirent tout li troy chevalier, et li dissent
: « Monseigneur, grant merchy. »
Depuis ne demoura
guaires de temps que li roys englès ordonna et pria
au conte de Pennebrucq d’aller avoecq les dessus
dist chevaliers ens ou pays de Poito et de Saintonge
pour garder les frontières contre les Franchois,
liquels contes à l’ordonnanche dou roy obéi et descendi
vollentiers et emprist liement (entreprit joyeusement)
le voiaige à faire. Avoecq le dit conte furent nommet
chil qui iroient : premièrement messires Othes de
Grantson, banerès et riche home durement (homme
très puissant), messires Robers Tinfort, messires
Jehans Tourson, messires Jehan de Gruières, messires
Thummas de Saint-Aubin, messires Simons Housagre,
messires Jehans de Mortain, messires Jehans Touchet
et pluisseurs (plusieurs) autres bons chevaliers
et escuiers, tant qu’il furent bien CC hommes d’armes
et otant d’archiers, et fissent leurs pourvéanches
(provisions, approvisionnement) tout tellement et
à grant loisir de tout ce qu’il leur besongnoit
(ce dont ils avaient besoin), et leur fist li roys
délivrer une grande somme de florins pour gagier
et payer un an tout entier IIIm combatans, puis
se départirent dou roy li dessus dist seigneur quant
il eurent pris congiet à lui, et se missent au chemin
et s’en vinrent à Hantonne (Southampton). Là séjournèrent-il
en ordonnant et regardant à lors pourvéances et
en cargant leurs vaissiaux et en atendant le vent
plus de trois sepmaines. Et quant il eurent tout
cargiet et ordonnet et le vent pour yaux, il entrèrent
en leurs vaissiaux, et puis se désancrèrent : si
se partirent des mettes (limites) d’Engleterre et
singlèrent par deviers Poito et le Rocelle.
En ce tamps avoit li roys Henris d’Espaigne, à le
pryère et requeste dou roy de France, mis sus mer
une grosse armée d’Espagnols et de Castelains, liquel
estoient droites gens d’armes sus le mer de grant
fait et de hardie emprise (prouesses), et estoient
li dist Espagnol pourveu de XIII grosses gallées
(galères) touttes armées et fretées, et gisoient
à l’ancre devant le Rocelle et avoient jà jeu (participe
passé de « gésir ») plus d’un mois, fors tant que
assés de fois il waucroient (vau-errer : aller à
l’aventure) sour les frontières de Poito pour veoir
et savoir s’il trouveroit nulles aventures ; mès
de touttes les marées il revenoient par droite ordonnanche
gésir devant le Rocelle, et se tenoient là à l’entente
que pour (à dessein de) atendre et combattre les
gens d’armes que messires Guichars d’Angle devoit
amener ou pays. Si estoient patron de ceste navie
(flotte) Ambrose Boukenègre, Cavesse de le Vake,
dant Ferant de Pion et Radigo de la Rosele. En tout
le royaume d’Espaigne, de Séville, de Galisce et
de Portingal ne peuist-on recouvrer de IIII milleurs
amiraux, ne patrons, pour gouverner une grosse navie
sus mer, et estaient chil (ceux-là) bien pourveu
de grant fuisson de bons combatans et de droite
gent d’eslite. Bien les veoient chil de le ville
de le Rocelle et messires Jehans Harpedane, qui
estoit pour le tamps sénescaux de le Rocelle, mès
point ne les aloient combattre. Et avint que li
contes de Pennebruc dessus nommés et messires Guichars
d’Angle et leur navie nagièrent (naviguèrent) tant
par mer en costiant Normendie et Bretaingne et yaux
adrechant (se dirigeant) pour venir en le Rocelle,
qu’il aprochièrent les mettes (frontières, limites)
dou pays et trouvèrent à leur encontre celle grosse
navie d’Espaingne. Adont seurent-il bien qu’il les
convenoit combattre : che fu le vegille de le nuit
Saint-Jehan-Baptiste l’an mil CCC.LXXII.
Quant
li contes de Pennebrucq et li chevalier qui là estoient
en se compaignie, perchurent le navie des Espagnols
qui estoient en leur chemin, et ne pooient (pouvaient)
nullement venir, ne ariver en le Rocele, ne passer,
fors que parmy yaux, et le virent si grande et si
grosse et pourveue de si gros vaissiaux enviers
les leurs (en comparaison des leurs), si ne furent
mies bien asséguret (assurés). Nonpourquant (néanmoins),
comme bonnes gens, il s’armèrent tost et appertement,
et fissent sonner leurs trompettes et mettre leurs
bannières et leurs pennons hors avoecq ceux de Saint-Jorge,
et monstrèrent bon visage, et requeillièrent et
missent enssamble tous leurs vaissiaux, petis et
grans, et aroutèrent (rassemblèrent) leurs archiers
tout devant, et pooient estre XIIII nefs parmy leurs
pourvéanches. D’autre part, li Espagnol qui moult
les désiroient à combattre, si trestos comme il
les virent nestre (aistre : apparaître), ne approcier,
il s’armèrent et ordonnèrent, et missent leurs bannières
et leurs pennons de Castille hors, et fissent sonner
lors trompettes et aller touttes mannières de gens
à leurs gardes, et monter amont as crétiaux (créneaux)
et as garittes (sortes de fortins, guérites) de
leurs vaissiaux qui estoient bien breteskiés (bretèche
= château en bois), et targièrent et paveschièrent
tous leurs rimeurs (abritèrent leurs rameurs derrière
des targes et des pavois), dont en chacune gallée
avoient grant fuison, et s’entendirent tout au lonch
(se rangèrent de front, en ligne) affin que li Englès
ne les peuissent fuir, ne eslongier (s’éloigner).
Et quant il se furent enssi ordonné comme gens de
bon et grant convenant, li IIII patron dessus nommet,
dont chacuns estoit en une gallée par soi et entre
ses gens, se missent en frontière tout dentre (en
bataille tout dedans ?) et approchèrent les Englès
vistement et radement (vite et rapidement). D’autre
part, li Englès qui estoient tout comforté de le
bataille (car combattre les convenoit, et atendre
l’aventure, ne il ne pooient fuir dentre yaux, ne
reculler, ne ossi il n’euissent daigniet), aprochièrent
moult bellement et moult ordonnéement. Si trestost
que il furent li un devant l’autre, comme gens de
guerre et ennemy, sans noyent (nullement) parlementer,
il se commencièrent à envaïr, à atraire et à lanchier
(attaquer, tirer et jouer de la lance) vistement
et fortement. Là s’aquitoient li archier d’Englelerre
souffisamment au traire, et estoient sour les bors
de lors nefs, et traioient si roidement et si ouniement
(ensemble/ continûment) c’à painnes se pooit, ne
osoit nuls amonstrer. D’autre part Espagnol et Casteloing
qui estoient bien pavesciet et à le couverte en
leurs vaissiaux, lanchoient dars et archigaies (traits
et javelots) si trenchans, que qui en estoit à plain
cop consieuwis (atteint), c’estoit sans remède :
il estoit mors ou trop vilainnement navrés. Che
premier jour tournièrent-il enssi en lanchant et
escarmuchant, en jettant pierres et en traiant,
dont il en y eut des uns et des autres pluisseurs
ochis et navrés (occis et blessés), tant que li
marée dura et que li aige (l’eau) ne leur falli,
car li mers seloncq son usage se retraioit. Si convint
retraire les Englès, mais à ce premier estour (combat)
il perdirent IIII nefs de leurs pourvéanches, que
li Espagnol conquissent sus yaux et encloïrent au
département dou hustin entre yaux (enfermèrent au
début du combat, de la mêlée entre eux), et furent
mort et noyet et jettè a bort (par-dessus bord)
le plus grant partie de ceux qui dedens estoient
: tout che veoient leur mestre et leur seigneur
qui devant yaux estoient, mès amender ne le pooient
(n’en pouvaient mais).
Enssi sus heure de vespres
au retrait dou flos et que li wèbes (marée, vagues)
leur falli, se départi li bataille, et retournèrent
à l’ancre li Englès tous courouchiés, c’estoit bien
raison ; car il avoient jà perdu grossement jusques
à IIII vaissiaux de lors pourvéanches et les gens
qui dedens avoient estet trouvé, et d’autre part
li Espagnol se missent à l’ancre tout joyant (joyeux),
qui se tenoient tout comforté que à l’endemain il
aroient le demorant (auraient le reste). Moult estoit
li tamps et li airs quoi et seris (tranquille et
serein), et ne faisoit point de vent. Si eurent
che soir et le nuit enssuiwant li seigneur d’Engleterre
tamainte (plusieurs) ymagination comment il se poroient
maintenir et déduire contre ces Espagnols, car point
ne se veoient en jeu parti contre yaux (à égalité
avec eux), dont il n’estoient mies à leur aise.
D’autre part, nullement il ne pooient venir, ne
ariver à le Rocelle car leurs nefs estoient trop
grandes, et li aige trop basse ; car c’estoit sus
le décours de le lune, si n’avoit li mers point
de force. Bien avoient des batiaux en leurs nefs
et qui les sieuwoient (suivaient), ens ès quels
li chevalier se peuissent bien estre mis, se il
volsissent (s’ils avaient voulu), et venir a rimes
(rames) jusques au kay de le Rocelle, mès il doubtoient
(redoutaient) le péril ; car il ne pooient passer
fors parmy leurs ennemis qui avoient ossi otelle
pourvéance de barges et de batiaux, et estoient
tout enfourmé de ce fait ; et au passer devant ou
dalés (à coté de) lors ghalées, chil qui seroient
d’amont, leur jetteroient pierres et barriaux de
fer et leur effonderoient leurs batiaux : si seroient
perdu d’avantaige. Dont à yaux mettre en ce parti
il n’estoient point d’accort ; ossi dou retourner,
ne de prendre le parfont (la haute mer), il n’y
veoient ne prouffit, ne honneur pour yaux, car sitost
que li Espagnol les veroient fuir, yaux qui ont
leurs gallées armées et pourveues de grant fuisson
de rimeurs, leur seroient moult tost au devant,
et les aroient à vollenté avoecq le blamme et le
reproce qu’il aroient du fuir. De quoy, tout considéret
et peset le bien contre le mal, il dissent que il
atenderoient l’aventure de Dieu et se combateroient
à l’endemain, tant qu’il poroient durer, et se venderoient
plus chier que oncques gens ne fissent, siques sus
ces proupos et avis il s’arestèrent, et passèrent
le nuit au plus biel (du mieux) qu’il peurent.
Celle meysme nuit et tout le soir estoit en
grant prière et pourcach (préoccupation ?) messires
Jehans de Harpedanne, un chevalier englès et sénescaux
de le Rocelle pour le temps, enviers chiaux de le
ditte ville, et leur disoit et monstroit comment
leurs gens se combatoient as Espagnols, et qu’il
ne s’aquitoient mies biens quant il ne les aloient
aidier ; mès, quoyque li chevaliers les sermonast,
ne amonestast, il n’en faisoient nul compte, et
montrèrent bien li pluisseur par samblant qu’il
avoient plus chier le dammaige des Englès que l’avantaige.
A ce dont estoient en le Rocelle doy gentil chevalier
de Poito, li sires de Tannaibouton et messires Jaquèmes
de Surgières, liquel pour yaux acquitter dissent
qu’il se meteroient en barges et en batiaux et venroient
dallés leurs gens, et prièrent estroitement et fortement
à ciaux de le ville qu’il volsissent aller avoecq
yaux, mès oncques nus ne dist : « Vollentiers, »
ne ne s’avancha de l’aller (s’avança d’y aller).
Quant ce vint à lendemain qui fu la nuit Saint-Jehan-Baptiste
l’an mil CCC.LXXII, et que li flos de le mer fu
revenus, li chevalier qui en le Rocelle se tenoient,
ne veurent (voulurent) mies estre là trouvé séjournant,
et il veyssent leurs gens combattre, mès s’armèrent
au plus tost et dou mieux qu’il peurent, et entrèrent
et se fissent menner et navyer à esploit de rimmes
(à force de rames) à l’endroit de leurs gens qui
jà se combatoient, et tant alèrent tourniant les
gallées et les Espagnols qui entendoient au combattre,
qu’il vinrent jusques à yaux, et entrèrent ens ès
nefs dou conte de Pennebrucq et de mon seigneur
Guichart d’Angle, qui leur seurent moult grant gret
de leur secours et de leur venue. Jà estoit li estours
et li hustins commenchiet très le point dou jour,
qui fu ossi fors et ossi bien combattus que on vey
oncques gens sus mer combattre ; car li assallant
estoient droite gens de mer, fort et rade, et bien
durant et esploitant en tel besoingne, et li Englès
très-bien deffendant ossi vassamment (bravement)
que on vey oncques gens, et ne l’avoient mies li
Espagnol d’avantaige, car li chevalier englès, gascons
et poitevins, qui là estoient, se combatoient et
deffendoient leurs corps et leur navie de très-grant
vollenté et moult durement, comment que la parchon
(partage – la balance n’était pas égale) n’estoit
mies juste pour yaux ; car li Espagnol estoient
grant fuisson, et se n’y avoit si petit varlet entre
yaux, qui ne fesist otant que uns homs d’armes en
lors gallées, car il jettoient d’amont pierres de
fais (en quantité), plommées (massues de plomb)
et gros barriaux de fier, dont il débrissoient et
deffroissoient tous les vaissiaux des Englès. Là
fu li jones (jeune) contes de Pennebrucq très-bons
chevaliers, et fist merveilles d’armes de se main,
et ossi furent messires Othes de Grantson, messires
Guicars d’Angle, messires Aimeris de Tarse, li sires
de Tannaibouton, li sires de Puiane, messires Jakèmes
de Surgières, messires Jehans Harpedane, messires
Jehans Tinfort, messires Jehans de Gruières, messires
Jehans Toursès, messires Jehans de Lantonne, messires
Simons Housagre, messires Jehans de Mortain, messires
Jehans Touchet et li autre chevalier et escuier,
et estoient par ordonnanche espars par leurs vaissiaux
pour mieux entendre à leurs gens et rencoragier
les lassés et les esbahis (effrayés).
A ceste
bataille, qui fu, devant le Rocelle, des Espagnols
as Englès, eut ce jour fait maintes belles appertisses
(prouesses) d’armes, car là s’esprouvoient li hardit
et li bien combatant ; mais au voir dire (à vrai
dire) li Espagnol avoient moult grant avantaige
de bien assaillir et de requerre (attaquer) leurs
ennemis, car il estoient en grans et gros vaissiaux,
c’on dist gallées, toultes frettées et armées, qui
se remonstroient deseure (dépassaient en hauteur)
tous les vaissiaux des Englès, et pooient veoir
li Espagnol par dedens leurs vaissiaux, et point
li Englès en chiaux des Espagnols. Et estoient li
jet et li cop lanchiet et ruet des vaissiaux des
Espagnols en chiaux des Englès de plus grant force
et de plus grant vertu sans comparisson, pour ce
qu’il descendoient de plus haut que ne fuissent
chil des Englès. Si traioient (tiraient) li archier
d’Engleterre moult fortement et très-ouniement,
mès li Espagnol estoient bien paveschiet contre
ce, et ne leur fist li très mies trop grant dammaige.
Ensi en che hustin et en celle rihotte (désordre,
mêlée) se tinrent li Englès tout ce jour, et quidoient
toudis (croyaient toujours) que chil de le Rocelle
les deuissent comforter et secourir, mès il n’en
avoient nul talent (volonté, désir), enssi qu’il
apparu ; car oncques plus nuls ne s’en partirent,
fors li III chevaliers dessus nommet, qui se veurent
acquiter de leur honneur, ensi que tout loyal chevalier
par droit et raison doient faire en tels besoingnes.
Là estoient li IIII patrons et cappitainnes
des Espagnols, chiacuns en une gallée et entre ses
gens en bon convenant (en bon ordre), et monstroient
bien chière (apparence) et fait de hardit homme,
et resbaudissoient grandement leurs gens, et disoient
en leur langage : « My enfans, esploitiés-vous (hâtez-vous)
et ne vous esbahissiés de cose que vous voyés ;
car ceux-chy sont nôtre, et apriès venront tout
li autre. » De ces parolles avoient li chevalier
englès et gascons, qui les entendoient, grant indination,
mès amender ne le pooient ; si en faisoient leur
pooir et leur devoir à leur milleur entente, et
s’abandonnoient de grant vollenté et chacun pour
rencoragier l’un l’autre. Enssi continuèrent-il
et persévérèrent le plus grant partie dou jour,
et tant furent li Englès et chil de leur costé fort
requis, combattus et apresset (pressés), qu’il furent
durement lasset et foullé, et ne se peurent plus
tenir, et en furent li Espagnol mestre et les conquissent
par force d’armes, mès moult leur cousta de leurs
gens, car là avoient ossi bonne chevalerie tant
pour tant que on peuist point recouvrer, et bien
le monstrèrent, car point ne se vorrent (voulurent)
rendre jusques a tant que force leur fist faire
et que autrement leurs nefs euissent estet touttes
effondrées et yaux perdus sans merchy. Là furent
mort de leur costé messires Aimeris de Tarse, gascons,
bons chevaliers et preux durement et qui estoit
yssus de tamainte dure besoingne (qui avait survécu
à mainte chaude affaire ?), et avoecq lui messires
Jehans de Lantonne, messires Simons Housagre et
messires Jehans de Mortain, messires Toucet et pluisseurs
autres, et pris li contes de Pennebrucq, messires
Guichars d’Angle, messires Othes de Grantson, li
sires de Puiane, li sires de Tannaibouton, messires
Jehans de Harpedane, messires Robers Tinfort, messires
Jehans de Gruières, messires Jaquèmes de Surgières,
messires Jehans Toursès, messires Thummas de Saint-Aubin
et bien XVII chevaliers, tous de nom : oncques nuls
n’escappa de ceste armée, que ne fuissent tout mort
ou tout pris. Et fu li vaissiaux péris et effondrés,
où li finanche estoit, que li roys englès envoyoit
en Poito pour gagier IIIm combatans et payer, se
il besoingnoit, un an. Si poés bien croire qu’il
y avoit grant somme de florins, et oncques ne fist
aise, ne prouffit à nullui, dont ce fu dammaiges
qu’il en eschéi (advint) enssi ; et en furent li
Espagnol meysmement courèciés (courroucés), quant
il le sceurent ; mès ce fu si tart qu’il n’y peurent
pourveir de remède.
Qui se treuve en tel parti
d’armes que li dessus dist, il convient qu’il prende
en gré l’aventure que fortunne li envoie. Che jour
l’eurent moult dur li Englès pour yaux et par le
coupe de monseigneur Guichart d’Angle et de monseigneur
Aimmeri de Tarse qui là demoura, et dou seigneur
de Puiane, qui avoient emfourmé le roy englès qu’il
estoient gens assés pour arriver en Poito, de CCC
ou de CCCC, siques li roys sour leur requeste se
fourma et leur acompli leur demande, dont il leur
mesvint (mésarriva) ; et, au voir dire, il s’estoient
trop foiblement parti d’Engleterre, seloncq le grant
fuison d’ennemis qu’il avoient par mer et par terre.
Apriès celle desconfiture et que li Espagnol
eurent quis et cherchié touttes les nefs des Englès
et pris les barons et les chevaliers et fait entrer
en leurs gallées, et qu’il se furent tout saisi
de leurs armures et les eurent fianchiés (fiancer
: laisser libre un prisonnier sur parole), il se
tinrent tout quoy à l’ancre devant le Rocelle en
atendant le marée et le flos de le mer qui devoit
revenir, en menant grant joie et grant reviel (fête,
tapage). Bien virent et congneurent tantost chil
de le Rocelle que leurs gens estoient desconfi,
dont li pluisseur en requoy (en secret) furent tout
joyant, et ne volsissent mies que la besoingne fuist
autrement allée pour nul avoir, et espécialemeni
li plus grant maistre de le ville, car il leur estoit
segnefiet et dit pour certain que on devait prendre
XII de leurs bourgeois à élection, sus lesquels
li roys englès et ses conssaux estoient mal enfourmet,
et mener comme prisonniers en Engleterre. Pour celle
cause et celle doubte il s’en portèrent et passèrent
plus bellement. Nonpourquant il se faindirent adont
pour apaisier les ennemis, et cloïrent leurs portes
moult estroitement, et s’armèrent touttes manières
de gens, et alèrent as cretiaux et as portes, as
tours, as gharites par connestablies, et ne laissièrent
nullui entrer, ne yssir ; car il disoient enssi
qu’il ne savoient que li Espagnol penssoient et
se il les venroient assaillir : pour tant se tenoient-il
sour leur garde, mès li Espagnol n’en avoient nul
tallent fors de partir au flos revenu et de tourner
vers Espaingne et là mener leur concquest et leurs
prisonniers à sauveté. Che soir escéi trop bien
à monseigneur Jame de Surgières, un chevalier de
Poito, qui là estoit pris ; car il parla si bellement
et si sagement à son mestre qu’il fu quittes parmy
CCC frans franchois qu’il paya tous appareilliés,
et fu renvoyés arrierre en le Rocelle, delivres
sicomme vous avés oy. Et pour l’onneur de chevalerie
on mist tout les chevaliers qui là avoient estet
mort, en une barge, et les envoyèrent li Espagnol
en le Rocelle. Là furent-il recheu et ensepveli
en sainte terre.
Quant li flos de le mer fu
revenus et que li mestre patron et souverain des
Espagnols, loist assavoir : Ambroise Boukenègre,
Cabesse de Vake, dan Ferrant de Pyon et Radigo de
la Roselle, eurent ordonné leur besoingnes et mis
gens et maronniers (matelots) ens ès nefs englèces
qu’il avoient concquis, pour gouvernner et amener
avoecq yaux, il sachièrent les singles (littéralement
: tirèrent les voiles) amont et se désancrèrent,
et se partirent trompant et cornemusant et faisant
grant feste, et entrèrent ou parfont pour prendre
le mer d’Espaingne.
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