Toulouse (Tolosa Volcorum, Palladia Tectosagxm)
est une grande, belle, riche et ancienne ville Au XVème
siècle, on attribuait la fondation de Toulouse à Limosis, fils de
Japhet. L'archéologie de ce temps recourait fréquemment pour expliquer
l'origine de nos villes, à la double et commode ressource de l'émigration
des premiers descendants de Noé et de la dispersion des Troyens
fugitifs. On a dit aussi que Toulouse était la plus ancienne ville
de la Gaule et peut-être de l'Europe; c'est possible, mais difficile
à prouver. Il y avait en Espagne, dès l'antiquité, des villes du
nom de Tolosa. En doit-on conclure que ce sont les Ibères qui vinrent
fonder la Tolosa gauloise, ou que ce sont les Celtes qui, dans leur
invasion en Espagne, y portèrent le nom de Tolosa ? M. le chevalier
du Mège adopte la seconde opinion et la corrobore d'une étymologie
celtique Dol, Tol, table, lieu uni, Aoz, lit ou canal de rivière,
Tolosa signifierait donc plateau au bord d'une rivière. Or, c'est
exactement la situation du petit village qui porte encore aujourd'hui
le nom de Vieil-Toulouse, à peu de distance et au sud de la ville
actuelle, sur la rive droite de la Garonne en remontant son cours
près du confluent de l'Ariège.
Le grand nombre d'urnes cinéraires
découvertes en ce lieu, et qui, brisant le soc des charrues, faisaient
le désespoir des laboureurs, fit penser à quelques auteurs qu'il
n'y avait là qu'un faubourg ou une dépendance de l'autre Toulouse,
une espèce de cimetière.
Mais les fouilles ont mis au jour, outre
ces urnes des statuettes, des ustensiles de toutes sortes, des débris
d'édifices, une large rue pavée, surtout un nombre infini de médailles
: médailles phéniciennes, celtibériennes et gauloises, grecques,
romaines, consulaires et impériales. Les médailles de Marseille
et les consulaires dominaient. Ces médailles de Marseille attestent
la présence des Grecs et cette ligne de comptoirs fondés par eux,
dont Tolosa était l'emporium le plus fréquenté. L'abbé Audibert
veut même que Toulouse doive son nom à un verbe grec qui signifie
Tholousa polis), c'est-à-dire ville bourbeuse « en outre de ce
que les environs de Toulouse sont fort gras et que cette ville est
pendant l'hiver une des plus boueuses du royaume, l'on doit se ressouvenir
que les marais que les anciens auteurs attribuent à Toulouse ont
un rapport marqué avec l'étymologie de ce nom. »
Les Toulousains acceptent- ils cette fâcheuse
ressemblance avec l'antique Lutèce ? A quelle époque Toulouse se
déplaça et descendit dans la belle et vaste plaine qu'elle occupe
aujourd'hui, ce serait difficile à dire, et cela se fit peut-être
insensiblement. Ce qu'il y a de certain c'est que la nouvelle Toulouse
n'offre que fort peu d'antiquités païennes. Le capitoul Lafaille
parle seulement d'un amphithéâtre dont on voyait les restes près
du château Saint-Michel, qu'il suppose avoir été construit entre
César et Galba. L'enceinte romaine, en cailloux revêtus de briques,
était de forme circulaire et traversée par la Garonne. Onze voies
romaines en partaient dans des directions diverses de la porte du
Bélier (porta Arietis), trois voies divergentes conduisaient à Cahors,
Albi, Agen cinq-autres rayonnaient, du point le plus occidental
de l'enceinte, sur la, rive gauche du fleuve, vers Lectoure, Auch,
Aquis, Lugdunum Convenarum qui est Saint-Bertrand-de-Comminges
et la vallée de l'Ariège; du même point partait l'aqueduc romain;
au sud, deux voies sortaient par la porte du Château-Narbonnais
l'une sur la Vieille-Toulouse, l'autre sur Narbonne; un peu plus
à l'est, enfin, une onzième voie partait de la ville et joignait
vers Baziège la voie narbonnaise. Il n'est pas douteux que Toulouse
n'ait alors bâti aussi des temples, car elle avait une dévotion
particulière à Apollon, Jupiter et Minerve. On la surnommait Palladia,
la ville de Pallas, hommage rendu à sa prospérité ; à son industrie,
au génie littéraire de ses habitants. Ausone, qui l'appelle « Toulouse
la savante, » l'a chantée dans des vers dont voici le sens :
Je ne t'oublierai jamais, ô Toulouse, ville dans laquelle j'ai été
élevé. Une vaste enceinte de briques te presse, et la Garonne baigne
l'un des côtés de tes remparts. Assise entre les peuples de l'Aquitaine
et de l'Ibérie, tu possèdes une immense population, et tu touches
aux neigeuses Pyrénées et aux monts des Cévennes, ombragés par des
pins. Quatre cités sont sorties de ton sein, et cependant il paraît
que tu n'as rien perdu de ton peuple et que tu renfermes encore
dans ton sein tous les citoyens qui y sont-nés. » Ces quatre
cités et l'épithète de quadruples donné à la ville ont fourni à
la glose une ample matière. Il semble évident que le poète veut
parler de colonies. César mentionne en Germanie une colonie de Volces
Tectosages, et il y avait au-delà du Rhin, aussi bien qu'en Espagne,
plusieurs Tolosa. Ausone, comme il le dit lui-même dans ce passage,
ne reçut point le jour, mais seulement l'instruction à Toulouse.
Mais cette ville a vu naître dans ses murs, pendant l'époque romaine,
plus d'un homme distingué, surtout par des talents littéraires.
Le plus célèbre, néanmoins, est un général, Antonius Primus, surnommé
Becco, lequel battit à Bédriac et à Crémone Vitellius et ses partisans,
et donna la pourpre à Vespasien.
Nous avons omis de rappeler
la prise de Toulouse par le proconsul Servilius Cépion et le pillage
si fameux de ses trésors. Les Tolosates avaient, dit-on, par l'ordre
de leurs prêtres, enfoui dans des lacs consacrés aux dieux les richesses
dérobées au temple de Delphes. Cépion s'en empara et s'en réserva
la meilleure part, ce qui le fit mettre en jugement et condamner
à Rome. Comme il fut battu par les Cimbres et que, bientôt après,
ses deux filles moururent déshonorées, le peuple de Home, frappé
de cette série de malheurs accumulés sur la tête de cet homme, les
attribua à la vengeance des dieux, De là ce dicton: Haber aurum
tolosarum(il a de l'or de Toulouse), que l'on appliquait aux
gens poursuivis par l'infortune.
C'est saint Saturnin par abréviation saint
Sernin, qui apporta le christianisme à Toulouse. Il en fut le premier
évêque, vers 252, et y fut martyrisé. Les Romains avaient bâti dans
la ville, mais non pas à l'emplacement du Capitole actuel, un Capitole
où leurs prêtres offraient de l'encens aux dieux et interrogeaient
les immortels par le moyen des oracles. Saint Sernin passe un jour
devant le temple païen aussitôt les oracles se taisent. « C'est
le chrétien qui en est cause.» s'écrient les pontifes de Jupiter,
et saint Sernin, saisi sur-le-champ, est sommé de sacrifier à Jupiter
; il refuse, on l'attache à la queue d'un taureau qu'on allait immoler,
et qui l'entraîne et le brise sur les degrés du Capitole. Deux femmes
pieuses recueillirent son cadavre et l'ensevelirent ; on les fête
aujourd'hui à Toulouse, le 17 octobre, sous le nom des Saintes Pucelles.
L'église du Taur ou Taureau s'éleva au lieu où le corps du saint,
la corde s'étant rompue, avait été séparé de la bête furieuse instrument
de son supplice.
Au IVème siècle, Sylvius, cinquième
évêque de Toulouse, fit construire l'église de Saint-Sernin, à l'endroit
où le martyr fut enseveli. Un des évêques les plus célèbres des
premiers temps de l'Église toulousaine est Exupère, tant vanté par
saint Jérôme et qui, au dire de ce Père de l'Église, arrêta par
sa seule présence les Vandales, comme saint Léon, Attila. A la même
époque Sulpice-Sévère composait à Toulouse plusieurs de ses écrits.
Devenue la capitale des Wisigoths, Toulouse fut témoin de plus
d'une scène dramatique de l'histoire de ce peuple qui passa par
tant de révolutions. En 422, elle insulte à Littorius, lieutenant
d'Aétius, vaincu sous ses murs par Théodoric, et promené dans ses
rues sur un âne, avant d'être décapité. Vingt ans plus tard, elle
entend dans l'horreur de la nuit les cris étouffés du malheureux
Thorismond, fils de Théodoric, surpris et égorgé par ses deux frères.
Enfin, lorsque Euric eut persécuté les catholiques, elle vit, raconte
naïvement Grégoire de Tours, elle vit une source de sang jaillir
dans ses rues, deux soleils luire au ciel et les fers des lances
des soldats wisigoths briller de couleurs étranges et fantastiques,
bleues, noires, vertes, jaunes.. roses autant de présages de la
ruine prochaine du monarque persécuteur. Après la bataille de Vouillé,
Toulouse n'eut plus de rois dans son sein, mais des ducs francs.
Son évêché devint suffragant de Bourges ; l'ayant été jusque-là
de Narbonne, l'archevêque de Narbonne ne voulut jamais admettre
la légalité de ce changement et continua de réclamer, jusqu'au moment
où le siège de Toulouse devint lui-même archiépiscopal, au XIVème
siècle.
Toulouse fut, en 584, le quartier général
des rebelles, qui reconnurent alors pour chef Gondovald, ce prétendu
fils de Clotaire. Le duc Didier gouvernait alors la ville pour Chilpéric
et Frédégonde. En apprenant la mort de Chilpéric, il avait arrêté
dans ses murs Rigonthe, fille de ce prince, laquelle se rendait
en Espagne pour épouser Récarede ; il lui avait enlevé ses trésors
et lui eût enlevé aussi l'honneur si elle n'eût trouvé dans l’église
du Taur un asile inviolable. Didier devait redouter la colère de
Frédégonde ; c'est ce qui le jeta dans la révolte. Il appela Gondovald.
L'évêque Magnulfe, qui voulait protester, fut chassé et souffleté
par le fameux Mummol, devenu l'un des rebelles. Gondovald eût dû
s'attendre à être trahi par des hommes qui trahissaient leurs souverains.
C'est ce qui lui arriva. Ils le livrèrent, et Didier obtint à ce
prix son pardon.
Nous ne voyons rien dans l'histoire de Toulouse
qui mérite d'être rapporté jusqu'à l'établissement des comtes héréditaires,
si ce n'est la défaite des Sarrasins sous ses murs, en 721, et l'asile
qu'y trouvèrent la plupart des ennemis des carlovingiens, entre
autres Griffon, frère de Pépin, qui vint demander du secours à Waïfre
et se fit chasser par lui après avoir séduit sa femme.
Les comtes
héréditaires commencent, en 840, avec FrédeIon, comme nous l'avons
dit plus haut. Au-dessous de ces comtes, qui devinrent en peu de
temps de puissants seigneurs, nous trouvons, dès 875, des vicomtes,
chargés sans doute plus spécialement de l'administration de la cite.
L'amour était l'occupation principale de la haute classe, et
il se pratiquait d'une étrange façon. Un seigneur ou un troubadour
voyait la femme de son voisin, la trouvait belle et se déclarait
immédiatement son chevalier. Il s'établissait sur-le-champ entre
le galant et la dame un commerce de tous les jours, de tous les
instants. S'il advenait querelle entre eux, les cavaliers les plus
courtois du pays plaidaient la cause de la dame ; les plus gracieuses
châtelaines venaient demander le pardon du serviteur. Et tout cela
se passait au grand jour, sous les yeux des maris, qui regardaient
cette intimité poétique sans murmure et ne se fâchaient que dans
les grandes occasions. La barbarie du temps reprenait alors son
empire. Le troubadour Vidal avait célébré en vers amoureux les charmes
de la châtelaine de Saint-Gilles. Le seigneur, qui goûtait peu ses
chants, ne trouva rien de mieux pour les interrompre que de faire
couper la langue à Vidal. Autre légende plus tragique encore : Guilhem
de Capestang entretenait commerce d'amour avec la femme d'un seigneur
de Roussillon ; celui-ci l'apprend, enferme l'épouse coupable dans
une tour, l'y torture sans pitié, puis il dresse une embuscade à
Guilhem, le tue, lui arrache le cœur qu'il fait rôtir avec force
poivre et le donne à manger à sa femme, après avoir feint d'y goûter
le premier. Lorsque la châtelaine, qui, ajoute le chroniqueur, aimait
beaucoup la venaison, eut achevé ce mets horrible, il lui montra
la tête de son amant, en lui demandant comment elle avait trouvé
son cœur. « Si bon, répondit-elle, que, pour en conserver la saveur,
je ne mangerai plus. » A ces mots, le seigneur tira son épée avec
rage ; mais, pour ne pas mourir de sa main, la dame se précipita
du haut d'un balcon dans les fossés du château.
Toutes les histoires d'amour n'avaient point
une issue aussi funeste ; à preuve certaine comtesse de Toulouse
qui eut trois maris vivants, et le galant Folquet qui, après de
longs exploits amoureux, embrassa la carrière ecclésiastique et
devint évêque de Toulouse.
La facilité du divorce encourageait
ces inconstances ; il suffisait, pour l'obtenir, du consentement
des époux, ou même simplement de la volonté de l'un d'eux.
Les
mœurs du clergé lui défendaient un rigorisme trop sévère. Riche
du produit de ses fiefs, des perceptions de la dîme et des autres
revenus qu'il tirait de l'Église, il donnait l'exemple du luxe dans
ses vêtements et dans sa table il montait de riches chevaux et s'adonnait
au jeu des dés et des échecs. Les plus puissants prélats ne craignaient
pas, au 1er mai, d'offrir aux dames, comme celles-ci
à leurs amants, des anneaux, des manches, des lacets, des bracelets
et des ceintures.
Le caractère inconstant des comtes de Toulouse,
leurs fréquentes absences, leurs pèlerinages en terre sainte, et
la jeunesse de la plupart d'entre eux en arrivant au pouvoir que
leurs pères insouciants laissaient à leurs faibles mains furent
autant de circonstances très favorables au développement des libertés
toulousaines.
Sous les Romains, Toulouse avait été élevée au
rang, non pas de colonie, comme on l'a prétendu, mais de municipe.
A ce titre, elle avait eu ses curiales, sa curie, ses duumvirs,
administrant non seulement la ville, mais son territoire, le Pagus.
Les Wisigoths, qui furent quatre-vingts ans maîtres de Toulouse,
respectèrent ses privilèges. Les Francs laissèrent aux Gallo-Romains
l'usage des lois romaines ; de telle sorte que, fort vraisemblablement,
Toulouse conserva plus ou moins l'avantage de se gouverner elle-même
jusqu'au moment où apparaissent pour la première fois ses consuls
ou capitouls. Les capitouls de Toulouse sont très célèbres. Leur
nom vient du latin capitulum, chapitre, conseil ils formaient le
conseil des comtes, ce qui les faisait appeler capituli, capitulares
capitularii; comme qui dirait membres du chapitre. Ce n'est
que plus tard qu'ils remplacèrent Capitulum par Capitolium, afin
de se donner une origine plus magnifique et de se rattacher par
quelque lien au Capitole romain. Bien plus, ils prétendirent s'attribuer
exclusivement ce titre, et obligèrent les magistrats de Muret à
l'abandonner pour celui de consuls.
Les Toulousains eurent donc
de bonne heure des magistrats capables de suppléer aux seigneurs
absents, ce qui donna à leur cité toute l'apparence d'une république.
Malheureusement, ils ne furent pas toujours fort unis. Lorsque le
jeune Alphonse Jourdain fut attaqué par Guillaume d'Aquitaine, deux
partis se formèrent dans la ville et s'y livrèrent bataille. Guillaume
l'emporta mais, plus tard, ce fut le peuple de Toulouse tout seul
qui, las de ses désordres, le chassa et alla chercher à Orange le
seigneur légitime.
Quand, dans une autre absence de ce même
Alphonse, Louis VII vint attaquer la ville, ce furent encore les
Toulousains qui le repoussèrent, et Alphonse n'eut qu'à le remercier
à son retour. Aussi, dans sa reconnaissance, il confirma et régularisa
l'institution des capitouls. C'est à partir de 1147 que nous avons
des annales consulaires ou capitulaires, où se trouve la liste de
ces magistrats, et parmi ceux de cette même année nous en trouvons
deux nobles, Pons de Villeneuve et Raymond de Frinhac, ce qui prouve
que cette dignité était déjà fort recherchée et que la noblesse
ne croyait pas s'abaisser en se rapprochant de la bourgeoisie toulousaine.
En effet, c'étaient des hommes d'importance que ces capitouls. Assemblés
dans le Palais commun, ils décidaient des alliances à conclure,
des traités à faire, de la guerre et de la paix. Leur nombre, à
cette époque, n'est point parfaitement connu les premières listes
en donnent six ou huit; mais, dès la fin du XIIème siècle,
nous trouvons des listes de vingt et vingt-quatre capitouls. Ils
étaient annuels et formaient comme une représentation de toutes
les classes du peuple toulousain. Au besoin, ils convoquaient au
forum ou dans une église la masse des citoyens, qui prenaient part
ainsi, non seulement par l'élection des magistrats, mais directement,
à la direction des affaires publiques.
L'année 1202 est surtout
remarquable dans l'histoire des capitouls. Les habitants de Rabastens
avaient maltraité quelques Toulousains. Sans hésiter, les capitouls
convoquent J'armée communale et marchent à sa tête, suivis de tout
l'attirail d'un siège, vers Rabastens. Les coupables furent si effrayés,
et ce n'étaient pas seulement des bourgeois, mais des seigneurs
et des chevaliers, qu'ils envoyèrent au-devant des Toulousains une
députation qui obtint que l'affaire serait simplement portée devant
la cour du comte. Même énergie fut déployée peu de mois après à
l'égard des habitants nobles et non nobles de Villeneuve, qui n'avaient
pas suffisamment respecté la fierté toulousaine. On a remarqué que
le conseil capitulaire de 1202 n 'offrit que deux ou trois noms
de chevaliers ; tous les autres roturiers. Il y avait donc alors
dans les esprits une tendance populaire, et c'est peut-être à ce
caractère que l'on doit attribuer l'énergie dont nous venons de
fournir deux exemples, aussi bien qu'une mesure administrative très
remarquable et très favorable au peuple ce fut un règlement qui
établissait la liberté absolue du commerce des blés et des vins.
Nous avons dit tout à l'heure que les annales capitulaires commencent
en 1147 ; mais ce n'est véritablement qu'en 1195 que fut ouvert
le fameux registre qui, au temps de la Révolution, formait douze
énormes volumes, alors bien malheureusement détruits presque entièrement.
On y lisait les noms et l'on y voyait les portraits des capitouls.
Un siècle plus tard, on y ajouta une chronique annuelle.
Les
divers événements dont la vieille Aquitaine avait été le théâtre,
les souvenirs laissés par les populations si dissemblables qui avaient
foulé son sol avaient dû fortement frapper les imaginations impressionnables
des habitants.de cette contrée après les fables druidiques, les
traditions romaines; c'est surtout le contact de l'Espagne et de
la civilisation arabe qui avait dû laisser une forte empreinte dans
ces esprits si disposés à la poésie galante et chevaleresque.
Il ne faut donc pas s'étonner qu'au milieu même de la sauvagerie
du moyen âge les premiers rayons du génie moderne aient brillé dans
la province dont nous retraçons l'histoire. Avant de devenir la
patrie de Clémence Isaure, Toulouse fut le berceau, la capitale
des troubadours.
Dans la foule de célébrités maintenant oubliées,
deux noms surnagent Pierre Vidal et Guilhem Figueiras, tous deux
enfants du peuple, nés à Toulouse, l'un d'un pâtissier, l'autre
d'un tailleur. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que, malgré
cette commune origine, leur talent résume et domine les deux caractères
très opposés de la poésie des troubadours. Pierre Vidal, sentimental
élégiaque, est le précurseur de Clémence Isaure; il semble pressentir
et ambitionner l'églantine d'or des jeux floraux. Figueiras, lui,
ne hante guère les châteaux il vit dans les tripots avec les truands
et les ribaudes mais sa verve satirique fera aussi école. Il est
le père de Mathurin Régnier; ses grelots sonnent comme le tocsin.
Ce n'est pas d'un mari jaloux qu'il doit craindre la vengeance;
l'ennemi que poursuit sa muse, aussi énergique que courageuse, c'est
le seigneur avare et cruel, c'est le prêtre hypocrite et libertin.
Raymond de Rabastens était évêque de Toulouse lorsque Innocent III
y envoya Pierre de Castelnau. Il ne fut pas jugé assez ardent pour
les circonstances, et l'on mit à sa place Folquet, troubadour célèbre,
mais dont l'esprit raffiné marque la décadence de la poésie provençale,
et que les débauches de sa vie passée n'empêchèrent pas de devenir
le plus fougueux prélat de la croisade. Il organisa le parti catholique
sous le nom de confrérie blanche, et bientôt la ville fut ensanglantée
par les combats que ce parti livra aux albigeois, organisés de leur
côté en confrérie noire.
Les partisans de Folquet furent chassés
et allèrent chercher devant Lavaur l'armée des croisés, qui bientôt
parut devant Toulouse. Les comtes de Toulouse, de Foix, de Comminges
et les routiers navarrais au service de Raymond défendirent d'abord
les jardins qui sont dehors la ville et y tuèrent beaucoup de
monde aux assiégeants. Ce qui acheva de sauver la ville, ce fut
la conduite patriotique de la confrérie blanche, qui, sommée par
Folquet de sortir et de se rendre au camp des croisés, refusa et
se réconcilia avec la confrérie noire. Cet événement imprévu décida
la retraite de Simon de Montfort en 1211 Mais, trois ans plus tard,
la cause des Méridionaux ayant succombé à Muret, Toulouse fut obligée
de se remettre corps et biens au légat. Douze des vingt-quatre consuls
furent livrés en otage, et Folquet rentra en triomphe avec son clergé.
Si l'on en croit le poète provençal, ce féroce prélat, dans le conseil
réuni pour délibérer sur le sort de Toulouse, opta pour sa destruction,
et ce fut Simon de Montfort qui s'opposa à un avis si barbare.
Toulouse fut plus maltraitée encore en 1216 pour avoir tressailli
de joie à l'approche des deux Raymond qui revenaient en triomphe
par MarseiIle et Avignon. Montfort reparut. Le perfide Folquet persuada
aux habitants de lui envoyer des députés pour obtenir merci ; mais,
par ses conseils, tous les députés qui arrivaient au camp y étaient
liés et retenus. Quelques-uns s'échappèrent et crièrent trahison.
Aussitôt toute la population fut en armes, dressa des barricades
et accabla de projectiles les soldats croisés. Alors Folquet imagina
une nouvelle perfidie : il fit proposer, par l'abbé de Saint-Sernin,
aux habitants de se rendre à merci, sinon ils seraient occis de
male mort. Il jurait par· Dieu, la Vierge et le cops du Sauveur
qu'ils seraient épargnés. Quand ils se furent livrés, on réunit
les deux mille principaux de la ville sur la place aux Bœufs (boaria),
et on les obligea de renoncer eux-mêmes à la garantie de l'évêque.
Puis les uns furent jetés dans des cachots, les autres emmenés captifs;
les tours, les maisons fortifiées (domus tarrales), tous les beaux
édifices, excepté les églises, furent rasés (1216).
Enfin le
jour de la vengeance arriva. Le 13 septembre 1217, par un épais
brouillard d'automne, Raymond VI, le comte de Comminges et le fils
du comte de Foix arrivent inaperçus jusqu'aux portes de la ville
et s'y précipitent trompettes sonnantes, enseignes déployées. Tout
le peuple se lève le cri de « Vive Raymond !» frappe les cieux.
Les pierres, les bâtons chassent, dispersent, accablent les soldats
de Montfort. Celui-ci accourt aussitôt et bloque la place, jurant,
« par le saint chrême, dont il avait été baptisé, de tenir Toulouse
assiégée jusqu'à ce qu'il eût victoire sur elle ou y perdît la vie.
Sa femme, l'évêque Folquet et Jacques de Vitry, l'historien de la
croisade, coururent jusque dans le Nord chercher des soldats. Les
croisés avaient gardé le Château-Narbonnais ; mais rien ne pouvait
effrayer les Toulousains, ils avaient remplacé leurs murs détruits
par des fossés et des palissades; l'arrivée de Raymond VII augmenta
leur courage. Le comte de Foix amena une grande compagnie de Navarrais,
d'Aragonais et de Catalans, qui obligea les croisés à lever précipitamment
le siège sur la rive gauche. Assailli au passage de la rivière par
une sortie furieuse, Montfort tomba dans l'eau et faillit périr.
Malade de fatigue et d'ennui, ruiné par tant de dépenses, il
n'avait plus son ancienne ardeur, et le légat l'aiguillonnait sans
relâche et le taxait d'insouciance et de paresse. Simon ; priait
parfois le Seigneur de lui donner la paix de la mort. Le siège durait
depuis neuf mois. Il fit construire une immense gate ou chatte en
bois doublé de fer, laquelle fut remplie de soldats d'élite. Les
Toulousains la surprirent, la brûlèrent, égorgèrent les soldats.
En ce moment Simon entendait la messe, il refusa de se lever avant
d'avoir vu son chapelain élever l'hostie « Maintenant, s'écria-t-il,
Seigneur, congédiez en paix votre serviteur » A son arrivée les
Toulousains furent d'abord repoussés, mais ils revinrent à la charge,
tandis que leurs machines et leurs archers lançaient du haut des
remparts un grêle de pierres et de flèches. Simon vit son frère
Gui tomber percé d'un trait, et, descendant de cheval, lui dit «
Beau-frère, Dieu nous a pris en ire. » Tandis qu'il converse et
se lamente avec lui, dit le poète provençal, voici qu'il y avait
dans la ville un pierrier sous un sorbier, près de Saint-Sernin,
et les femmes, et les filles, et les épouses de ceux de la ville
le bandèrent et tirèrent, et la pierre vint tout droit où il fallait.
Elle frappa le comte sur son heaume d'acier si fort qu'elle lui
écrasa les yeux et la cervelle, et le front et la mâchoire lui partirent
en quartiers, et il chut en terre mort le 25 juin 1218.) Les cloches,
les ménétriers, les cris de joie célébrèrent cette glorieuse délivrance,
tandis que les croisés s'enfuyaient au plus vite. Ce qu'il faut
retenir de cet épisode, l'un des plus néfastes et des plus sanglants
de notre histoire, ce sont ses origines et ses conséquences que
les faits connus permettent aujourd'hui d'apprécier. Conçue par
des clercs italiens, conduite par les barons de France, la croisade
albigeoise fut à peu près exclusivement l'œuvre de l'étranger. La
ruse habile des premiers et la brutale barbarie des seconds, en
envahissant les contrées méridionales, y trouvèrent deux forts obstacles,
le développement des lumières d'abord, et ensuite l'établissement
municipal. Si, d'un côté, les délégués de Rome étaient effrayés
de ce progrès de la civilisation et des lettres, poussé jusqu'au
point de mettre le catholicisme en question et de lui substituer
une forme religieuse nouvelle, de l'autre, les barons absolus du
Nord ne devaient pas moins s'épouvanter en voyant surgir entre eux
et leurs vassaux une classe forte, riche, éclairée, qui se déclarait
fièrement indépendante, et qui avait des tours assez hautes, des
remparts assez épais pour soutenir ses prétentions. Sentant parfaitement
tout ce qu'un pareil état de choses pouvait avoir de périlleux pour
leur domination, ils tournèrent principalement leurs efforts contre
les villes municipales, cherchant à les affaiblir et à les ruiner
en toute circonstance. Ainsi, tandis qu'ils traitaient assez facilement
avec les châteaux, la rigueur la plus inflexible était déployée
contre les villes où le sang coula par torrents. Et ce qui prouve
que les villes ne se méprenaient point sur les motifs de cet acharnement,
c'est qu'elles levèrent presque toutes la bannière contre la croisade,
qu'elles vinrent d'elles-mêmes se jeter dans la querelle pour soutenir
Raymond, et que Toulouse ayant à lutter à la fois contre Rome et
Paris, ne céda jamais un pouce de son terrain libre.
C'est au
moyen âge que Toulouse doit les principales institutions qui ont
fait sa gloire sous le gouvernement royal. Nous parlons de son université,
de son Académie des jeux floraux et de son parlement. Ce n'est qu'après
la chute des comtes que l'université de Toulouse prit naissance.
Il y avait auparavant, sans doute, des légistes qui assistaient
les capitouls réunis pour former la cour des comptes; mais point
d'enseignement régulier du droit. C'est le traité de Meaux signé
en 1229 qui obligea Raymond VII à donner quatre mille marcs d'argent
pour entretenir pendant dix ans quatre maîtres en théologie, deux
en droit canonique, six maîtres ès arts et deux régents de grammaire.
Cette université avait donc pour objet bien moins d'avancer la science
que de combattre l'hérésie.
Elle fut protégée spécialement par
Innocent IV, qui exigea pour elle des privilèges fort étendus, privilèges
qui en firent une petite république au sein de la république tolosane
et qui souvent, heurtant les privilèges de celle-ci, amenèrent de
graves désordres. Jean XXII, qui y avait été élevé, la réforma.
Les danses, banquets, comédiens, histrions furent interdits aux
écoliers qui prenaient leurs degrés. On régla à quinze francs de
monnaie courante le prix des repas qu'ils se donnaient à cette occasion.
Le prix et la forme de leurs vêtements furent également réglés ils
devaient porter des chapes à manches comme ceux de Paris, et non
des habits ronds et courts (non redondillos curtos). L'université
de Toulouse était alors dans toute sa prospérité et dans toute son
insolence.
A cette époque même en1330, un capitoul fut attaqué
dans la rue et grièvement blessé par un certain Bérenger. Les capitouls,
usant du droit de justice criminelle, qui était une de leurs plus
belles prérogatives, condamnèrent à mort et firent exécuter le coupable.
Aussitôt les parents de Bérenger réclamèrent ; les trois mille écoliers
de l'université, la plupart étrangers et hostiles aux Toulousains,
déclarèrent qu'il faisait partie de leur corps et, à ce titre, ne
relevait pas du capitoulat. Jean XXII, sollicité par eux, condamna
la conduite des capitouls, le parlement de Paris en fit autant.
Ce fut un désastre pour la ville obligée de payer une lourde amende,
elle vit, en outre, son capitoulat amoindri et paralysé.
Il paraît
qu'au commencement du XVème siècle il y avait à Toulouse
jusqu'à dix mille écoliers. L'université, alors peu fidèle à la
royauté, s'était déclarée pour l'antipape Benoît XIII, et ses turbulents
disciples, ayant à leur tête le protonotaire de ce pontife obstiné,
se livrèrent dans la ville à d'effroyables désordres, à l'occasion
de la succession de Pierre de Saint-Martial à l'archevêché récemment
établi. Au XVIème siècle, l'université de Toulouse baissa.
Il paraît que les émoluments des professeurs y étaient trop faibles
et que ce fut là le véritable motif qui en éloigna le célèbre Cujas,
né dans cette ville. On dit vulgairement qu'il fut refusé dans un
concours pour l'une des chaires de l'université, mais rien n'autorise
cette assertion.
Néanmoins, le droit civil compta toujours et
compte encore à Toulouse des professeurs réputés, Coras, le chancelier
Pibrac, Ferrier, d'Hauteserre, etc. François Ier accorda
la ceinture de chevalerie à ceux qui y auraient professé vingt ans.
Quand l'étude des sciences médicales commencée par Lupus, continués
par Raymond de Sebonde et Sanchez le Sceptique, elle fut aussi très
remarquable. Portal, Périlhe, Frizac sont sortis de l'école de médecine
de Toulouse, et ce sont les leçons des maîtres sortis de cette école
qui ont formé Delpech et Larrey. C'est Henri IV qui fit établir
à Toulouse des leçons publiques de chirurgie et de pharmacie comme
il y en avait à Paris et à Montpellier.
La ville qui avait vu
briller dans son sein les plus célèbres troubadours attirés à la
cour de ses comtes, Bernard de Ventadour, Pierre Vidal le Toulousain,
Bruneucs de Rodez, Pierre d'Auvergne, Pons de Capdeuil, Raymond
de Durfort, Bernard de Mirval et tant d'autres, ne pouvait manquer
de favoriser les poètes. N'étaient-ils pas tous poètes, les hommes
de Toulouse? L'un d'eux voulait- il se venger de son ennemi « Te
faray un vers, » lui disait-il, et bientôt quelque mordant sirvente,
répété de bouche en bouche, atteignait jusqu'au cœur l'imprudent
qui se l'était attiré. Qu'on ne s'étonne donc point si Toulouse
posséda la plus ancienne société littéraire de l'Europe dans ses
Jeux floraux, fondés en 1323 et dont la restauration, en 1484, sera
l'éternel honneur de Clémence Isaure.
On ne peut pas faire remonter
l'origine du parlement de Toulouse, comme institution judiciaire,
au-delà du XIIIème siècle. Si quelques assemblées tenues
auparavant dans cette ville sont désignées par les historiens du
temps sous le nom de parliamentum, il ne faut pas oublier que ce
nom est appliqué par eux à toutes les réunions quelconques convoquées
par les souverains. On pense que Alphonse, comte de Poitiers, frère
de saint Louis, l'institua le premier à l'imitation du parlement
de Paris. Il y eut alors un parlement pour la langue d'oc comme
il y en avait un pour la langue d'oil.
Il est mentionné en 1264,
1266 et en 1268. Tous les États dont le comte de Toulouse avait
été dépouillé en faveur d'Alphonse rassortissaient à ce parlement,
tandis que les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne, étant
réunies au domaine royal, dépendaient du parlement de Paris. Supprimé
ensuite, le parlement de Toulouse fut rétabli, en 1287, par Philippe
le Bel, qui passe même pour en être le véritable fondateur. Ce n'était
point encore une cour fixe, mais seulement une commission qui venait
tenir le parle parlement du roi. Ce n'est qu'en 1420 que le parlement
de Toulouse apparaît réellement et définitivement fondé par une
ordonnance de Charles VII « Considérant la grande distance qu'il
y a jusqu'audit lieu de Poitiers (où le parlement de Paris avait
été transporté par lui) de ce pays de Languedoc. et qu'à cause du
peu de sûreté des chemins par la multitude des gens d'armes qui
sont en divers endroits du royaume, les subjects du pays ne peuvent
aller pour suivre leurs procès à Poitiers.et attendu, d'ailleurs,
la grande et loyale obéissance qu'ils ont tenue envers mondit seigneur
le roi et envers nous. En conséquence, il institue « un parlement
et cour capitale et souveraine pour ledit pays de Languedoc et duché
de Guyenne, deçà la Dordogne.» Ce parlement siégera à Toulouseet
sera composé de douze personnes, « savoir un prélat et onze autres
notables personnes des pays de langue d'oil et de langue d'oc, tant
clercs que lays, conseillers de mondit seigneur et nostres, et deux
greffiers. » Malgré cette organisation formelle, le parlement de
Toulouse fut encore sujet à bien des vicissitudes, et transféré
par Charles VII à Béziers, rétabli à Toulouse en 1443 transféré
par Louis XI à Montpellier, rétabli à Toulouse en 1471 par lettres
patentes, qui lui adjoignirent une cour des aides, une chambre des
enquêtes y avait été instituée en 1452. La création du parlement
de Bordeaux diminua l'étendue du ressort de celui de Toulouse, qui
comprit quelque temps près de la moitié de la France. Les habitants
du Languedoc avaient, comme on disait, le droit « de n'être remués
en juridictions étrangères. » Un trait frappant de l'histoire du
parlement toulousain est son opposition constante aux états de la
province. Au reste, il donna de grands magistrats et se signala,
en général, par la sévérité et l'équité de ses jugements. La fidélité
des Toulousains récompensés par Charles VII s'était montrée dès
le temps de la guerre des Anglais. C'est dans leur ville que le
comte d'Armagnac tint les états de 1356 ; et, dix ans plus tard,
quand le prince Noir s'en approcha, il la trouva défendue par 49
000 combattants.
Le fanatisme religieux ébranla cette fidélité
dans les guerres de religion. Les calvinistes de Toulouse avaient
appelé, en 1562, ceux du dehors ; l'incendie d'une centaine de maisons
avait commencé une lutte de quatre jours, que l'arrivée de Montluc
termina par la victoire des catholiques et le supplice des protestants
qui ne purent s'enfuir entre autres, le viguier et, un capitoul.
Encouragés par cette victoire, les cardinaux d'Armagnac et de Strozzi
formèrent, dès 1563, une association de catholiques dont Charles
IX approuva les statuts à son passage dans la ville l'année suivante.
Cette association exalta le fanatisme des catholiques, et, lors
de la Saint- Barthélemy, trois cents protestants furent égorgés
dans les prisons par les étudiants. Ce fut un élément tout prêt
pour la Ligue qui s'en empara, et, dès ce moment, la population
toulousaine se mit en lutte avec le roi. Le voyage de Henri III
en 1579 ne la calma point. Quand le duc de Guise eut été assassiné,
elle s'insurgea et poursuivit dans les rues le président du parlement,
le célèbre Duranti, qui n'eut que le temps de se réfugier dans le
Capitole. Duranti était un de ces grands magistrats modérés qui
voulaient que la religion ne fût pas un prétexte de révoltes et
de guerres atroces ; il avait longtemps contenu la Ligue. On le
fit passer dans le couvent des dominicains mais le peuple catholique
hurlait aux portes et demandait sa tête. Il se revêtit de ses insignes,
embrassa sa femme, compagne de sa captivité, et parut devant cette
foule essayant de la calmer, un coup d'arquebuse le jeta par terre,
son corps fut traîné par la ville et pendu, avec le portrait du
roi, au pilori de la place Saint-Georges en 1589. Les mêmes hommes
fêtèrent bientôt après Jacques Clément comme un saint. Le parlement,
très catholique en majorité, ne reconnut Henri IV que sur la menace
qu'il fit de se rendre à Toulouse avec une armée en 1596.
Trente-six
ans plus tard, cette ville reçut une terrible leçon d'obéissance
en voyant tomber, dans la cour du Capitole, la tête de ce duc de
Montmorency dont elle n'avait pu obtenir la grâce et dont elle pleura
le triste sort.
Sous Louis XIV, Toulouse retrouva sa tranquillité prospère; Louis
XIV vint deux fois à Toulouse en1659 et en 1660. Singulière contradiction
dans la conduite des magistrats toulousains au XVIIIème
siècle !
Ce sont eux qui, rendant hommage au génie de Bayle,
ordonnent l'exécution de son testament, en dépit des ordonnances
qui avaient suivi la révocation de l'édit de Nantes, et qui privaient
les protestants du droit de tester. Et ce sont eux qui, un peu plus
tard, condamnent le malheureux Calas. Jean Calas, négociant estimé,
septuagénaire, était protestant. Il avait laissé un de ses fils
se convertir au catholicisme une servante catholique était depuis
trente ans dans sa maison ce n'était donc point un fanatique. Or,
un jour, le vieillard trouve son fils aîné pendu à la porte de son
magasin. Marc-Antoine, prénom de ce malheureux, était d'un caractère
sombre, qui suffisait à expliquer sa fin. Mais la population toulousaine,
fidèle à sa haine contre les hérétiques, prétendit qu'un meurtre
et non un suicide avait mis fin aux jours de Marc-Antoine. Elle
accusa le père. Il avait voulu, prétendait-elle, empêcher la conversion
de son fils. Le capitoul Baudrigue, encourageant ces bruits assassins,
le fait emprisonner ainsi qu'un jeune homme nommé Lavaise, arrivé
la veille de Bordeaux, et qui avait soupé chez lui. L'archevêque
lance un monitoire le clergé, les pénitents blancs vont en grande
cérémonie chercher le cadavre de Marc-Antoine et le traitent comme
celui d'un martyr. Il y eut des miracles. Sur treize juges désignés
par le parlement pour juger cette affaire, cinq seulement osent
résister au fanatisme public ; les huit autres condamnent le vieillard
à être roué, et il est roué le 9 mars 1762, en protestant de son
innocence et demandant à Dieu le pardon de ses bourreaux. Son troisième
fils, ses filles sont enfermés dans des couvents. Heureusement sa
femme presque mourante est mise en liberté. Elle court à Paris.
Les avocats Loiseau, Mariette et de Beaumont prennent sa défense.
Donat Calas, le dernier fils du vieillard, se réfugie en Suisse,
et Voltaire l'appelle à Ferney. Une fois dans les mains de l'homme
qui conduisait la pensée de son siècle, les arrêts du fanatisme
furent ébranlés. Ce grand prêtre de la tolérance et de l'humanité
écrivit, s'agita, et, plus éloquent que jamais, émut l'Europe entière.
Enfin, après trois ans d'efforts, le 9 mars 1765, jour anniversaire
du supplice, cinquante maîtres des requêtes de Paris proclamèrent
l'innocence de Calas, et le roi témoigna son approbation en donnant
à la famille Calas une somme de 36 000 francs. C'est là il faut
l'avouer, un pesant souvenir sur la mémoire du parlement de Toulouse.
Il en est cependant un autre plus ancien et non moins terrible que
nous ne saurions omettre, celui du grand et malheureux Vanini, à
qui les plus rigoureux reconnaissent un vaste esprit une science
considérable, un style merveilleux, enfin une humeur tranquille,
qui eût du le mettre à l'abri de la persécution. Elle l'alla chercher
dans son isolement ; il eut la langue coupée et fut brûlé vif comme
panthéiste en 1618. On ne peut douter que le supplice de Calas,
en soulevant profondément l'indignation publique, n'ait beaucoup
contribué à attirer pendant la Révolution sur le parlement de Toulouse
un châtiment terrible cinquante-trois de ses membres montèrent sur
l'échafaud en 1794. Ceux qui survécurent furent plus tard admis
par Napoléon dans la cour impériale de Toulouse.
Sauf un mouvement
royaliste en 1799, l'histoire de Toulouse offre peu de chose jusqu'en
1814. Alors se livra sous les murs de cette ville la bataille qui
porte son nom, une des dernières de l'empire et des plus glorieuses
pour le courage français. Chassé d'Espagne, Soult battait en retraite
devant Wellington, il s'arrêta à Toulouse, résolu d'y tenir tête
à cent mille ennemis avec les vingt mille hommes qui lui restaient.
En quelques jours, les soldats, aidés par les citoyens de Toulouse
et les étudiants en droit, entourèrent la ville d'ouvrages de défense.
Tout était fini le 6 avril quand parut l'ennemi. Wellington tenta
une attaque sur le faubourg Saint-Michel, le seul qui ne fût pas
défendu par l'art ; mais, comme l'avait prévu Soult, le débordement
de l'Ariège le rendit inaccessible. Alors l'immense armée anglo-hispano
portugaise se développa en face des lignes françaises partout elle
rencontra une résistance énergique. Les événements décisifs se passèrent
sur la droite de notre armée. Wellington, espérant nous tourner
par ce côté, y envoya le général Beresford. Soult y avait pourvu
le général anglais rencontra une résistance terrible pourtant la
redoute de la Pujade lui resta après avoir été deux fois reprise
par les Français. Après ce succès, il s'engagea dans le défilé que
nos redoutes formaient avec la rivière de Lors. Ravi de cette imprudence,
Soult lança la division Taupin pour le couper du reste de l'armée
anglaise. L'ardeur de Taupin, qui ne sut pas attendre que Beresford
se fût suffisamment engagé, fit échouer cette belle manœuvre. Sa
division fut écrasée après douze heures de lutte. Ce revers décida
le sort de la bataille mais l'ennemi avait perdu 18 000 hommes.
Soult abandonna Toulouse dans la nuit du 11 au 12 avril, et Wellington
y entra. Les verdets ou royalistes dans cette ville l’ensanglantèrent
par l'assassinat du général Ramel, le 15 août 1815. C'est une des
plus tristes pages de l'histoire de Toulouse, qui, heureusement,
a su depuis l'effacer par quarante ans d'une sage tranquillité.
Toulouse était avant la Révolution une ville
de couvents. Elle en comptait plus de quarante de l'un et de l'autre
sexe. Les bénédictins s'y étaient établis en 1067 ; les dominicains
ou jacobins en 1215 les bernardins, les carmes, les franciscains,
les grands augustins en 1228, 1264, 1287, 1310 au XIIème
siècle, les chartreux, les théatins, les minimes, les jésuites,
les cordeliers, les capucins, les doctrinaires ; au XVIIème
siècle, les récollets, les feuillants, etc. Les couvents de femmes
étaient ceux des dames de Saint-Pantaléon et de Sainte- Claire,
les feuillantines, bénédictines, carmélites, maltaises, visitandines,
etc. Enfin, quatre confréries de pénitents noirs, bleus, blancs,
gris. Cela surfit pour expliquer l'esprit très religieux des Toulousains
et aussi le peu de développement qu'avait pris leur industrie, bornée
à peu près à quelques draperies où se travaillaient les laines d'Espagne.
Son principal commerce était celui des blés, auxquels elle servait
d'entrepôt; le canal du Midi, qui la traverse en facilitait le transport.
La description suivante de Toulouse date des année 1890
et est aujourd'hui cette grande métropole, la plus importante du
sud-ouest de la France. On l’appelle également « La Ville Rose »
en référence à ses très nombreuses constructions en briques
Toulouse est une grande et belle ville, fort agréablement située
sur la rive droite de la Garonne, que l'on y passe sur un beau pont
en pierre de taille qui communique au grand faubourg de Saint- Cyprien,
traversé par une belle et large avenue. Au nord du faubourg, des
jardins, des promenades et de belles habitations le séparent du
canal du Midi, qui s'y joint au canal de Brienne et au canal latéral
de la Garonne; cette jonction est une des plus belles choses qu'offre
Toulouse aux étrangers. La ville se présente agréablement du côté
de la Garonne par les beaux quais qui bordent le fleuve ; du côté
de la campagne, elle est entourée des larges boulevards de Saint-Pierre,
Lascrosses, d'Arcole, Strasbourg, de Saint-Aubin, et par les allées
Saint-Étienne et Saint Michel, au-delà desquels s'étendent de jour
en jour vers la campagne et jusqu'au canal du Midi les faubourgs
de Saint-Pierre, d'Arnaud-Bernard, de Matabiau, de Saint-Aubin,
de Saint-Étienne et de Saint-Michel.
Au sud, sur la rive gauche
de la Garonne, s'étend le faubourg Saint-Cyprien, principalement
occupé par les grandes usines et la grande industrie et embelli
par les allées de Garonne; de la Patte-d'Oie et le cours Dillon.
La forme de la ville actuelle, limitée à ses boulevards, est celle
d'un ovale irrégulier qui comprend l'île de Tounis, située en face
du faubourg Saint-Cyprien. L'intérieur de Toulouse ne répond pas
à sa belle position, ni par l'éclat de ses édifices ni par l'élégance
de leurs formes; elle est presque toute composée de grandes maisons
de briques cimentées avec du mortier ou de la glaise les plus anciennes
maisons des bas quartiers sont construites en pans de bois dont
les interstices sont remplis en torchis. Le nouveau quartier La
Fayette, la place du Capitole et les rues avoisinantes sont les
mieux bâtis. La ville est très mal pavée, avec des cailloux tirés
du lit de la Garonne, cailloux ronds et pointus qui lassent facilement
le courage des étrangers peu habitués à un tel pavage ; les rues
sont garnies de trottoirs, éclairées au gaz et assainies par de
nombreuses fontaines. Toulouse est bien plus avantagée sous ce rapport
que Paris. Les monuments de cette ville sont le Capitole ou Hôtel
de ville, les églises Saint-Étienne, Saint-Sernin de la Daurade,
du Taur, la Dalbade, Saint-Raymond, Saint-Exupère, Saint-Pierre,
Saint-Jérôme, Saint-Nicolas, du Gesù, la chapelle de l'Inquisition
et l'Oratoire de Nazareth, l'Observatoire, le Palais de justice,
l'Hôtel de la préfecture, le Musée, la Bibliothèque publique, riche
de plus de 60 000 volumes et 700 manuscrits les ponts Saint-Michel,
Pont-Neuf et le pont Saint-Pierre.
On remarque dans la ville
de nombreux hôtels, l'École vétérinaire, l'Abattoir, le Château-d'eau,
l'Hôtel des monnaies, les bibliothèques publiques, l'École d'artillerie,
les casernes, l'Arsenal, le Polygone, l'hôpital de la Grave et celui
de l'Hôtel-Dieu, les institutions des jeunes aveugles et des sourds-muets.
Plusieurs de ces monuments méritent par leur importance que nous
nous y arrêtions un instant. Le Capitole, sur la place de ce nom,
et presque au centre de la ville. Son origine est fort ancienne,
sa façade moderne. Commencée en 1751, sur les dessins de Cammas,
elle n'a été achevée qu'en 1769 ; elle est exposée à l'ouest et
a cent vingt mètres de longueur. Percée, au rez-de-chaussée, de
seize fenêtres, au premier étage, de vingt et une, et de vingt au
second, elle a cinq portes, et se compose d'un arrière-corps et
de trois avant-corps; la grande entrée est dans le troisième celui
du milieu est enrichi de huit colonnes en marbre rouge tiré des
carrières de Caunes. Il est surmonté d'un fronton triangulaire,
dans le tympan duquel on voit aujourd'hui les lettres symboliques
R. F. Au-dessous, on lit, gravé sur le marbre ce mot CAPITOLIUM.
Sur le haut du fronton sont deux faisceaux d'armes, deux statues
représentant la Justice et la Force, et deux génies soutenant un
écusson derrière lequel est la sonnerie de l'horloge. Aux deux extrémités
de la façade sont deux frontons circulaires; ils renferment dans
leur tympan les armes de la ville. Au-dessus de l'un s'élèvent les
statues de Clémence Isaure et de Pallas l'autre, qui couronne la
salle de spectacle, est surmonté par les figures de Melpomène et
de Thalie avec leurs attributs. C'est dans la première cour du Capitole
que fut décapité, en 1632, sous le règne de Louis XIII, le duc de
Montmorency. On y remarque, dans une niche, ornée de diverses sculptures,
la statue de Henri IV en armure de guerre. On monte par le grand
escalier dans la salle des Pas Perdus et de là dans la salle des
Illustres, où sont les bustes, au nombre de quarante-trois, des
grands hommes auxquels la ville de Toulouse se glorifie d'avoir
donné le jour. Cette galerie est destinée aux grandes solennités.
A l'extrémité est la salle du Trône, de forme ronde et magnifiquement
ornée. Sous Napoléon Ier, on y voyait dans les panneaux
les batailles de l'empire. A la rentrée des Bourbons, on les remplaça
par des allégories représentant la Justice, le Commerce, la Guerre,
la Poésie, la Victoire, la Force, l'Agriculture et Vulcain en compagnie
d'anges tenant des armes romaines. Il y a encore d'autres salles
fort remarquables, notamment celle des Festins, où la ville recevait
ses royaux convives ; celle des Jeux floraux, qui sert aussi aux
réunions du conseil municipal; celle des Capitouls, et celle du
Petit-Consistoire.
L'église de Saint-Étienne ou la cathédrale.
Ce monument n'a pas de caractère propre. Construit à diverses époques,
il en porte l'empreinte sur ses parties ! mais sa plus ancienne
est la nef, qui fut bâtie vers le commencement du XIIIème
siècle aux frais et par les ordres de Raymond VI, comte de Toulouse,
dont on voit encore les armes sculptées sur une des clefs de la
nef. Cette partie de l'édifice est restée inachevée: Le clocher
est de forme carrée et n'a rien de remarqable le grand portail,
qui a été construit par Pierre Dumoulin, archevêque de Toulouse,
est d'un style tout différent de celui de la nef. Au-dessus est
une fort belle rosace dont le diamètre perpendiculaire n'est pas
dans la même ligne que la pointe de l'ogive du portail. Cette église
est divisée en deux parties la nef est dans le style gothique le
chœur, brûlé dans la nuit du 9 décembre 1609, a été reconstruit
en 1612, ainsi que l'atteste l'inscription placée au-dessus de sa
porte d'entrée. Il est clôturé. Dans l'intérieur sont les stalles
destinées au chapitre et aux prêtres. « Il est aisé de voir, dit
un archéologue, que ce chœur est le commencement d'une nouvelle
église qui n'a pas été continuée, et dont on a changé l'emplacement
de manière que l'axe du chœur ne répond plus à celui de la nef.
» Dans un angle de cette nef s'élève le maître-autel, que l'on voit
seulement à travers de grandes grilles en fer. On y remarque une
magnifique sculpture représentant la lapidation de saint Étienne,
patron de l'église. L'autel est d'ordre corinthien; les colonnes,
entre lesquelles s'élèvent les statues des quatre évangélistes,
sont, ainsi que les frises et les panneaux, en marbre du Languedoc.
Avant cet autel il en existait un autre qui fut consacré en 1386
et détruit en 1793.
L'église de Saint-Sernin, que l'on répare
aujourd'hui sur les plans de Viollet-le-Duc, porte le surnom d'insigne
Basilique. Cette église doit sa fondation à saint Sylve, évêque
de Toulouse, qui la fit bâtir vers le Vème siècle. Elle
dépendait de l'abbaye de Saint-Sernin mais, au commencement du XIème
siècle, ayant été détruite pour la seconde fois, saint Raymond,
de concert avec l'évêque Pierre Roger, se hâta de la faire rebâtir,
et le pape Urbain II la consacra solennellement en 1095. C'est l'un
des plus beaux monuments de Toulouse. Sa forme est celle d'une croix
latine. Bâti, dans le style roman, il est entouré de grilles en
fer à l'alignement desquelles est une porte dont la sculpture appartient
à Nicolas Bachelier. Son clocher à flèche est très élevé. Avant
d'entrer dans l'église, on remarque dans une petite salle les tombeaux
des comtes de Toulouse, dont il reste à peine quelques fragments.
Cette église est grande et vaste: elle compte cinq nefs dans sa
partie longue, trois dans sa partie transversale la coupole, dont
la voûte est ornée de peintures d'un très beau style, est formée
par les quatre piliers qui supportent le clocher. Autour du chœur
sont des chapelles et un grand nombre de reliquaires. Les marches,
les dalles, les panneaux du chœur sont en marbre, un élégant baldaquin,
soutenu par des colonnes en marbre, surmonte le maître-autel, qui
est très élevé, et sous lequel existent des caveaux où l'on descend
par des escaliers en pierre, et qui renferment des châsses fort
anciennes, entre autres celle de saint Sernin, évêque de Toulouse
et patron de cette église. C'est dans la basilique de Saint- Sernin
que se fit la cérémonie de la bénédiction des bannières, en 1096,
avant le départ des croisés pour la terre sainte. On y voit encore,
dans l'une des chapelles, le christ et la croix qu'ils portèrent,
dit-on, à Jérusalem. Saint-Sernin est surmontée par un clocher octogonal
et pyramidal de 64 mètres de hauteur, qui s'élève au-dessus de la
croisée du transept et de la nef.
L'église de la Daurade, qui
faisait partie du couvent des bénédictins. Bien que moderne et inachevée,
elle est fort belle à l'intérieur. Cette église n'a fait que succéder
à une plus ancienne, construite sur les ruines d'un temple dédié
à Minerve, la nef avait remplacé des ruines qui présentaient un
décagone parfait; le sanctuaire, plus élevé, était garni de trois
rangs de niches pratiquées dans le mur. Tout le massif du mur était
recouvert d'une mosaïque en verre très remarquable, et qu'on croit
l’œuvre des Wisigoths ; la couleur jaunâtre ou dorée, qui faisait
le fond de cette mosaïque, avait fait donner à cette première église
le nom de Deaurata; en roman Daourado, d'où l'on a fait Daurade,
sous lequel est désignée l'église actuelle. Cette église, dédiée
à la Vierge, renferme plusieurs monuments, entre autres le tombeau
du poète Goudelin. On croit généralement que Clémence Isaure fut
inhumée dans l'église de la Daurade, au pied de l'autel, et c'est
pour cela, sans doute, qu'on y célèbre tous les ans, le 3 mai, la
bénédiction des fleurs d'or et d'argent destinées aux vainqueurs
des Jeux floraux.
L'église Saint-Pierre, qui sous Raymond de
Saint-Gilles, comte de Toulouse, servait de lieu d'assemblée et
s'appelait Saint-Pierre des Cuisines, nom qu'elle devait au voisinage
de fours banaux. Sa forme est celle d'une croix allongée; le dôme
est surmonté d'une statue en plomb d'une grande proportion l'autel
est à deux faces et en marbre. C'est aux artistes toulousains qu'est
due l'ornementation de cette église.
L'église du Taur, dont
l'origine est fort ancienne. Bâtie sur l'emplacement où saint Saturnin,
appelé dans le pays saint Sernin, apôtre des Gaules, fut martyrisé,
cette église n'était au Vème siècle qu'un oratoire dont
saint Exupère, alors évêque de Toulouse, fit une église dont le
nom rappelle le martyre du patron de la ville de Toulouse. Cette
église, dont la dernière construction appartient au XIVème
ou au XIème siècle, est du genre gothique.
L'église
de Notre-Dame de la Dalbade, qui doit son nom à la prairie plantée
de saules (Albaredo) qui l'avoisinait, possède les tombeaux de deux
chevaliers de Malte. C'est dans cette église, où l'on vénère la
statue miraculeuse de Notre-Dame-la-Noire, que la duchesse de Montmorency
vint réclamer le corps de son époux à Louis XIII et à Richelieu,
qui assistaient au service funèbre en l'honneur du duc.
Le Musée, très riche en antiquités du pays
et de bons tableaux, occupe l'ancien couvent des Augustins.
Presque en face de la Maison de Pierre, et attenant à l'église de
la Dalbade, est l'hôtel Saint-Jean sur l'emplacement duquel s'élevait
jadis le couvent des Templiers, qui, plus tard, fut occupé par les
chevaliers de Malte. On y tient aujourd'hui les marchés aux draps.
L'hôtel d'Assezat, sur la place de ce nom, a été bâti vers le milieu
du XVIème siècle par la famille d'Assezat ; l'ensemble
en est admirable, et les dessins, œuvre du Primatice, se font remarquer
par leur goût exquis ; l'escalier, la tour, l'élégant pavillon qui
la couronne, les consoles des galeries, les corniches les archivoltes
en un mot tout y révèle une main habile, celle d'un élève de Michel-Ange,
du célèbre sculpteur Nicolas Bachelier. Citons encore, parmi les
maisons les plus remarquables, l'hôtel de Fleyres, l'hôtel Duranti,
l'hôtel de Felzin, l'hôtel Mac-Carthy, enfin la maison de Clémence
Isaure et celle de Calas.
La Fontaine-Colonne, dédiée au général
Dupuy, commandant la 32ème demi-brigade, a été exécutée
sur les dessins de M. Urbain Vitry, ingénieur de la ville. La colonne
et les griffons sont en fonte de fer le piédestal en marbre blanc
sur la face principale, on voit sculptée l'effigie du général sur
les autres sont gravées des inscriptions qui rappellent ses campagnes.
Haute de 19,20 mètres cette colonne est couronnée d'un chapiteau
sur lequel est un globe doré surmonté d'une Renommée en bronze tenant
dans ses mains des couronnes. L'Observatoire est situé sur un plateau
du haut duquel l'œil découvre toute la ville et suit, à travers
les campagnes qu'elle fertilise, les sinuosités de la Garonne. A
l'horizon, dans un lointain vaporeux, apparaissent les hautes cimes
des Pyrénées. C'est une magnifique perspective. Sur ce même plateau
s'élève la Colonne de 1814 avec cette inscription sur le piédestal.
TOULOUSE
RECONNAISSANTE
AUX BRAVES MORTS POUR LA PATRIE
BATAILLE DU
10 AVRIL 1814.
Il Y encore à Toulouse de fort belles places publiques, notamment les places du Capitole et La Fayette; de charmantes promenades, un jardin des plantes, un jardin royal aujourd'hui appelé le Jardin public, ombragé d'arbres, et à côté duquel on voit la seule porte qui reste des anciens remparts de la ville, un magnifique château d'eau, un arc de triomphe érigé en l'honneur de Louis XIII, un arsenal, l'un des plus grands de France, un polygone, des casernes, un hôtel des monnaies, un moulin à poudre, un hôtel de la Bourse, de très beaux palais, des abattoirs vastes, commodes et très bien aérés, plusieurs ponts sur la Garonne, un autre sou lequel passe le canal du Midi, un grand nombre de fontaines, dont la plus remarquable est celle de la place de la Trinité; enfin quatre cimetières, deux pour les catholiques, un pour les protestants et un pour les israélites. Toulouse est l'entrepôt du Midi entre Bordeaux et Marseille, l'Océan et la Méditerranée par rapport aux Pyrénées, elle est un point militaire stratégique important comme base d'opération ou centre d'approvisionnement. Elle fabrique de la draperie, des soieries, des indiennes, des cotonnades, des couvertures de laine, des faux, des limes. Elle possède de belles et vastes casernes, une poudrerie et une raffinerie nationale de salpêtre. Elle fait un grand commerce de grains, farines, eaux-de-vie et denrées coloniales, d'épiceries, huiles, savon, fer et laines d'Espagne. C'est une des grandes villes de France où l'on fabrique avec succès les objets de luxe, la bijouterie et les instruments de mathématiques. Elle est la patrie d'un grand nombre de personnages distingués, parmi lesquels nous citerons Clémence IsaureAvant de nous éloigner de Toulouse, fidèle à nos habitudes d'archéologue et d'historien, nous allons essayer, en nous servant des travaux de M. du Mège, de reconstruire l'enceinte de la Toulouse romaine. En recherchant la ligne qui dessinait les remparts ou l'enceinte fortifiée de la Nouvelle-Toulouse au temps des Romains, on retrouve d'abord, touchant en quelque sorte à la rive droite de la Garonne, les murs ou les anciens restes du Château-Narbonnais. Des tours élevées flanquaient de distance en distance cette enceinte; l'une de ces tours, qui faisait partie du Château- Narbonnais, portait le nom de tour de l'Aigle, et l'on a cru qu'au temps où la province était soumise aux Césars, un aigle d'or était placé au sommet de cette tour. Elle servait de prison aux premiers chrétiens, et elle fut sans doute témoin de plus d'un martyre et de plus d'un drame sanglant. Elle occupait à peu près la place où existe aujourd'hui l'abside de la salle des assises au palais de justice. De la tour de l'Aigle, qui était ronde et construite en briques, le mur romain, formé d'un massif de cailloux, revêtu de briques sur sa face extérieure, dessinant toujours un arc de cercle et laissant en dehors les murs dits plus tard les Hauts-Murats, allait rejoindre le point où s'ouvre aujourd'hui la porte de Montgaillard, qui, sans doute, s'ouvrait alors en ce lieu sur la campagne. Plusieurs tours, dont l'une subsiste encore, flanquaient sur ce point l'enceinte de la ville venait ensuite la porte que l'on a nommée depuis porte de Montoulieu ou du mont des Oliviers, à la gauche de laquelle était une tour semblable à celle de l'Aigle, mais un peu moins élevée ; elle est désignée dans les anciens titres sous le nom de Tor de Car, nom qui rappelle l'empereur Carus. A quelque distance de cette tour s'élevait une autre tour aussi élevée que la tour de l'Aigle, aussi belle c'était la tour de Num-César, à laquelle César Numérien, fils de Carus, donna peut-être son nom ce qui ferait remonter cette partie de l'enceinte de la Toulouse romaine au IIIème siècle de notre ère.
De cette tour et jusqu'au point où existait
naguère la double porte Saint-Étienne, trois tours défendaient le
mur crénelé qui s'étendait jusqu'à l'ouvrage avancé, qui couvrait
la porte. La muraille, interrompue par des tours de distance en
distance, suivait ensuite la direction de la rue du Rempart-Saint-Étienne,
de la rue Basse-du-Rempart, traversait un angle de la place La Fayette,
coupait le jardin de l'Académie des arts et de l'Hôtel de ville,
se dirigeait vers la petite église de Saint-Quentin, allait rencontrer
la rue des Jacobins, traversait l'ancien couvent, passait à l'extrémité
de la rue du Sac, coupait le bâtiment des religieuses de Notre-Dame;
de là elle allait gagner à travers les jardins l'extrémité de la
maison des religieuses des Casses au port Bidou, aujourd'hui port
de Saint-Pierre, et s'appuyait enfin sur le château Bazacle. La
muraille se continuait, sans doute, le long de la Garonne et allait
rejoindre le Château-Narbonnais. Tel est l'ensemble de la muraille
romaine, qui décrivait un vaste arc de cercle dont la Garonne formait
la corde. Cette muraille se composait d'un blocage de cailloux dans
un bain de mortier revêtu de briques à l'extérieur, et maintenu
de distance en distance par des chaînes de même nature. Le pied
de cette muraille était formé par un revêtement de deux assises
de pierres carrées, blanches et polies, formant plinthe, et ayant
chacune 12 à 15 centimètres de côté. Lorsque la ville eut pris un
plus grand développement, elle déborda son enceinte et se développa
principalement du côté de l'ouest, vers les faubourgs Saint-Pierre
et Matabiau, et, de l'autre côté de la Garonne, le faubourg Saint-Cyprien
commença à se former. Il fallut bièntôt ajouter une nouvelle enceinte
à celle de la vieille ville; alors le quartier Saint-Cyprien et
le bourg furent entourés de murailles. La nouvelle muraille du bourg,
qui paraît n'avoir été construite qu'en pisé, partait du château
de Bazacle, suivait à peu près l'allée de l'Arsenal, les boulevards
Las Croses, d'Arcole, Napoléon, l'allée Saint-Etienne, le jardin
royal et l'allée Saint-Michel, près de laquelle se trouvaient les
Hauts-Murat, qui allaient s'attacher au Château-Narbonnais. Lors
de la rentrée de Raymond VI dans sa capitale, les fortifications
furent réparées, le Château-Narbonnais fut isolé de la ville par
des fossés, les eaux de la Garonne furent conduites autour des murailles
dans des douves profondes, et l'on éleva en face des portes, en
avant de l'enceinte, une longue série de barbacanes, qui formèrent
un système complet de défense. Les noms de ces barbacanes sont ceux
des portes de la Toulouse du moyen âge la première, à partir du
château, Bazaclé, était la barbacane du Bazacle; puis venaient successivement,
en faisant de l'ouest à l'est le tour de la ville, la barbacane
Comtale; celles de la Baussane, de Las Croses celles d'Arnaud-Bernade,
du nom de son défenseur Pozamila (Pozonville) de Matabo (Matabio
qui signifie mort au chien, plus tard Matabiau), de la Porte-Gaillard,
celle où se livraient les combats, et par laquelle sortaient chaque
jour les hommes de Toulouse pour combattre l'ennemi; de la Porte-
Ville-Neuve, la barbacane Neuve, celles du Pertuis (Marestang),
de Saint-Étienne, de Montoulieu et du Château-Narbonnais. Dans le
faubourg Saint-Cyprien, la muraille flanquée de neuf tours, dont
l'une d'entre elles, la tour Baussagne, était très forte et protégée
par trois barbacanes correspondant sans doute à autant de portes
c'étaient la barbacane de la tour Baussagne (près de la barrière
de Muret), celle du Pant-Yieux et celle du Pont-Neuf de Bazacle.
A Toulouse, durant le moyen âge, tout avait pris un air de grandeur;
comme en Espagne, presque toute la population avait la prétention
d'être noble cette prétention s'était traduite par la forme des
édifices on construisait, on élevait de vastes habitations flanquées
de tours et de tourelles, « lesquelles, dit Catel, l'historien
de Toulouse, ne servoient pas seulement pour orner ces maisons,
mais encore marquoient quelque espèce de grandeur. Il y avoit anciennement
à Tolose beau nombre de tours grandement élevées, comme il y en
a bien encore aujourd'huic’est-à-dire au commencement du XVIIème
siècle), à cause de quoi quelque nouveau poète a donné ceste épithète
à Tolose Turrita Tolosa. »Tous ces différents ouvrages de défense
furent détruits à la suite du traité de Meaux, en 1229.
Les
murs du bourg et du quartier Saint-Cyprien, moins solidement construits
que la muraille romaine, disparurent entièrement. Cette dernière
a laissé jusqu'à nos jours des vestiges qui ont permis au savant
antiquaire que nous avons nommé au commencement de cet article d'en
suivre les traces. Le Château-Narbonnais et le Château du Bazacle
subsistèrent plus longtemps. Le premier avait successivement servi
de demeure aux officiers romains, aux rois wisigoths, aux ducs francs
et aux comtes de Toulouse ; il fut dans la suite converti en prison
et démoli en partie, ses derniers restes ont depuis longtemps disparu
pour faire place au Palais de justice. Quant au château du Bazacle,
il servit un instant de résidence aux gouverneurs que les rois de
France envoyèrent dans la ville à la place de ses anciens comtes.
Il fut ensuite abandonné, et sur ses fondations on éleva le moulin
qui porte encore son nom. La Toulouse romaine et la Toulouse du
moyen âge ont aujourd'hui entièrement disparu, et il est peu de
grandes villes en France qui aient perdu aussi complètement toute
trace de leurs plus anciens monuments. Vieille-Toulouse, que l'on
écrivait autrefois Vieil-Toulouse, n'est plus aujourd'hui qu'une
petite commune de 257 habitants, située à 10 kilomètres au sud de
Toulouse, sur une colline et près de la rive droite de la Garonne.
Les antiquaires du Midi croient y retrouver l'ancienne Tolosa, la
capitale des Tectosages commandés par Copillus. Lorsque l'on vient
de Toulouse on traverse, avant de monter au village, un petit ruisseau;
puis, sur la droite, on aperçoit un espace assez considérable formé
par la suite de trois plans. « Le premier est en pente et fait ce
que l'on appelle la côte de Vieille-Toulouse le second est une petite
plaine; le troisième est un petit coteau qui domine les deux autres
plans. Tout ce terrain se termine en pointe sur le fond et s'élargit
à mesure que l'on monte. Il est borné au couchant par des précipices
qui règnent le long de la rivière, et au midi par un glacis et un
tumulus de forme ovale, dont la longueur est d'environ 44 mètres
sur 22 de largeur. Du haut de cet antique monument, qui porte le
nom de Castella, on en distingue plusieurs autres presque semblables
; on remarque surtout dans les champs de Pouvourville le Concurel,
tombelle très élevée, et un espace à peu près elliptique, qui parait
avoir servi jadis à de nombreuses inhumations, et qui porte le nom
de Crusel. La surface du sol est jonchée de fragments d'urnes funéraires.
Les laboureurs les charrient dans les précipices pour en purger
la terre; malgré ces soins, qui de temps immémorial ont été souvent
réitérés, leurs charrues en déterrent sans cesse, et le fer est
continuellement émoussé par le choc de ces briques. » On découvre
dans ce lieu des anneaux, des grains, des chaînettes en or, en argent,
en bronze, en fer et en plomb. On y trouve aussi des médailles phéniciennes,
celtibériennes et gauloises, grecques, romaines, consulaires et
impériales. Lorsque Tolosa eut été à deux reprises différentes,
et à peu d'intervalle l'une de l'autre, livrée à toutes les horreurs
de la guerre, il est probable que ses habitants l'abandonnèrent
peu à peu, et qu'ils vinrent s'établir dans la plaine qui s'étendait
au bas des collines sur lesquelles s'élevait la capitale des Tectosages,
sur les bords mêmes du fleuve qui les mettait en rapport avec d'autres
grandes villes de la province, et c'est alors qu'aurait été fondée
la Nouvelle-Toulouse, la Toulouse romaine.
Note : devant nous rendre à Toulouse très prochainement, de nombreuse photos de la Ville Rose seront incluses
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