Fougères


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Fougères

Nous avons entre deux trains quelques heures pour parcourir Fougères, et nous les utilisons de notre mieux, le vrai Fougères moyen âge étant si éloigné de la gare que nous devons renoncer à le voir ; on nous assure cependant qu'il y a encore à glaner dans les vieux quartiers de la haute ville, et nous montons la première rue qui s'offre à nous. Nous sommes, à n'en pas douter, en plein centre ouvrier, et comme midi sonne à toutes Les horloges, par les grands portails des usines se déverse comme un flot sur la chaussée un tumultueux et compact essaim d'hommes et de femmes; la cordonnerie est ici une industrie locale qui occupe quelques milliers de bras. Mais la modernité nous touche peu dans cette pérégrination à travers la Bretagne, et si, dans d'autres temps, nous savons nous en accommoder avec tout ce qu'elle peut offrir de sommaire ou de capiteux, de banal ou de précieux, de vulgaire ou d'exquis, elle nous parait être arrivée dans ce milieu en barbare et en intruse, quand elle n'a pas été vandale, iconoclaste et sacrilège. Et d'ailleurs, combien nues et pauvres d'architecture ces grandes maisons, sans style, blanches et grises, avec leurs rangées uniformes de fenêtres et leurs balconnets de fer à côté de ces saillies, de ces porches ombreux, de ces surplombs, de ces lucarnes, de ces pignons qui déjà se hérissent aux abords du -beffroi et de l'église Saint-Léonard! Mais comment s'y attarder ?
Il faut passer vite et, talonnés par ce désir de tout voir qui souvent amène à ne rien voir du tout, nous poussons toujours plus avant notre pointe rapide. Elles sont toutes pareilles à celles de Vitré, ces ruelles pittoresques, ces maisons à pans de bois portés en encorbellement comme déjà nous en avons tant vu ! Par les mêmes côtés et par bien d'autres encore elles nous charment davantage. Déjà au-devant de nous, émergeant d'un pâté de constructions, s'élance dans le ciel la tour de ville où sonnait le tocsin d'alarme, gracieux beffroi dont les huit faces commandent à tous les points de l'horizon ; au sommet, dans une lanterne ajourée délicatement édifiée sur le tronc de cône d'un clocheton, le bourdon est au repos. Tout autour des corneilles volent lourdement, puis se posent sur une balustrade gothique dont les détaits de pierre enjolivent la première plate-forme. Un peu plus loin, une autre tour, carrée celle-ci, massive le clocher de Saint-Léonard.
Nous y voilà rendus ; à l’intérieur, quelques tableaux de Bida, des verrières ; à l'extérieur, une série d'extraordinaires gargouilles, et de la terrasse du jardin public, proche de l'église, le plus admirable paysage de ville et de campagne qui se puisse imaginer. Que de fraîcheur et de mystère sous ces bouquets d'arbres accrus au pied même du rempart, où l'on devine, bien abrités dans les dessous touffus, les nids des oiseaux et ceux des hommes aux chants, aux murmures qui montent dans l'air et se mèlent avec les fumées blanches et bleues. En face, une ceinture de coteaux, les uns boisés, les autres éventrés avec des trous de carrières béants, noirs ; d'autres cendrés dans les lointains, et, à nos pieds, au centre de ce décor, dominant la plaine sur son roc, le château ruiné aux trois quarts mais tenace encore, frère jumeau de celui de Vitré, comme lui posté aux avant gardes, sur les marches de Bretagne, comme lui héroïque et portant partout sur ses murailles les plaies et les éventrements que cent assauts vaillamment soutenus ou repoussés y ont laissés. Son donjon est à terre, le terrible Clisson, le farouche teneur de places fortes, l'avait élevé, ses murs sont démantelés, les tours découronnées, le château lui-même rasé par le roi de France ; et ce qui en reste est encore étonnant de hardiesse, imposant de puissance, merveilleux de pittoresque. La ruine guerrière s'est faite aimable, bonne enfant, envahie de frondaisons et de verdures ; les vents ont partout charrié sur leur aile germes et semences, et les pariétaires qui pullulent ont trouvé là un domaine et levé la dime sur chaque pierre ; un superbe verger fleurit et fructifie aux soleils du printemps, à ceux de l'été, cerné par les pans de murs.
Mais les remparts se continuent au-delà ; ils montent et descendent suivant le caprice du rocher qui leur sert de base, et la ville, avec le temps, est venue s'asseoir sur eux, s'identifier avec eux ; ici, les toits d'ardoises dégringolent vers des bas-fonds où l'on devine des venelles étroites et tortueuses, et là ils montent à pic, se poussent les uns les autres à l'escalade ; c'est encore la pierre qui monte sur la pierre son assaut après celui des hommes. Et partout oui ! y a un arrêt, une solution de continuité dans cet enchevêtrement quasi fantastique, à la faveur duquel réapparaissent les courtines, où la végétation pic aussi sa note gai, elle s’éparpille vagabonde et folle, elle dore la ruine, elle en arrondit les contours, elle lui fait des pendentifs, elle cascade, elle tapisse, elle harmonise dans son extravagante fantaisie, elle aide aussi, hélas! à J'effritement de la pierre qu'elle écarte et disjoint, elle détruit, complice des hommes et du temps.
De ce fouillis de maisons se dégage une flèche infiniment fière et pointue dont l'inclinaison surprend c'est Saint-Sulpice. Et un complaisant nous énumère les rues, les quartiers, les faubourgs, les tours du château, entre autres la Mélusine, la Gobeline, la Surienne, la porte Saint-Sulpice entre deux énormes tourasses lierreuses.
Partout dans les bas-fonds de l'eau qui court et serpente en des méandres pleins d'accidents, de charme et de rusticité, sous les aubiers, les peupliers, les aulnes qui font bouquet. Il nous en arrive des bruits de cascatelles, de moulins dont les meules tournent, de blanchisseuses dont les battoirs frappent à coups redoublés. Mais voilà que nous n'avons plus une minute à donner à tout cela ; il faut s'arracher. En toute hâte, comme nous sommes venus, il nous faut redescendre vers la gare, et c'est cette très courte mais très vive impression que j'ai noté le soir sur mon carnet de voyage.
Dans quelques heures nous serons à voir le coucher du soleil sur la tour de l'Ouest au mont Saint-Michel.



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