

Valence, à 618 kilomètres de Paris, à 106
de Lyon, compte 26,000 habitants. Le chef-lieu de lâ Drôme, situé
sur la rive gauche du Rhône, communique par un pont avec la rive
droite. La partie neuve de la ville, du côté de la gare, est bien
bâtie, avec des rues droites, spacieuses et aérées.
La vieille
ville, autour de la cathédrale Saint-Apollinaire, est composée de
rues étroites et tortueuses.
Valence, qui posséda une université
florissante, fut dévastée par les guerres religieuses ; protestants
et catholiques ensanglantèrent la ville et s'y livrèrent tour à
tour a des représailles funestes. La révocation de l'Édit de Nantes
lui fit perdre le tiers de sa population.
Sur la place des Clercs,
Mandrin fut roué vif, le 2G mai 1755. Bonaparte, lieutenant en second,
tint trois ans garnison à Valence. Le pape Pie VI y mourut en exil
en 1799.
La ville de Valence, sur le Rhône, Valentia ou Civitas
Valentiorum, est mentionnée pour la première fois par Pline, qui
lui donne le titre de colonie romaine. On ne sait rien de son origine,
et le silence de l'histoire à cet égard a laissé le champ libre
aux conjectures des vieux chroniqueurs. Les uns ont attribué la
fondation de cette ville aux Phocéens, qui lui auraient donné le
nom de Romé (courage), en mémoire d'une victoire remportée sur les
habitants du pays ; dénomination traduite plus tard par le mot latin
Valentia, qui a le même sens, qui a le même sens. D'autres, plus
hardis, affirment qu'elle a été bâtie XIIIème siècles
avant notre ère, par Romus, fils d'Allobrox, roi des Gaules ; et
telle était, au commencement du XVIIème siècle, l'absence
de toute critique historique, même chez les meilleurs esprits, que
le savant André Duchesne se contente de rapporter naïvement cette
fabuleuse origine, en ajoutant qu'elle était de son temps fort accréditée.

Il est également impossible d'affirmer, avec plusieurs historiens de la localité, que Valentia fut bâtie par Jules César ou par Auguste. Ce qu'il y a de certain, c'est que Valence, comprise, sous la domination romaine, tantôt dans la province viennoise, tantôt dans la province narbonnaise, était une des principales cités du pays des Ségalauniens, qui avait pour limites, à l'ouest, le Rhône ; au nord, l'Isère ; à l'est, les montagnes des Voconces ; au midi, le territoire des Tricastins. Cette ville était traversée par deux voies militaires ; aussi est-elle mentionnée dans tous les itinéraires. Deux inscriptions tauroboliques trouvées dans les environs, et dont nous parlerons plus loin, attestent que Valence était le siège d'un pontife perpétuel, ce qui est une preuve irrécusable de son importance. Le christianisme y pénétra de bonne heure ; pas aussitôt cependant que le prétendent les chroniqueurs, suivant lesquels l'apôtre saint Paul, allant de Lyon en Espagne, laissa dans les murs de Valence son disciple Rufus, fils de Siméon le Cyrénéen, pour y annoncer la parole du Christ. Les véritables apôtres de la foi chrétienne à Valence paraissent être saint Félix et ses compagnons les diacres Fortunat et Achillée, dont l'existence n'est pas douteuse, quoiqu'on ne puisse fixer d'une manière sûre l'époque à laquelle ils ont vécu. Leur légende, dont l'authenticité a été contestée par Tillemont et Baillet, est pleine de poétiques et touchants détails sur leur vie et leur martyre. Valence était déjà chrétienne lorsqu'on 354 l'empereur Constance vint la défendre contre l'invasion de Gundomadus et de Vadomarius, qui, à la tête des Allemani, dont ils étaient rois, ravageaient les frontières de la Gaule. Un concile provincial se réunit à Valence le 4 des ides de juillet 374, avec l'autorisation de l'empereur Gratien. Parmi les vingt-deux prélats qui y assistèrent, l'histoire cite Emilianus, qui occupait le siège de Valence. C'est le premier évêque de cette ville dont le nom sait connu. Sextus, son successeur, souffrit le martyre lors d'une invasion de barbares dont parlent Grégoire de Tours et Sigebert. En 408, le tyran Constantin III, qui, après s'être fait proclamer Auguste en Bretagne, avait rangé sous sa domination une partie de la Gaule, vint chercher dans Valence un refuge contre ses ennemis. Stilicon, qui gouvernait l'empire sous Honorius, avait dirigé contre l'usurpateur une armée commandée par Sarus, général goth. Mais ce dernier fut mis en fuite sous les murs de la ville par des chefs francs et bretons qui étaient venus au secours de Constantin. .

Quelques années plus tard, en 413,
les Goths, conduits par Ataulfe, ayant envahi la Gaule narbonnaise,
vinrent attaquer à Valence Jovin et Sébastien, qui l'un et l'autre
avaient pris la pourpre. Ces deux Prétendants ne purent résister
à Ataulfe ; leurs têtes furent tranchées et envoyées à l'empereur
Honorius, et les Goths dévastèrent la ville. Bientôt après, Valence
fut agitée par des discordes civiles. Maximus, son évêque, se livra
à des désordres qui soulevèrent contre lui toute la province. Accusé
d'homicide, il avait été appliqué à la torture par les tribunaux
séculiers ; convaincu ensuite de partager les erreurs des Priscillianistes,
il abandonna son siège pour se soustraire au jugement de ses frères.
Ceux-ci l'ayant dénoncé au pape Boniface Ier r, ce pontife
le cita à comparaitre devant un concile réuni à Valence, en 419.
Le silence des documents contemporains nous laisse ignorer quelle
fut la décision de cette assemblée; mais il y a lieu de croire que
Maximus parvint à se disculper, car il est cité avec son titre d'évêque
dans une bulle de l'an 452, par laquelle le pape Léon place le diocèse
de Valence sous la juridiction de la métropole de Vienne.
C'est
sous l'épiscopat de Maximus, vers 440, que l'histoire mentionne
une invasion d'Alains qui, sous la conduite de Sambida, leur roi,
s'emparèrent de tout le Valentinois, dont les plaines désertes,
et tant de fois ravagées, leur furent abandonnées par le général
romain Aetius. Les Alains s'établirent dans le pays, et y résidèrent
pendant cinquante ans environ. .
En 574, Zobanus, chef des Lombards,
après s'être emparé de la ville de Die, assiégea Valence, qui fut
délivrée par le patrice Mummole. Prise par les Sarrasins en 730,
et bientôt après incendiée par Charles Martel, elle fut pillée par
les Normands en 860. Vers le commencement du XIIème siècle,
Valence, qui avait été tour à tour enclavée dans les royaumes de
Provence et de Bourgogne, fit partie des États de l'empire, lorsque
Conrad le Salique, héritier de Rodolphe III, prit possession des
provinces comprises dans ce dernier royaume. Les comtes de Valentinois,
dont l'origine remonte à cette époque, exercèrent quelque temps,
conjointement avec les évêques de Valence, tous les droits de la
puissance temporelle sur cette ville; mais ces deux autorités rivales
ne tardèrent pas à entrer en lutte pour faire valoir leurs prétentions
réciproques. Les empereurs d'Allemagne, seigneurs suzerains du Valentinois,
favorisaient en général le pouvoir épiscopal, afin de s'en faire
un appui contre la cour de Rome. Tel fut le motif qui détermina
Frédéric Ier à concéder à l'évêque Odon, en 1178, le
domaine temporel du Valentinois, et à défendre en même temps aux
habitants de Valence de former entre eux aucune communauté, fédération
ou pacte quelconque, sans le consentement de leur prélat, sous peine
d'une amende de cent livres d'or, dont moitié pour le fisc impérial,
et moitié pour l'évêque. Au commencement du XIIIème siècle,
les habitants de Valence, supportant impatiemment l'autorité épiscopale,
chassèrent de leur ville l'évêque Guillaume de Savoie, et organisèrent
un conseil communal, composé d'un directeur, d’un magistrat chargé
de la police judiciaire, et de plusieurs conseillers. Un bâtiment
spécial fut destiné aux assemblées de conseil : on l'appela la Maison
de la Confrérie. Tous les citoyens étaient appelés à émettre leur
vote ; quant aux ecclésiastiques et aux moines, qui craignirent
d'encourir la disgrâce de l'évêque en approuvant la rébellion, ils
furent chassés de la ville, et leurs maisons livrées au pillage.
Cependant Giraut Bastet, seigneur de Crussol, ayant fait envisager
aux Valentinois tous les désastres de la guerre qu'ils auraient
à soutenir contre leur seigneur, assisté de nombreux et puissants
alliés, les détermina à conclure la paix avec Guillaume de Savoie.
Le traité signé le 29 octobre 1229 portait que la Maison de la Confrérie
serait rasée, que les habitants ne pourraient désormais s'organiser
en société sans la permission expresse de l'évêque, et qu'ils payeraient
une amende de six mille marcs d'argent. Le mauvais succès de cette
tentative d'affranchissement n'empêcha pas le progrès des idées
d'émancipation parmi les habitants de Valence, et, au siècle suivant,
ils obtinrent de leur évêque, mais cette fois par les voies de la
modération, une charte de franchise semblable à celle dont jouissaient
depuis longtemps les bourgeois de Grenoble. A l'exemple de la capitale
du Valentinois, les petites villes de Bourg-lès-Valence, de Châteauneuf-d
‘Isère, de Beaumont, de Montvendre, de Mont-Léger, et quelques autres,
s'érigèrent en communes, et formèrent avec le chef-lieu une ligue
pour le maintien de leurs immunités. Les bourgeois puissants de
Valence étaient les plus fermes soutiens de cette association ;
ils habitaient des maisons fortes flanquées de tours, et prêtaient
aux citoyens plus faibles l'assistance de leur patronage.

En
1566, les protestants de Valence se soulevèrent et occupèrent la
ville, ainsi que toutes celles du Bas Dauphiné, qui s'étaient déclarées
pour eux. Lors des massacres de la Saint-Barthélemy, de Gordes,
gouverneur de la province, fut du petit nombre des hommes de bien
qui eurent le courage de ne pas imiter le funeste exemple que Paris
avait donné. Beaucoup de religionnaires lui durent la vie ; toutefois
il ne put empêcher que plusieurs d'entre eux ne fussent massacrés
à Valence par la multitude. Le professeur Edmond de Bonnefoy, et
le savant Jules Scaliger, dont renseignement était alors un grand
éclat sur l'université de cette ville, ne furent sauvés que par
le dévouement de Cujas, leur illustre collègue(1). .
En 1573,
Montbrun, chef du parti des réformés, essaya deux fois de s'emparer
de Valence, où il entretenait de secrètes intelligences ; il l'attaquait
du côté de la porte Saunière, et déjà les échelles étaient appliquées
au mur pour tenter l'escalade, lorsque la sentinelle, jetant le
cri d'alarme, avertit la garnison, qui réussit à repousser les assaillants.
On sait qu'en 1798, après l'assassinat à Rome du général Duphot,
le Directoire, sous le prétexte de venger cet attentat au droit
des gens, fit enlever et conduire à Valence le pape Pie VI, qui,
arrivé dans cette ville le 14 juillet 1799, y mourut le 29 août
de la même année, après quelques jours de maladie. .
(1) L'université
de Valence, fondée par Louis XI en 1452, jouissait alors d'une grande
réputation. Son influence diminua lorsqu'un arrêt du 26 juin 1639
eut investi l'évêque du droit de présider aux élections et aux nominations
des professeurs de chacune des quatre facultés. .
Il reste très-peu
de vestiges de monuments romains à Valence. On peut cependant citer
plusieurs inscriptions tumulaires d'un certain intérêt, quelques
mosaïques conservées dans les cabinets des curieux, et les ruines
d'une partie des remparts. C'est aussi à l'époque gallo-romaine
que parait remonter la construction de la tour Saint-Félix, située
près de la porte de ce nom. Cet édifice, dont le diamètre est moindre
à la base qu'au sommet, offre une inclinaison sensible ; ce qui
n'est pas une raison suffisante pour le comparer à la tour penchée
de Pise, comme l'ont fait quelques écrivains du pays. Le peuple
explique cette particularité d'une façon très-naïve et très-poétique.
Il assure que, quand saint Félix entra dans Valence, la tour romaine
s'inclina devant l'apôtre de la foi nouvelle, et qu'elle a conservé
depuis lors cette attitude respectueuse. .
Parmi les monuments
du moyen âge que renferme Valence, le plus remarquable est la cathédrale,
dédiée primitivement aux saints martyrs Corneille et Cyprien, et
placée depuis sous le vocable de saint Apollinaire, qu'elle a conservé.
La cathédrale primitive de Valence était la vieille église de Saint-
Félix, située hors des murs. On y conservait les reliques des saints
diacres Félix, Fortunat et Achillée. La mémoire de ces apôtres du
pays était célébrée par des mystères ou représentations théâtrales.
Des lettres patentes de Louise, régente de France, datées de 1524,
nous apprennent que « les manants et habitants de la ville de Valence,
pour préserver et garder leur ville des pestes et autres maladies
et inconvénients, et le tenir en prospérité..., ont, par ancienne
et louable observance, accoustumé, de vingt-cinq en vingt-cinq ans,
ou autre temps limité, jouer ou faire jouer l'histoire des glorieux
saints martyrs Félix, Fortunat et Achillée. ». Il existe à Valence
un manuscrit contenant un de ces curieux mystères, composé par un
des consuls de la ville. L'église de Saint-Félix, devant laquelle
avaient lieu ordinairement ces pieuses représentations, a été ruinée
par les guerres de religion, et entièrement démolie en 1720.
An nord de l'église cathédrale de Saint-Apollinaire, dans l'emplacement
occupé autrefois par un cimetière, s'élève un petit édifice à quatre
faces égales, qui servait de tombeau à la famille de Mistral. Les
angles sont flanqués de colonnes d'ordre corinthien à demi engagées.
Sur les faces qui courent au levant et au couchant, s'ouvrent deux
grandes fenêtres, et, sur la façade du nord, une porte ornée avec
une grande délicatesse. Les massifs de chaque face sont vermiculés
et semés d'arabesques et d'animaux fantastiques. La corniche, qui
offre des détails précieux, est chargée des armoiries de la famille
de Mistral. Une toiture à quatre faces, terminée en pointe, couronne
l'édifice. La voûte sphérique, percée de baies cintrées, est assez
remarquable. Elle a fait donner à ce monument le nom de Pendentif
de Valence.

L'église de Saint-Jean est la plus ancienne de la
ville. Les documents historiques qui la concernent sont très-rares,
et n'apprennent rien de positif sur l'époque de sa fondation. Il
résulte, des actes du troisième concile tenu à Valence en 855, que
les prélats convoqués à cette assemblée se réunirent dans une maison
adjacente à la basilique de Saint-Jean. Cette église existait donc
au milieu du IXème siècle. Ruinée pendant le cours des
guerres de religion, elle ne lut rendue au service divin qu'en 1720,
par les soins de Jean de Castellan, évêque de Valence. Il ne reste
plus de l'ancienne construction que le rez-de-chaussée de la tour
qui est sans ornements, et, aux deux côtés du porche, la naissance
des voussures et des piliers qui supportaient les bas-côtés de la
nef. Toutes les autres parties du monument, refaites au commencement
du siècle dernier, sont du plus mauvais goût.
Au lieu où est
aujourd'hui la place des Clercs, il existait autrefois une autre
église de Saint-Jean, dont la fondation remontait, dit-on, à l'époque
romaine. Sa forme lui avait fait donner le nom de Saint- Jean de
la Ronde, ce qui ne permet pas de douter que ce fût dans l'origine
un baptistère, et non un panthéon, comme le prétendent quelques
historiens du pays, par une erreur que nous avons déjà eu l'occasion
de signaler en parlant de plusieurs monuments du même genre.
Parmi les autres édifices religieux de Valence, le plus célèbre
était l'abbaye chef d'ordre de Saint-Ruf, dont Duchesne parle avec
admiration. « C'estait, dit-il, l'un des plus beaux et superbes
bastiments de « tout le Dauphiné avant qu'elle eust esté ruinée
par ceux de la religion prétendue réformée, surtout le cloistre,
dont les piliers estoient « composés de marbres de plusieurs couleurs
différentes et artistement élabourez et embellis de diverses figures
tirées du vieil et du « nouveau Testament et de l'Apocalypse (I).
»

L'ordre de Saint-Ruf fondé en 1038 à Avignon,
avait eu dans cette ville son premier monastère. Les chanoines ayant
été obligés de l'abandonner au siècle suivant, à cause de la guerre
des Albigeois, vinrent s'établir en 1158 à Valence, où l'évêque
Odon leur vendit l'île de l'Epervière. Cette transaction fut approuvée
par le pape Adrien IV, qui lui-même avait été chanoine, puis abbé
de Saint-Ruf. Ce fut alors que les religieux élevèrent dans leur
nouvelle résidence la maison abbatiale et la vaste église dont les
historiens de Valence vantent la beauté. Les guerres de religion
n'ont laissé debout de ce monument que des fragments de murailles,
près desquels s'élève aujourd'hui une ferme. En 1562, l'abbaye de
Saint-Ruf fut transférée dans l'enceinte de la ville, sur l'emplacement
occupé auparavant par le prieuré de Saint-Jacques. L'ordre de Saint-Ruf
suivait la règle de Saint-Augustin, avec quelques institutions particulières
pour la discipline. Il a fourni à l'Eglise un grand nombre d'hommes
illustres, des cardinaux, des évoques et plusieurs papes.
A
l'angle méridional de la rue Saunière, s'élevait jadis le manoir
ou le logis des dauphins, appelé le Palais royal par Belleforest.
Bâti en 1450 par le dauphin Louis, depuis Louis XI, ce palais avait
remplacé un édifice plus ancien, dans lequel saint Louis avait été
hébergé, dit-on, par le dauphin de Viennois, lorsqu'il vint mettre
le siégé devant le château de la Roche de Glun. Le Palais royal
étant tombé en ruine, les Récollets obtinrent de Louis XIII la permission
de construire sur le lieu qu'il occupait, leur maison conventuelle
et une église, qui subsiste encore, et n'a rien de remarquable
Le couvent des Dominicains, où le dauphin Humbert II venait souvent
faire de pieuses retraites, avait été fondé en 1234 pour cent religieux.
Quatre fois ses vastes salles servirent à réunir les chapitres généraux
de l'ordre. Ruiné en 1562 par les huguenots, il fut reconstruit
quelques années après sur un plan encore plus étendu. « Au cloître
de ce couvent, dit Duchesne, on voit le portrait d'un géant appelé
Buard, haut de quinze coudées, et les monstrueux restes de ses ossements.
» La croyance aux géants était fort répandue à Valence et aux environs.
Aimar du Rivail, auteur de l'Histoire des Allobroges, raconte naïvement
les prouesses de Curseolus, qui ayant franchi le Rhône d'un seul
bond, s'arrêta sur le rocher de Crussol, où il bâtit le château
dont on voit aujourd'hui les ruines. Dans un autre couvent de la
ville, on montrait aux curieux les os gigantesques de Theutobochus,
guerrier de trente pieds de haut, dont le tombeau, disait le peuple,
avait été découvert dans la seigneurie de Langon. C'était autrefois
une opinion accréditée dans tout le Valentinois, que les pierres
taillées en forme de meule de moulin, et forées au centre, que l'on
rencontrait dans la campagne, avaient servi de lest aux fuseaux
des femmes des géants. On trouve beaucoup d'ossements fossiles dans
le pays de Valence.
Pour achever la nomenclature des principaux
édifices religieux que contenait autrefois Valence, il nous reste
à nommer deux abbayes de femmes : celle de Vernaison, fondée avant
le XIIIème siècle à Commiers, près de Valence, transférée
dans la ville, en 1516, et aujourd'hui démolie en partie ; et le
monastère de Soyons, dont les religieuses, établies d'abord dans
le bourg de ce nom, en Vivarais, vinrent, en 1621, chercher à Valence
un asile plus sûr. Ces religieuses, qui appartenaient à l'ordre
de Saint-Benoît, avaient la haute, moyenne et basse justice sur
leurs terres, et jouissaient de grands privilèges. Elles conservaient
avec vénération les reliques de saint Venance, évêque de Viviers,
auxquelles on attribuait des guérisons miraculeuses.

Plusieurs
maisons de la ville offrent de précieux vestiges de l'architecture
du moyen âge et de celle de la renaissance. Une des plus remarquables
est celle de M. Marc Aurel, qui appartient au XVème siècle.
La Façade est décorée de sculptures exécutées de manière à produire
un bon effet, de statues, de figures grotesques, et de quatre énormes
têtes qui, selon les antiquaires du pays, représentent les quatre
vents. Les portraits et les statues sont entourés de légendes tracées
en caractères gothiques. Les arceaux du rez-de-chaussée et les fenêtres
du premier étage ont été mutilés, ainsi qu'une partie de la façade
: c'est une perte regrettable pour les arts.
Une autre maison
très-digne d'attention est celle de M. Dupré-la- Tour, rue de la
Pérollerie. Elle ne présente à l'extérieur aucun ornement sculpter.
La porte d'entrée donnant sur la rue est décorée d'une simple corniche,
au-dessous de laquelle se voit la trace d'armoiries depuis longtemps
effacées. Les fenêtres étaient divisées en quatre parties par des
croisillons ou meneaux de pierre qu'on a enlevés il y a trente ans.
C'est dans une cour intérieure que se trouve l'escalier dont la
jolie porte est représentée dans nos dessins. Les deux piliers placés
de chaque côté, et les chapiteaux qui les surmontent, sont ornés
de médaillons, de figures, d'arabesques sculptées avec le plus grand
soin. Une guirlande de feuillage très-bien conservée entoure la
baie de cette porte. Au-dessus règne une frise élégante, aux deux
extrémités de laquelle sont deux bustes, l'un de femme, l'autre
de jeune homme, presque de grandeur naturelle. Entre ces bustes
se développent sur toute l'étendue de la frise trois sujets très-distincts,
que nous croyons empruntés tous trois à la mythologie. Le bas-relief
du milieu, qui est le plus grand, représente un personnage en costume
du XVIème siècle, étendu au pied d'une fontaine, la tête
appuyée sur le coude, et regardant trois femmes nues et debout placées
devant lui. L'une de ces femmes tient dans sa main une pomme ; toutes
trois portent un collier à médaillon. Entre le chevalier et le groupe
de femmes un cheval harnaché parait derrière une touffe d'arbres.
De l'autre côté de la fontaine, un homme coiffé d'un bonnet ailé,
et tenant à la main un sceptre, ou peut-être le caducée, regarde
attentivement la scène qui se passe devant lui. Cette scène est
évidemment pour nous le Jugement de Pâris. Le bas-relief placé à
gauche représente deux satyres soulevant le voile qui recouvrait
une femme endormie, et près de laquelle sont deux enfants ou deux
amours. Ce n'est peut-être qu'une de ces scènes si souvent répétées
de nymphes surprises par des satyres ; peut-être aussi est-ce la
fable de Jupiter et Antiope, qui a exercé le pinceau du Corrège
et de tant d'autres peintres. Marc Antoine a gravé un sujet analogue.
Le bas-relief de droite offre deux personnages, un homme et une
femme dans l'attitude de la course. L'homme, vêtu en guerrier, coiffé
du bonnet phrygien, entraîne la femme, qui regarde derrière elle.
C'est probablement l'Enlèvement d'Hélène. Au-dessus de l'entablement,
deux anges à genoux soutiennent un écusson octogone, sur lequel
étaient gravées les armes aujourd'hui effacées des propriétaires
de cette maison. Plus haut, et près d'un pilastre cannelé, placé
à droite de la croisée du premier étage, on lit en chiffres arabes
la date de 1522, qui est celle de la construction de l'édifice.