Angoulème - Préfecture de la Charente
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On croit que la contrée dont se compose le département de la Charente fut habitée originairement par les Agesinates, tribu de la grande confédération des Santones. Ils firent sans doute partie de l'antique expédition des Celtes en Italie et durent contribuer aussi à la fondation de Mediolanum, aujourd’hui Milan. Toutefois malgré plusieurs dolmens encore debout dans le pays, il n'y a rien de bien certain ni de bien authentique dans les faits antérieurs à la conquête romaine. A dater de cette époque, les documents se présentent plus clairs et plus précis. Jules César et ses successeurs firent d'inutiles efforts pour conquérir l'affection des Santones vaincus ; c'est en vain que leur territoire fut préservé par les armes romaines d'une double invasion des Helvètes et des Teutons ; c'est en vain que les villes furent embellies, les arts encouragés, le commerce protégé, la circulation facilitée par la création de routes nouvelles ; rien ne put désarmer les rancunes obstinées de l'esprit national. Sans parler de plusieurs séditions locales, les Santones, qui avaient fourni un contingent de 12 000 hommes à Vercingétorix, ne se laissèrent pas décourager par leurs constantes défaites ; on les vit encore sous Auguste livrer à Messala Corvinus une sanglante bataille non loin de l'Océan. Pour chercher à déraciner cette nationalité tenace, la politique des empereurs eut recours à son moyen habituel elle changea les divisions territoriales ; de la Celtique Lyonnaise, le pays des Santones passa dans la seconde Aquitaine. La trêve fut de courte durée un siècle à peine s'écoula entre l'apaisement des révoltes du peuple conquis et les premières apparitions des barbares, ses nouveaux maîtres.

Dès les commencements du IVème
siècle, les pirates saxons apparaissent sur les rivages de la
mer et à l'embouchure des rivières ; les Francs, dont l'heure
n'est pas, encore venue, menacent déjà le Nord ; les Wisigoths
disputent aux Romains les régions occidentales et méridionales,
dont ils finissent par rester maîtres. C'est au milieu de ces
symptômes de dissolution et de transformation que le christianisme
pénètre et s'implante dans le pays. Il dut trouver les cœurs
des Agésinates disposés à la foi nouvelle, puisque l'Angoumois,
qui avait eu pour premier apôtre saint Martial, et pour premier
évêque saint Ausone, qu'il ne faut pas confondre avec le poète,
possédait en 379 un siège épiscopal occupé alors selon Grégoire
de Tours par Dynamius.br> On sait quels ravages les doctrines
d'Arius, encouragées par les princes wisigoths, exerçaient dans
leurs possessions ; les évêques se liguèrent avec les chefs
francs qui étaient restés orthodoxes. Clovis exploita habilement
l'alliance qui lui était offerte. Le succès de ses armes et
l'éclatante victoire de Vouillé couronnèrent l'œuvre préparée
par sa politique, et l'Aquitaine, dont notre province faisait
partie, fut incorporée dans le nouvel empire franc.
L'existence
de l'Angoumois, comme province distincte, est constatée à cette
époque par la création de comtes qui y représentaient le pouvoir
du roi et par l'acte de partage qui suivit la mort de Clotaire.
L'Angoumois entrait dans l'héritage de Sigebert, roi de Metz,
tandis que la Saintonge et l'Aunis étaient affectés à Caribert,
roi de Paris. Nous avons donné dans l'histoire de la Guyenne,
où il était mieux à sa place, le récit des longues luttes des
ducs mérovingiens d'Aquitaine avec les maires du palais qui
préparèrent avec une persévérance si habile l'usurpation de
la couronne. L'Angoumois fut mêlé à toutes ces guerres; mais
le fanatisme, les traditions et l'intérêt, qui poussèrent si
avant Toulouse et Bordeaux dans cette querelle, eurent moins
d'action sur les habitants de la province qui nous occupe; «
Nous n’avons pas de guerre au Francs », disaient-ils, et, trop
désireux peut-être de voir la paix rétablie, ou, du moins, trop
peu scrupuleux sur les moyens d'y parvenir, ils mirent à mort
le malheureux Waïfre, le dernier et intrépide descendant des
ducs, qui, vaincu et fugitif, était venu chercher asile auprès
d'eux. Malgré la garantie que semblait offrir cette attitude,
il paraît que Charlemagne ne regardait pas comme sans danger
le pouvoir provincial aux mains des hommes du pays il les remplaça
tous par des seigneurs francs dans le voyage qu'il fit en Aquitaine
pour y organiser sa dernière expédition d'Espagne, dans laquelle
périt Roland. C'est à Angoulême qu'il rassembla son armée, et
parmi ses plus illustres compagnons, l'histoire a conservé les
noms des membres de trois familles de l'Angoumois, qui s'acquirent
un grand renom de vaillance dans les guerres de cette époque
c'étaient les Achard, les Tison et les Voisin.
Lors du partage
de l'empire entre les fils de Louis le Débonnaire, Pépin, roi
d'Aquitaine, institue, en 839, des comtes pour gouverner les
provinces de son royaume; il met à la tête de l'Angoumois un
seigneur d'un rare mérite et d'une valeur éclatante, Turpion,
qui devient la souche des comtes d'Angoulême, si puissants pendant
une grande partie de la période féodale. Turpion, comme tous
les fondateurs de dynastie à cette époque, établit sa réputation
et son crédit par son zèle à défendre sa province contre les
agressions étrangères et par ses exploits contre les Normands.
Pendant trois siècles, ses successeurs maintiennent et agrandissent
la puissance de leur maison ; guerroyant contre leurs voisins
les comtes de Saintes et de La Marche, contre les seigneurs
d'Archiac et de Bouteville étendant leurs domaines aux dépens
des ducs d'Aquitaine, comme les seigneurs d'un rang plus élevé
le faisaient eux-mêmes aux dépens de la royauté ; expiant leurs
méfaits trop criants, leurs usurpations trop flagrantes par
quelques voyages en Palestine et couronnant enfin l'ambition
traditionnelle de leur famille, par le mariage du comte Geoffroy,
surnommé Taillefer, avec Pétronille d'Archiac et de Bouteville,
la plus riche héritière de la Saintonge et de l'Angoumois, en
1148. La reconstitution sérieuse du duché d'Aquitaine par Guillaume
Tête-d ‘Etoupe, comte de Poitiers, la réunion d'immenses domaines
aux mains d'Éléonore, son héritière, l'union de cette princesse
avec Louis VII le Jeune, son divorce, puis son second mariage
avec Henri Plantagenet, ouvrent une nouvelle phase de l'histoire
de l'Angoumois

Rien de plus confus, de plus variable que la politique des seigneurs de nos provinces occidentales pendant cette lutte longue et désastreuse de la France et de l'Angleterre, qui commence à Louis le Jeune et ne finit qu'à Charles VII; les intérêts aquitains s'effacent, le sentiment de la nationalité française n'existe pas encore; les princes anglais, par leurs alliances par leur origine par les traités avaient des droits trop oubliés par l'histoire, mais qui durent ne pas être sans valeur aux yeux des contemporains; en outre, leur valeur dans les combats, le libéralisme de leur administration purent souvent faire illusion sur la légitimité de leurs prétentions.

On comprend donc, sans pouvoir l’excuser absolument, que dans ce chaos, au milieu de toutes ces incertitudes, l'intérêt ait été le guide le plus habituel des barons aquitains. La difficulté de la situation rend d'autant plus méritoire la conduite des comtes d'Angoulême, qui, sauf quelques circonstances exceptionnelles, restèrent fidèles à la cause nationale. En 1168 et 1175, Guillaume IV prit part à la lutte des grands vassaux ligués contre Henri II d'Angleterre. En 1194, Aymar Taillefer s'allie à Geoffroy de Rancon pour recommencer la guerre contre Richard Cœur de Lion, et, quelques années plus tard, il refuse à Jean sans Terre la main de sa fille et unique héritière, Isabelle, pour la marier à Hugues de Lusignan, comte de La Marche. Puis, lorsque le célèbre arrêt de confiscation est prononcé contre le monarque anglais, pour le punir d'avoir dépouillé son neveu, Arthur de Bretagne, Aymar, quoique déjà vieux, se met à la tête des seigneurs disposés à assister Philippe-Auguste dans l'exécution de la sentence. Les descendants de cet ennemi acharné de l'Anglais furent moins belliqueux que leur ancêtre, mais ils semblent avoir hérité de ses sympathies pour la monarchie française. Le second mariage d'Isabelle avait réuni dans les mains des Lusignan les deux comtés de la Marche et de l'Angoumois. Hugues XIII, qui n'avait point d'enfants engagea la Marche à Philippe le Bel, en 1301, pour une somme d'argent considérable et assura au roi tant d'avantages par bon testament, qu'à sa mort le prince put écarter sans peine les prétentions des collatéraux et réunir à la couronne les deux provinces, en 1303. Ce fut donc dans la personne de Hugues XIII et de Guy de Lusignan que s'éteignit la dynastie des comtes féodaux de l'Angoumois. Les princes qui, depuis, portèrent ce titre ne le possédèrent que comme apanage. C'est ainsi que Charles IV le Bel le conféra à sa nièce, Jeanne de Navarre, et que plus tard, de 1322 à 1496, nous en voyons successivement revêtus Charles d'Espagne, favori de Jean le Bon, le duc de Berry et le duc d'Orléans, frère et second fils de Charles V, puis Jean et Charles d'Orléans, héritiers du duc. Le retour de l'Angoumois au domaine royal ne l'avait pas mis à l'abri des chances de la guerre, qui continuait plus calamiteuse et plus acharnée ; l'épée de Du Guesclin avait bien maintenu pendant quelque temps la domination française dans nos provinces ; mais de cruels désastres avaient succédé à ces jours de gloire. Pendant la captivité du roi Jean, l'Angoumois était tombé au pouvoir des Anglais ; le traité de Brétigny avait ratifié cette conquête ; Angoulême devint la capitale et le séjour habituel du Prince Noir. Cette possession fut vivement disputée pendant le règne suivant.

Mais c'est à Charles VII qu'appartient
la gloire d'avoir enfin rendu l'Angoumois à la France.
Nous
n'aurons plus à compter maintenant avec l'étranger; ce sont
des discordes civiles et les guerres de religion qui agiteront
le pays. Elles, ne se firent malheureusement pas attendre ;
à la révolte de Charles de Valois, que Louis XI, son frère,
avait placé à la tête des gouvernements de la Guyenne, de l'Aunis
et de la Saintonge, succède, sous Charles en 1487, la conjuration
de Charles d'Orléans, comte d'Angoulême, contre lequel le roi
fut obligé de marcher à la tête d'une armée, accompagné de sa
sœur, Anne de Beaujeu. Le duc fit sa soumission on lui pardonna.
Il venait d'épouser Louise de Savoie et de cette union naquit,
au château de Cognac, en 1494, François, qui, avant de régner
sous le nom de François 1er porta comme son père
le titre de comte d'Angoulême. C'est en considération de ce
souvenir qu'en 1515 il érigea en duché-pairie le comté dont
il avait été titulaire et il en fit hommage à sa mère, qui fut
la première duchesse d'Angoulême. Les nombreux témoignages de
bienveillance et d'affection que François 1er donna
aux habitants de l'Angoumois, soit par l'amélioration de la
navigation de la Charente, soit par l'établissement d'une université
dans la capitale de la province, retardèrent ou rendirent inoffensifs
les premiers progrès de la réforme religieuse ; il est même
permis de supposer que la lutte eût été beaucoup moins acharnée
et moins sanglante dans cette contrée, si les haines n'avaient
eu leur principal aliment et la guerre son point de départ dans
la malheureuse insurrection dite de la gabelle.

Un impôt fort impopulaire, frappé dans les circonstances les plus défavorables, détermina un soulèvement presque général dans les campagnes. La révolte trouva pour la diriger un gentilhomme d'une rare capacité, qui réunit sous ses ordres jusqu'à 50 000 hommes et fut pendant quelque temps maître de l'ancienne Aquitaine. C'était, sans doute, une immense calamité ; mais ce qui fut plus malheureux encore, ce fut de confier le soin de la répression à un homme aussi inflexible dans son caractère, aussi implacable dans sa sévérité que l'était le connétable de Montmorency. Il usa envers les insurgés vaincus de si terribles représailles ; il rendit si odieux le gouvernement au nom duquel il prétendait agir, que les populations se jetèrent avec une espèce de frénésie dans les voies d'opposition qui s'ouvrirent devant elles, et que le souvenir des atrocités dont le pays avait été le théâtre et la victime exerça une déplorable influence sur le caractère des habitants.

Le calvinisme, à dater de ce moment,
prit des développements formidables la noblesse, jalouse de
la fortune inouïe de la maison de Lorraine, fournit des chefs
à l'insurrection qui se préparait. La Renaudie, l'âme et le
héros de la conjuration d'Amboise, était un gentilhomme de l'Angoumois
; les comtes de La Rochefoucauld, les barons de Duras furent
des premiers à courir aux armes quand les religionnaires crurent
venu le moment favorable de prendre l'offensive. C'est par la
dévastation, le pillage, le meurtre et le sacrilège, que leurs
premiers succès furent signalés on se vengeait du connétable
; les insurgés de la gabelle prenaient leur revanche.
Les
catholiques s'abandonnaient aux mêmes excès quand ils étaient
vainqueurs ; les trêves, les traités de paix ne servaient qu'à
masquer de nouveaux pièges et de nouvelles trahisons. L'état
normal, c'était la guerre, et la guerre des grandes batailles,
comme Jarnac et Moncontour, des sièges héroïques, comme ceux
de Saint-Jean-d’Angély et de La Rochelle des grands capitaines,
comme Condé, Coligny, Rohan, d'Aubigné, d'Anjou, La Trémouille,
Matignon et les Guises. Les massacres de la Saint-Barthélemy
vinrent mettre le comble à l'exaspération, et lorsque l'épuisement
des deux partis, la mort de leurs principaux chefs, la politique
conciliatrice de Henri IV, l'administration paternelle et éclairée
de Sully ont partout ailleurs ramené le calme dans les esprits,
le poignard d'un Angoumoisin, de Ravaillac, vient attester l'invincible
obstination des haines et du fanatisme de sa province. C'est
dans ces ferments de discorde toujours prêts à éclater, dans
ces amas de rancunes toujours ardentes, que trouvèrent leur
principal point d'appui et qu'établirent leur base d'opération
les ambitions qui agitèrent les premières années du règne de
Louis XIII. C'est l'Angoumois et la Saintonge que soulèvent
Rohan et Soubise, à la nouvelle de l'union projetée entre le
roi et l'infante d'Autriche. C'est sur les bords de la Charente
que se rencontrent le maréchal de Bois-Dauphin et le prince
de Condé, commandants en chef des deux armées. Quatre ans plus
tard, lorsque, dans un accès de dépit, Marie de Médicis quitte
la cour, c'est à Angoulême qu'elle se réfugie, et c'est là que
Richelieu vient négocier sa réconciliation avec son fils. La
Fronde elle-même, enfin, si futile dans ses causes, inoffensive
sur tant de points, d'une stérilité quasi ridicule presque partout,
prend dans l'Angoumois les proportions d'une guerre sérieuse
et aboutit à une sanglante bataille, perdue par le prince de
Condé sous les murs de Cognac en 1651.
Des agitations si
continuelles et si profondes avaient depuis longtemps paralysé
l'essor du commerce dans l'Angoumois; la révocation de l'édit
de Nantes acheva de l'anéantir. Le règne pacifique de Louis
XV, les commencements de celui de Louis XVI avaient été impuissants
à réparer tant de maux.

La révolution de 1789 fut accueillie
dans l'Angoumois avec un enthousiasme universel et saluée comme
l'aurore d'une ère réparatrice. Toutes les rivalités locales
s'effacèrent, les dissentiments religieux eux-mêmes furent oubliés.
Les orages mêmes qui survinrent bientôt ne découragèrent pas
les espérances des habitants ; il existe plusieurs rapports
des commissaires de la Convention, envoyés en mission dans le
département de la Charente ils sont unanimes dans l'éloge qu'ils
font de l'esprit patriotique des habitants. Au temps des Romains
la confédération des Santones avait, comme nous l'avons dit,
fourni 12 000 combattants à l'armé de Vercingétorix ; en 1793,
le seul département de la Charente leva 10 000 hommes pour la
défense de la République menacée.
Depuis lors, le département
n'a plus eu qu'un rôle passif dans les événements de l'histoire
nationale. L'amélioration de sa culture, le réveil de son commerce
sont des bienfaits qu'elle doit à l'organisation moderne ; l'aspect
général du pays s'est déjà notablement modifié. On sent qu'une
vie nouvelle circule dans ce corps rajeuni ; l'application de
la vapeur a transformé, agrandi les anciennes industries et
en a créé de nouvelles. A côté des papeteries de l'Angoumois,
renommées depuis si longtemps, s'élèvent de puissantes usines
pour la distillerie et la fabrication du fer et de l'acier.
Le nombre des filatures et des ateliers de tissage augmente
de jour en jour le commerce, à son tour, par son activité, par
l'abondance des capitaux, et grâce au perfectionnement des voies
de communication et des moyens de transport, étend d'année en
année le rayon des débouchés de tous ces produits. Ce progrès,
tout sensible qu'il soit, n'est à nos yeux que le début d'une
véritable renaissance. Les longues misères du passé avaient
placé le département de la Charente dans une infériorité relative
contre laquelle protestent et les ressources de son sol et le
génie de ses habitants. Cette surexcitation que nous avons indiquée,
cette marche accélérée vers les conquêtes de l'avenir, ne s'arrêtera
que quand la Charente aura repris sa place parmi les plus avancés
et les plus favorisés des départements de la France. Le caractère
des habitants se dépouille petit à petit de tout ce qui pourrait
faire obstacle à la réalisation de nos espérances; cette paresse
contemplative, jointe à une grande instabilité dans les goûts
et à un vif amour des plaisirs, ces tendances superstitieuses
s'alliant à un scepticisme religieux, toutes ces inconséquences
signalées par les vieux auteurs n'existent plus guère dans les
villes, si elles se manifestent encore au fond de quelques campagnes
partout on semble avoir conscience de l'avenir, et l'homme s'harmonise
avec la nature qu'il embellit et qu'il féconde.

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