Carcassonne est fille de l’Aude et de
ses affluents. Cet axe du narbonnais au toulousain fut parcouru
à toutes les époques depuis la préhistoire. De là, ont transité
les idées et produits méditerranéens et atlantiques. Dès le
néolithique des pistes ont relié le carcassonnais aux régions
périphériques : Minervois, Montagne Noire, Razès, Haute vallée
de l’Aude, Corbières. Ces ensembles géographiques profitant
d’un climat doux, ondulant en promontoires au-dessus des vallées
offraient des lieux stratégiques d’établissement et de circulation.
La première Carcassonne du nom de Carsac
d’une dimension de 25 à 30 hectares est établi sur un plateau
à l’Ouest de la Cité actuelle entre le 8eme et 6eme
siècle avant Jésus Christ. Les fouilles ont révélé un habitat
important à travers l’existence de silos, soit près de 500 habitations
estimées et divers objets : vases (amphores, coupes, récipients)
liés au commerce du vin (importé), objets en bronze attestant
d’un commerce avec la Grèce, l’Etrurie, la péninsule ibérique…L’élevage
de porc, moutons, chèvres, bovidés constituait une activité
importante ainsi que la culture du blé et de l’orge principalement.
L’activité artisanale est orientée autour du travail du métal
et de la céramique. Il semblerait que déjà en l’espace d’un
siècle une forte déforestation avait eu lieu pour ne plus représenté
que 9% du couvert végétal.
C’est dans le courant du 6eme siècle
avant J.C que le site de Carsac est abandonné au profit d’un
oppidum sur la butte de la Cité. A partir de cette période le
promontoire stratégique ne sera plus contesté et l’occupation
sera permanente. Cette première occupation est attestée par
les strates repérées à la fois vers le Château Comtal et le
musée lapidaire à plus de 4 mètres de profondeur ou vers le
théâtre mais peu profondes par rapport aux couches actuelles.
Elles s’enfoncent vraiment vers la tour Mipadre où elles atteignent
la côte de 9 mètres soit 2 mètres en dessous de la tour actuelle.
Un premier fossé semble être attesté large de 6 m et profond
de 2,5 mètres. Les restes de murettes en pierres sèches pourraient
être rattachés à des substructions de cabanes. La proximité
de silos et d’un four à bronzier ou de potier confirmeraient
l’hypothèse. Les poteries et céramiques dont celles importées
sont des éléments forts de cette période en particulier les
poteries à vernis noir de style pré-campanien ou campanien.
Globalement les connaissances liées à cette période restent
à défricher.
La Cité de Carcassone
Historique
Page titre de l'ouvrage de Violet le Duc
Vers l'an 636 de Rome, le Sénat,
sur l'avis de Lucius Crassus, ayant décidé qu'une colonie
romaine serait établie à Narbonne, la lisière des Pyrénées
fut bientôt munie de postes importants afin de conserver
les passages en Espagne et de défendre le cours des rivières.
Les peuples Volces Tectosages n'ayant pas opposé de résistance
aux armées romaines, la République accorda aux habitants
de Carcassonne, de Lodève, de Nîmes, de Pézenas et de Toulouse
la faculté de se gouverner suivant leurs lois et sous leurs
magistrats. En l'an 70 avant J.-C., Carcassonne fut placée
au nombre des cités nobles ou élues. On ne sait quelle fut
la destinée de Carcassonne depuis cette époque jusqu'au
IVème siècle. Elle jouit, comme toutes les villes
de la Gaule méridionale, d'une paix profonde mais après
les désastres de l'Empire, elle ne fut plus considérée que
comme une citadelle (castellum). En 350 les Francs s'en
emparèrent, mais peu après les Romains y rentrèrent.
En 407, les Goths pénétrèrent dans la Narbonnaise première,
ravagèrent cette province, passèrent en Espagne, et, en
436, Théodoric, roi des Visigoths, s'empara de Carcassonne.
Par le traité de paix qu'il conclut avec l'Empire en 439,
il demeura possesseur de cette ville, de tout son territoire
et de la Novempopulanie, située à l'ouest de Toulouse.
C'est pendant cette domination des Visigoths que fut bâtie
l'enceinte intérieure de la cité sur les débris des fortifications
romaines. En effet, la plupart des tours visigothe encore
debout sont assises sur des substructions romaines qui semblent
avoir été élevées hâtivement, probablement au moment des
invasions franques. Les bases des tours visigothes sont
carrées ou ont été grossièrement arrondies pour recevoir
les défenses du ème siècle.
Du côté méridional
de l'enceinte on remarque des soubassements de tours élevées
au moyen de blocs énormes, posés à joints vifs et qui appartiennent
certainement à l'époque de la décadence de l'Empire.
Quoi qu'il en soit, il est encore facile aujourd'hui de
suivre toute l'enceinte des Visigoths. Cette enceinte affectait
une forme ovale avec une légère dépression sur la face occidentale,
suivant la configuration du plateau sur lequel elle est
bâtie. Les tours, espacées entre elles de 25 à 30 mètres
environ, sont cylindriques à l'extérieur, terminées carrément
du côté de la ville et réunies entre elles par de hautes
courtines. Toute la construction visigothe est élevée par
assises de petits moellons.
De larges baies en plein
cintre sont ouvertes dans la partie cylindrique de ces tours,
du côté de la campagne, un peu au-dessus du terre-plein
de la ville ; elles étaient garnies de volets de bois à
pivots horizontaux et tenaient lieu de meurtrières. Le couronnement
de ces tours consistait en un crénelage couvert. Des chemins
de ronde des courtines on communiquait aux tours par des
portes dont les linteaux en arcs surbaissés étaient soulagés
par un arc plein cintre en brique. Un escalier de bois mettait
à l'intérieur l'étage inférieur en communication avec le
crénelage supérieur qui était ouvert du côté de la ville
par une arcade percée dans le pignon.
Dessin de Violet le Duc
Malgré les modifications apportées
au système de défense de ces tours, pendant les XIIème
et XIIIème siècles, on retrouve toutes les traces
des constructions des Visigoths. Jusqu'au niveau du sol
des chemins de ronde des courtines, ces tours sont entièrement
pleines et présentent ainsi un massif puissant propre à
résister à la sape et aux béliers.
Les Visigoths, entre
tous les peuples barbares qui envahirent l'Occident, furent
ceux qui s'approprièrent le plus promptement les restes
des arts romains, au moins en ce qui regarde les constructions
militaires et, en effet, ces défenses de Carcassonne ne
diffèrent pas de celles appliquées à la fin de l'Empire
en Italie et dans les Gaules. Ils comprirent l'importance
de la situation de Carcassonne, et ils en firent le centre
de leurs possessions dans la Narbonnaise. Le plateau sur
lequel est assise la cité de Carcassonne commande la vallée
de l'Aude, qui coule au pied de ce plateau, et par conséquent
la route naturelle de Narbonne à Toulouse. Il s'élève entre
la montagne Noire et les versants des Pyrénées, précisément
au sommet de l'angle que forme la rivière de l'Aude en quittant
ces versants abrupts, pour se détourner vers l'est. Carcassonne,
se trouve ainsi à cheval sur la seule vallée qui conduise
de la Méditerranée à l'Océan et à l'entrée des défilés qui
pénètrent en Espagne par Limoux, Alet, Quillan, Mont-Louis,
Livia, Puicerda ou Campredon. L'assiette était donc parfaitement
choisie et elle avait été déjà prise par les Romains qui,
avant les Visigoths, voulaient se ménager tous les passages
de la Narbonnaise en Espagne. Mais les Romains trouvaient
par Narbonne une route plus courte et plus facile pour entrer
en Espagne et ils n'avaient fait de Carcassonne qu'une citadelle,
qu'un caslellum, tandis que les Visigoths, s'établissant
dans le pays après de longs efforts, durent préférer un
lieu défendu déjà par la nature, situé au centre de leurs
possessions de ce côté-ci des Pyrénées, à une ville comme
Narbonne, assise en pays plat, difficile à défendre et à
garder. Les événements prouvèrent qu'ils ne s'étaient point
trompés ; en effet, Carcassonne fut leur dernier refuge
lorsqu'à leur tour ils furent en guerre avec les Francs
et les Bourguignons.
En 508. Clovis mit le siège devant
Carcassonne et fut obligé de lever son camp sans avoir pu
s'emparer de la ville. En 588, la cité ouvrit ses portes
à Austrovalde, duc de Toulouse, pour le roi Gontran ; mais
peu après, l'armée française ayant été défaite par Claude,
duc de Lusitanie, Carcassonne rentra au pouvoir de Reccarède,
roi des Visigoths.
Ce fut en 713 que finit ce royaume
; les Maures d’Espagne devinrent alors possesseurs de la
Septimanie. On ne peut se livrer qu'à de vagues conjectures
sur ce qu'il advint de Carcassonne pendant quatre siècles
; entre la domination des Visigoths et le commencement du
XIIème siècle, on ne trouve pas de traces appréciables
de constructions dans la cité, non plus que sur ses remparts.
Mais, à dater de la fin du XIème siècle, des
travaux importants furent entrepris sur plusieurs points.
En 1096, le pape Urbain II vint à Carcassonne pour rétablir
la paix entre Bernard Aton et les bourgeois qui s'étaient
révoltés contre lui et il bénit l'église cathédrale de Saint-Nazaire,
ainsi que les matériaux préparés pour l'achever. C'est à
cette époque en effet que l'on peut faire remonter la construction
de la nef .de cette église. Sous Bernard Aton, la bourgeoisie
de Carcassonne s'était constituée en milice et il ne paraît
pas que la concorde régnât entre ce seigneur et ses vassaux,
car ceux-ci battus par les troupes d'Alphonse, comte de
Toulouse, venu en aide à Bernard, furent obligés de se soumettre
et de se cautionner. Les biens des principaux révoltés furent
confisqués.au profit du petit nombre des vassaux restés
fidèles, et Bernard Aton donna en fief à ces derniers les
tours et les maisons de Carcassonne, à la condition, dit
Dom Vaissette « de faire le guet et de garder la ville,
les uns pendant quatre, les autres pendant huit mois de
l'année et d'y résider avec leurs familles et leurs vassaux
durant tout ce temps-là. Ces gentilshommes, qui se qualifiaient
de châtelains, de Carcassonne, promirent par serment au
vicomte de garder fidèlement la ville. Bernard Aton leur
accorda divers privilèges, et ils s'engagèrent à leur tour
à lui faire hommage et à lui prêter serment de fidélité.
C'est ce qui a donné l'origine, à ce qu'il paraît, aux mortes-payes
de la cité de Carcassonne, qui sont des bourgeois, lesquels
ont encore la garde et jouissent pour cela de diverses prérogatives.
»
Ce fut probablement sous le vicomte Bernard Aton
ou, au plus tard, sous Roger III, vers 1130, que le château
fut élevé et les murailles des Visigoths réparées. Les tours
du château, par leur construction et les quelques sculptures
qui décorent les chapiteaux des colonnettes de marbre servant
de meneaux aux fenêtres géminées, appartiennent certainement
à la première moitié du XIIème siècle. En parcourant
l'enceinte intérieure de la cité, ainsi que le château,
on peut facilement reconnaître les parties des bâtisses
qui datent de cette époque ; leurs parements sont élevés
en grès jaunâtre et par assises et grossièrement appareillés.
Le 1er août 1209, le siège fut mis devant Carcassonne par
l'armée des croisés, commandée par le célèbre Simon de Montfort.
Le vicomte Roger avait fait augmenter les défenses de la
cité et celle des deux faubourgs de la Trivalle et de Graveillant,
situés entre la ville et l'Aude, ainsi que vers la route
de Narbonne.
Dessin de Violet le Duc
Les défenseurs, après avoir perdu
les faubourgs, manquant d'eau, furent obligés de capituler.
Le siège entrepris par l'armée des croisés ne dura que du
1er au 15 août, jour de la reddition de la place. On ne
peut admettre que pendant ce court espace de temps les assiégeants
aient pu exécuter les travaux de mine ou de sape qui ruinèrent
une partie des murailles et tours des Visigoths ; d'autant
qu'il existe des reprises faites pendant le XIIème
siècle pour consolider et surélever les tours visigothes
qui avaient été fort compromises par la sape et la mine.
Il faut donc admettre que les travaux de siège et les brèches
dont on signale la trace, notamment sur le côté nord, sont
dus aux Maures d'Espagne, lorsqu'ils conquirent ce dernier
boulevard des rois visigoths. Bernard Aton ne peut être,
non plus, l'auteur de ces travaux de mine, car le traité
qui lui rendit la cité occupée par ses sujets révoltés n'indique
pas qu'il ait eu à faire un long siégé et que les défenseurs
fussent réduits aux dernières extrémités. Le vicomte Raymond
Roger, au mépris des traités et de la capitulation qui rendait
la cité de Carcassonne aux croisés, était mort en prison
dans une des tours en novembre 1209. Depuis lors, Raymond
de Trincavel, son fils, avait été dépouillé, en 1226, par
Louis VIII de tous ses biens reconquis sur les croisés.
Carcassonne alors fit partie du domaine royal, et un sénéchal
y commandait pour le roi de France. En 1240, ce jeune vicomte
Raymond de Trincavel, dernier des vicomtes de Béziers, et
qui avait été remis en 1209 aux mains du comte de Foix ;
il était alors âgé de deux ans ; se présente tout à coup
dans les diocèses de Narbonne et de Carcassonne avec un
corps de troupes de Catalogne et d'Aragon. Il s'empare,
sans se heurter à une sérieuse résistance, des châteaux
de Montréal, des villes de Montolieu, de Saissac, de Limoux,
d'Azillan, de Laurens et se présente devant Carcassonne.
Il existe deux récits du siège de Carcassonne entrepris
par le jeune vicomte Raymond en 1240, écrits par des témoins
oculaires celui, de Guillaume de Puy-Laurens, inquisiteur
pour la Foi dans le pays de Toulouse et celui du sénéchal
Guillaume des Ormes, qui tenait la ville pour le roi de
France. Ce dernier récit est un rapport, sous forme de journal,
adressé à la reine Blanche, mère de Louis IX. Cette pièce
importante nous explique toutes les dispositions de l'attaque
et de la défense. A l'époque de ce siège,. les remparts
de Carcassonne n'avaient ni l'étendue ni la force qui leur
furent données depuis par Louis IX et Philippe le Hardi.
Les restes encore très apparents de l'enceinte des Visigoths,
réparée au XIIème siècle, et les fouilles entreprises
en ces derniers temps, permettent de tracer exactement les
défenses existant au moment où le vicomte Raymond de Trincavel
prétendit les forcer.
L'armée de Trincavel investit la
place le 17 septembre 12&.0, et s'empare du faubourg de
Graveillant, qui est aussitôt repris par les assiégés. Ce
faubourg, dit le Rapport, est ante portam Tolosœ.
Or la porte de Toulouse n'est autre que la porte dite de
l’Audc aujourd'hui, laquelle est une construction romane
percée dans un mur visigoth, et le faubourg de Graveillant
ne peut être, par conséquent, que le faubourg dit de la
Barbacane. La suite du récit fait voir que cette première
donnée est exacte.
Les assiégeants venaient de Limoux,
c'est-à-dire du midi, ils n'avaient pas besoin de passer
l'Aude devant Carcassonne pour investir la place. Un pont
de pierre existait sur l'Aude. Ce pont est encore entier
aujourd'hui c'est le vieux pont dont la construction date,
en partie, du XIIème siècle. Il ne fut que réparé
et muni d'une tête de pont ; sous saint Louis et sous Philippe
le Hardi. Raymond de Trincavel n'ignorait pas que les assiégés
attendaient des secours qui ne pouvaient se jeter dans la
cité qu'en traversant l'Aude, puisqu'ils devaient se présenter
par le nord-ouest. Aussi le vicomte s'empara du pont, et,
poursuivant son attaque le long de la rive droite du fleuve
vers l'amont, il essaya de couper toute communication de
l'assiégé avec la rive gauche.
Dessin de Violet le Duc
Ne pouvant tout d'abord se maintenir
dans le faubourg de Graveillant, il s'empare d'un moulin
fortifié, sur un bras de l'Aude, fait filer ses troupes
de ce côté, les loge dans les parties basses du faubourg,
et dispose son attaque de la manière suivante une partie
des assaillants, commandés par Ollivier de Thermes, Bernard
Hugon de Serre-Longue et Giraut d'Aniort, campent entre
le saillant nord-ouest de la ville et la rivière, creusent
des fossés de contrevallation et s'entourent de retranchements
palissadés. L'autre corps, commandé par Pierre de Fenouillet,
Renaud de Puy et Guillaume Fort, est logé devant la barbacane
qui existait et celle de la porte dite Narbonnaise.
En
1240, outre ces deux barbacanes, il en existait une qui
permettait de descendre du château dans le faubourg et une
faisant face au-midi. La grande barbacane servait encore
à protéger la porte de Toulouse ; aujourd'hui porte de l'Aude.
Il faut observer que les seuls points où le sol extérieur
soit à peu près au niveau des lices (car Guillaume des Ormes
signale l'existence des lices L et par conséquent d'une
enceinte extérieure), sont les points 0 et R. Quant au sol
de la barbacane D du château, il -était naturellement au
niveau du faubourg et par conséquent fort au-dessous de
l'assiette de la cité. Tout le front occidental de la cité
est bâti sur un escarpement très-élevé et très-abrupt.
En reprenant tout d'abord le faubourg aux assiégeants, les
défenseurs de la ville s'étaient empressés de transporter
dans leur enceinte une quantité considérable de bois qui
leur fut d'un grand secours; mais ils avaient dû renoncer
à se maintenir dans ce faubourg.
Le vicomte fit donc
attaquer en même temps la barbacane du château pour ôter
aux assiégés toute chance de reprendre l'offensive, la barbacane
; c'était d'ailleurs un saillant, la barbacane de la porte
Narbonnaise et le saillant au niveau du plateau qui s'étendait
à 100 mètres de ce côté vers le sud-ouest. Les assiégeants,
campés entre la place et le fleuve, étaient dans une assez
mauvaise position ; aussi se retranchent-ils avec soin et
couvrent-ils leurs fronts d'un si grand nombre d'arbalétriers
que personne ne pouvait sortir de la ville sans être blessé.
Bientôt ils dressèrent un mangonneau devant la barbacane.
Les assiégés, de leur côté, dans l'enceinte de cette barbacane,
élèvent une pierrière turque qui bat le mangonneau. Pour
être autant défilé que possible, le mangonneau devait être
établi. Peu après les assiégeants commencent à miner sous
la barbacane de la porte Narbonnaise, en faisant partir
leurs galeries, de mine des maisons du faubourg qui, de
ce côté, touchaient presque aux défenses. Les mines sont
étançonnées et étayées avec du bois auquel on met le feu,
ce qui fait tomber une partie des défenses de la barbacane.
Mais les assiégés ont contre-miné pour arrêter les progrès
des mineurs ennemis et ont remparé la moitié de la barbacane
restée debout. C'est par les travaux de mine que, sur les
deux points principaux de l'attaque, les gens du vicomte
tentent de s'emparer de la place ; ces mines sont poussées
avec une grande activité ; elles ne sont pas plutôt éventées
que d'autres galeries sont commencées.
Les assiégeants
ne se bornent pas à ces deux attaques. Pendant qu'ils battent
la barbacane du château, qu'ils ruinent la barbacane de
la porte Narbonnaise, ils cherchent à entamer une portion
des lices et ils engagent une attaque très sérieuse sur
le saillant entre l'évêché et l'église cathédrale de Saint-Nazaire.
Comme nous l'avons dit, le plateau, sur ce point, s'étendait
presque de niveau avec l'intérieur de la cité, et c'est
pourquoi saint Louis et Philippe le Hardi firent, sur ce
plateau, en dehors de l'ancienne enceinte visigothe, un
ouvrage considérable, destiné à dominer l'escarpement. L'attaque
des troupes de Trincavel est de ce côté, point faible alors,
très-vivement poussée ; les mines atteignent les fondations
de l'enceinte des Visigoths, le feu est mis aux étançons
et dix brasses de courtines s'écroulent. Mais les assiégés
se sont remparés en retraite de la brèche avec de bonnes
palissades et des bretèches si bien que les troupes ennemies
n'osent risquer l'assaut. Ce n'est pas tout, des galeries
de mine sont aussi ouvertes devant la porte de Rodez ; les
assiégés contre-minent et repoussent les travailleurs des
assiégeants.
Cependant, dès-brèches étaient ouvertes
sur divers points et le vicomte Raymond craignant de voir,
d'un moment à l'autre, déboucher les troupes de secours
envoyées du nord se décide à tenter un assaut général. Ses
gens sont repoussés avec des pertes sensibles, et, quatre
jours après, sur la nouvelle de la venue de l'armée royale,
il lève le siège, non sans avoir mis le feu aux églises
du faubourg, et entre autres à celle des Minimes.
L'armée
de Trincavel était restée vingt-quatre jours devant la ville.
Louis IX, attachant une grande importance à la place de
Carcassonne qui couvrait cette partie du domaine royal devant
l'Aragon, et prétendant ne plus avoir à redouter les conséquences
d'un siège qui l'aurait mise entre les mains d'un ennemi
sans cesse en éveil, voulut en faire une forteresse inexpugnable.
Il faut ajouter au récit du sénéchal Guillaume des Ormes
un fait rapporté par Guillaume de Puy-Laurens. Dans la nuit
du 8 au 9 septembre, les habitants du faubourg de Carcassonne
de la Trivalle, malgré leur protestation de fidélité à la
noblesse tenant pour le roi, avaient ouvert leurs portes
aux soldats de Trincavel qui, dès lors, dirigea de ce faubourg
son attaque de gauche contre la porte Narbonnaise. Saint
Louis, sitôt après le siégé levé, n'eut pas à détruire le
bourg déjà brûlé par le vicomte Raymond, mais voulant d'une
part punir les habitants de leur manque de foi, et de l'autre
ne plus avoir à redouter un voisinage aussi compromettant
pour la cité, il défendit aux gens du faubourg de Graveillant
de rebâtir leurs maisons et fit évacuer le faubourg de la
Trivalle. Ces malheureux durent s'exiler.
Dessin de Violet le Duc
Louis IX commença immédiatement de
grands ouvrages de défense autour de la cité, il fit raser
les restes des faubourgs, débarrassa le terrain entre la
cité et le pont et fit élever toute l'enceinte extérieure
que nous voyons aujourd'hui, afin de se couvrir de tous
côtés et de prendre le temps d'améliorer les défenses intérieures.
Ayant pu constater la faiblesse des deux parties de l'enceinte
sur lesquelles le vicomte Raymond avait, avec raison, porté
ses deux principales attaques, c'est-à-dire l'extrémité
sud et la porte Narbonnaise, il étendit l'enceinte extérieur
bien au-delà de l'ancien saillant sud sur le plateau qui
domine de ce côté un ravin aboutissant à l'Aude et vers
la porte Narbonnaise, à 30 mètres environ en dehors, enclavant
ainsi dans les nouvelles défenses les deux points principaux
de l'attaque de Trincavel.
Résolu à faire de la cité
de Carcassonne le boulevard de cette partie du domaine royal
contre les entreprises des seigneurs hérétiques des provinces
méridionales, saint Louis ne voulut pas permettre aux habitants
des anciens faubourgs de rebâtir leurs habitations dans
le voisinage de la cité. Sur les instances de l'évêque Radulphe
1, après sept. années d'exil, il consentit seulement à laisser
ces malheureux proscrits s'établir de l'autre côté de l'Aude.
Voici les lettres patentes de saint Louis, expédiées à ce
sujet
« Louis, par la grâce de Dieu, roy de France,
à notre amé et féal Jean de Cravis, seneschal de Carcassonne,-
salut et dilection. Nous vous mandons que vous recevez en
seureté les hommes de Carcassonne qui s'en estoient fuys,
à cause qu'ils n'avoient payé à nous les sommes qu'ils devoient,
les termes des payements escheus. Pour les demeures et habitations
qu'ils demandent, vous en prendrez advis et conseil de nostre
amé et féal l'evesque de Carcassonne et de Raymond de Capendu
et autres bons hommes, pour leur bailler place pour habiter,
proveu qu'aucun domage n'en puisse avenir à notre chasteau
et ville de Carcassonne. Voulons que leur rendez les biens
et héritaiges et possessions, dont ils joüissoient avant
la guerre, et les laissez joüir de leurs uz et coustumes,
affin que nous ou nos successeurs ne les puissions changer.
Entendons toutefoiz que lesdits hommes de Carcassonne doivent
refaire et bastir à leurs despens les églises de Nostre-Dame
et des Frères-Mineurs, qu'ils avoient démolies et au contraire
n'entendons que vous recevez en façon quelconque aucun de
ceux qui introduisirent le vicomte (de Trincavel) au bourg
de Carcassonne, estant traistres, ains rappellerez les-autres
non coupables. Et direz de nostre part à nostre amé et féal
l'évesque de Carcassonne, que des amendes qu'il prétend
sur les fugitifs, il s'en désiste, et de ce luy en sçaurohs
gré. Donné à Helvenas, le lundy après la chaise de saint
Pierre. »
Bien que nous n'ayons pas le texte original
de cette pièce, mais seulement la transcription altérée
évidemment par Besse, ce document n'en est pas moins très
important en ce qu'il nous donne la date de la fondation
de la ville actuelle de Carcassonne. En effet, en exécution
de ces lettres patentes, l'emplacement pour bâtir le nouveau
bourg fut tracé au-delà de l'Aude, et comme cet emplacement
dépendait de l'évêché, le roi indemnisa l'évêque en lui
donnant la moitié de la ville de Villalier. L'acte de cet
échange fut passé à Aigues Mortes avec le sénéchal en août
1248.
Ce bourg est aujourd'hui la ville de Carcassonne,
élevée d'un seul jet sur un plan régulier, avec des rues
alignées, coupées à angle droit, une place au centre et
deux églises. La prudence de Louis IX ne se borna pas à
dégager les abords de la cité et à élever une enceinte extérieure
nouvelle, il fit bâtir la grosse défense circulaire appelée
la Barbacane, à la place de celle qui commandait le faubourg
de Graveillant, lequel, rebâti plus tard, prit son nom de
cet ouvrage.
Il mit cette barbacane en communication
avec le château, par des rampes fortifiées, très-habilement
conçues au point de vue de la défense de la place. A la
manière dont sont traitées les maçonneries de l'enceinte
extérieure, il y a lieu de croire que les travaux furent
poussés activement, afin de mettre, au plus tôt, la cité
à l'abri d'un coup de main et pour donner le temps de réparer
et d'agrandir l'enceinte intérieure.
Dessin de Violet le Duc
Philippe le Hardi, lors de la guerre
avec le roi d'Aragon, continua ces ouvrages avec activité.
Ils étaient terminés au moment de sa mort survenue 1285.
Carcassonne était la place centrale des opérations entreprises
contre l'armée aragonaise et un refuge assuré en cas d'échec.
A la place de l'ancienne porte appelée Pressam ou Narbonnaise
ou des Salins, Philippe le Hardi fit construire une admirable
défense, comprenant la porte Narbonnaise actuelle, la tour
du Trésau et les belles courtines voisines. Du côté de l'ouest-sud-ouest,
sur l'un des points vivement attaqués par l'armée de Trincavel,
profitant du saillant que saint Louis avait fait faire,
il rebâtit toute la défense intérieure, c'est-à-dire les
porte de Razez, de Saint-Nazaire ou des Lices, ainsi que
les hautes courtines intermédiaires, de manière à mieux
commander la vallée de l'Aude et l'extrémité du plateau.
Un fait curieux donne la date certaine de cette partie de
l'enceinte qui enveloppait l'évêché. En août 1280, à Paris,
le roi Philippe permit à Isar, alors évêque de Carcassonne,
de pratiquer quatre fenêtres grillées dans la courtine adossée
à l'évêché, après avoir pris l'avis du sénéchal, et sous
la condition expresse que ces fenêtres seraient murées en
temps de guerre, sauf à pouvoir les rouvrir, la guerre terminée.
Le roi s'obligeait à faire, à ses dépens, les égouts pour
l'écoulement des eaux de l'évêché, à travers la muraille,
et à l'évêque était réservée la jouissance des étages de
la tour dite de l'Évêque ; tour carrée à cheval sur les
deux enceintes ; jusqu'au crénelage, sans préjudice des
autres droits du prélat sur le reste des murailles de la
ville. Or, ces quatre fenêtres n'ont point été ouvertes
après coup, elles ont été bâties en élevant la courtine,
et elles existent encore entre les tours donc ces courtines
et tours datent de 1280. Du côté du midi et du sud-est,
Philippe le Hardi fit couronner, exhausser et même reconstruire
sur quelques points les tours des Visigoths, ainsi que les
anciennes courtines. Du côté du nord, on répara également
les parties dégradées des murs anciens et on éleva une large
barbacane devant l'entrée du château dans l'intérieur de
la ville.
L'enceinte extérieure, que je regarde comme
antérieure de quelques années aux réparations entreprises
par Philippe le Hardi, pour améliorer l'enceinte intérieure
et je vais en donner des preuves certaines tout à l'heure
est bâtie en matériaux (grès) irréguliers et disposés sans
choix, mais présentant des parements unis, tandis que toutes
les constructions de la fin du XIIIème siècle
sont parementées en pierres ciselées sur les arêtes, et
forment des bossages rustiques qui donnent à ces constructions
un aspect robuste et d'un grand effet. Tous les profils
des tours de l'enceinte intérieure, réparée par Philippe
le Hardi, sont identiques les culs-de-lampe des arcs des
voûtes et les quelques rares sculptures, telles, par exemple,
que la statue de la Vierge et la niche placées au-dessus
de la porte Narbonnaise, appartiennent incontestablement
à la fin du XIIIème siècle.
Cette description sommaire de la
cité de Carcassonne peut faire comprendre l'importance de
ces restes, l'intérêt qu'ils présentent et combien il importait
de ne pas les laisser périr. L'église de Saint-Nazaire a
été complètement restaurée par les soins de la Commission
des monuments historiques. Ces travaux, entrepris en 1811,
n'ont été terminés qu'en 1860. Toutes les tours de l'enceinte
intérieure, découvertes depuis un grand nombre d'années,
et particulièrement celles qui sont voûtées, avaient beaucoup
souffert des intempéries de l'atmosphère. Longtemps ces
ruines ont été abandonnées aux habitants de la cité, qui
ne se faisaient pas faute d'enlever les matériaux des parapets
et des chemins de ronde à leur portée, et de se servir des
tours comme de dépôts d'immondices. La circulation, sur
le chemin de ronde, était très difficile. Sur le front sud,
un grand nombre de maisons et de baraques s'adossaient aux
remparts. Ces maisons, qui composent ce qu'on appelle encore
aujourd'hui le quartier des Lices, sont occupées par une
population pauvre de tisserands qui vivent dans des rez-de-chaussée
humides, pêlemêle avec des animaux domestiques.
Depuis
1855, des travaux de restauration, et principalement de
consolidation et de couverture des tours, ont été entrepris
dans la cité de Carcassonne, sous la direction supérieure
de la Commission des monuments historiques.
Chaque année,
depuis cette époque, des crédits sont ouverts pour restaurer
les parties de l'enceinte qui souffrent le plus et qui présentent
le plus d'intérêt. Déjà la plupart des tours de l'enceinte
intérieure sont couvertes comme elles l'étaient jadis. Des
pans de mur aui menaçaient ruine,. particulièrement du côté
de la porte de l':lude, ont été remontés et consolidés,
les chemins de ronde sont praticables. De son côté, l'administration
de la guerre a mis quelques fonds à notre disposition, et
tous les ans le Conseil général de l'Aude et la ville de
Carcassonne accordent des crédits qui sont spécialement
affectés aux acquisitions des maisons adossées encore aux
remparts.
Bien que les crédits disponibles soient faibles
chaque année, cependant le résultat obtenu est considérable
et les nombreux étrangers qui visitent aujourd'hui la cité
de Carcassonne peuvent se faire une idée exacte du système
de défense employé dans les fortifications des diverses
époques du moyen âge.
Je ne sache pas qu'il existe nulle
part en Europe un ensemble aussi complet et aussi formidable
de défense des vi% xne et XIIIe siècles, un sujet d'étude
aussi intéressant, et une situation plus pittoresque. Tous
ceux qui tiennent à nos anciens monuments, qui aiment et
connaissent l'histoire de notre pays, désirent voir achever
cette restauration, et déjà, dans le Midi, la cité de Carcassonne,
à peine visitée autrefois, est devenue le point d'arrêt
de tous les voyageurs.
En 1853, Napoléon III décide de restaurer
la cité médiévale de Carcassonne. Dirigés par l'architecte Eugène
Viollet-le-Duc, les travaux seront fortement critiqués. L'erreur
la plus régulièrement soulignée concerne les toitures : elles
ont été refaites sous forme conique avec des ardoises alors
que celles des châteaux de la région sont habituellement plates
et couvertes de tuiles romanes.