Histoire de la Haute Garonne


Comme le département de la Haute-Garonne
a pour chef-lieu Toulouse, l'ancienne capitale du Languedoc,
c'est à son histoire que nous allons rattacher celle de la province
tout entière. Les deux versants des Cévennes méridionales (car
on peut désigner ainsi d'une manière générale l'ancienne province
de Languedoc) étaient occupés à l'époque gauloise par les Volces.
Selon M. Amédée Thierry, les Volces s'y étaient établis seulement
entre 250 et 281 avant J.-C., et, selon d'autres autorités,
bien antérieurement. Ces Volces, toujours selon M. Amédée Thierry,
étaient un peuple belge, qui se serait transporté, on ne sait
à quelle époque, des rives de l'Escaut aux rives de la Garonne.
Il se fonde principalement sur l'orthographe donnée à leur nom
par quelques auteurs anciens, qui ont écrit Bolcæ ou même Bogæ.
On a répondu avec assez de raison que cette substitution du
b au v ne prouvait que fort peu, attendu que, dans la bouche
des hommes du midi de la France, ces deux lettres sont deux
sœurs qui se ressemblent beaucoup, et que l'on a toujours prises
l'une pour l'autre.
D'ailleurs, les auteurs anciens, lorsqu'ils
ont représenté la Gaule comme divisée en trois grandes nations
Belges, Celtes et Aquitains, ont toujours attribué aux Celtes
tout le pays compris entre la Seine et la Marne au nord, la
Garonne au sud, sans jamais dire que les Belges, situés au nord,
aient eu une enclave au midi, entre les Celtes et les Aquitains.

Admettons donc que les Volces étaient
des Celtes. Ils se divisaient en Volces Tectosages et Volces
Arécomiques. Les Tectosages occupaient la partie occidentale
et de beaucoup la plus considérable du territoire commun, c'est-à-dire
à peu près le pays compris entre la Garonne, le Tarn, les Pyrénées
et l'Hérault ; les Arécomiques étaient renfermés entre l'Hérault
et le Rhône. C'est dans le pays des Tectosages qu'était située
Tolosa : c'était même leur capitale. Ils étaient très remuants.
Dès 333 avant J.-C., nous voyons des Tectosages en Illyrie.
En 281, ils forment l'avant-garde, sous leur chef Cambaulus,
de la fameuse expédition des Gaulois en Grèce et au temple de
Delphes. Quatre ou cinq ans après, ils s'en vont, en compagnie
des Trocmes et des Tolistoboïes ou Tolostoboüs (de Tolosa ?),
s'installer au beau milieu de l'Asie Mineure, après avoir traversé
l'Hellespont, et ce sont eux qui tiennent le premier rang dans
cette colonie, qui valut au pays occupé le nom de Galatie. Comme,
dès ce temps-là, les écrivains grecs les appellent Tectosages,
il est évident que ce nom ne vient pas, ainsi qu'on l'a prétendu,
des deux mots latins, tecti et sagum (couverts de la saie gauloise).

Lorsque les aventuriers Tectosages, au lieu de se fixer dans les pays lointains, préféraient revenir chez eux chargés de butin, sans doute ils rapportaient peu de germes de civilisation des riches contrées qu'ils avaient pillées. Mais ces Grecs, dont ils avaient visité le pays en barbares, les visitèrent à leur tour en hommes civilisés. « Si l'on veut étudier la topographie de cette contrée, dit un savant toulousain, M. du Mège, en se dirigeant de l'embouchure de l'Hérault, près d'Agde, en passant par Toulouse, vers l'embouchure de l'Adour, les noms des localités, les monuments qu'on y a découverts ou que l'on y retrouve encore, montreront comme échelonnés une immense ligne de comptoirs ou d'établissements grecs, qui touchaient aux deux mers en traversant dans toute sa longueur l'isthme qui les sépare. » On sait que le langage parlé aujourd'hui dans la Gascogne, l'ancienne Novempopulanie, offre avec la langue grecque d'étonnantes analogies que Scipion Dupleix a relevées dans un dictionnaire, et l'on connait ces noms de Samos, Sestos, d'Abydos, de Scyros, etc., portés encore de nos jours par quelques bourgades de la même contrée. C'étaient, suivant une antique, mais peu recommandable tradition, des Doriens, partis à la suite d'Hercule, qui étaient venus s'y établir.


Les Tectosages livrèrent complaisamment passage à Annibal. Leurs frères, les Arécomiques, entrainés par les intrigues de Rome, essayèrent en vain de l'arrêter ; il passa en ravageant leur territoire. Un siècle après (120 ans avant J.-C.), Domitius Ahenobarbus apparaissait à son tour à la tête des légions romaines. Déjà les Salyens et les Allobroges étaient soumis, les Volces suivirent cet exemple. Leur pays fut d'abord réuni à la province romaine, mais il en fut détaché en 117 et forma dès lors une province particulière, appelée Gaule Narbonnaise, du nom de Narbonne, récemment fondée. Il fut divisé en trois cantons, dont les chefs-lieux étaient Toulouse, Narbonne et Nîmes. Le préteur y venait présider les assemblées annuelles ou conventus. A côté des lois romaines, qui leur étaient imposées, les Volces avaient conservé leurs lois celtiques. Malgré la modération avec laquelle ils étaient traités, l'invasion des Cimbres, la révolte de Sertorius amenèrent chez eux des mouvements qui furent, au reste, sévèrement réprimés. Pompée leur enleva une partie de leurs terres, qu'il donna aux Marseillais. Loin de les dompter, le châtiment les irrita. La révolte devint violente ; les Tectosages allèrent assiéger Narbonne, que le proconsul Marcus Fonteius ne délivra qu'avec peine (75 ans avant J.-C.). Accablés de contributions et de levées d'hommes qui les épuisèrent, ils accusèrent devant le sénat romain cet impitoyable proconsul, Cicéron le défendit et basa sa défense sur la nécessité de dompter un peuple toujours prêt à secouer le joug de Rome. Il leur impute le siège du Capitole, et s'écrie « Aujourd'hui même, leurs députés, la tête altière, l'air arrogant, semblent menacer Rome d'une nouvelle guerre si on ne leur accorde pas la destitution de Fonteitis, leur proconsul. » Il ne néglige pas non plus, pour les rendre plus odieux, de signaler la barbarie de leurs sacrifices humains « coutume effroyable, dit-il, qu'ils ont conservée jusqu'à nos jours. » Soit quel illustre avocat ait exagéré l'esprit indépendant des Tectosages, soit que les mesures terribles du proconsul les eussent, en effet, réduits à l'impuissance, les Volces ne prirent aucune part à la résistance nationale lors de l'invasion de César, et se rangèrent tout de suite sous les aigles de Crassus. César, en reconnaissance, leur rendit les terres que Pompée avait transportées aux Marseillais, du même coup dépouillant ses ennemis, enrichissant ses alliés et détruisant l'œuvre de son rival. Enfin, il envoya chez eux des colonies pour réparer les pertes que leur population avait faites, et admit plusieurs d'entre eux dans le sénat, qu'il recomposa alors. Dans la guerre civile d'Octave et d'Antoine, les Volces se déclarèrent plutôt pour l'ancien lieutenant de César que pour son jeune et ambitieux héritier, peut-être par un effet de leur opposition continuelle au parti sénatorial, dont Octave venait de se rapprocher. Ils se soumirent pourtant au traité de partage qui les fit passer dans le lot de ce dernier. Mais, quand il fut empereur, ils se révoltèrent deux fois (39 et 30 ans avant J.-C.), et le proconsul Valerius Messala Corvinus fut obligé de les battre, sur les bords de l'Aude et sur ceux de la Garonne. Pour se les attacher, Auguste vint en personne présider à Narbonne l'assemblée des députés de toute la Gaule. Il exempta de l'impôt personnel les habitants de la Narbonnaise et mit cette province au nombre de celles qui relevaient du sénat. En récompense, il reçût d'eux des autels et des honneurs divins.

Au témoignage de Strabon, la Narbonnaise bénit le règne de Tibère, grâce à la prospérité dont elle jouit sous le gouvernement d'Antistius Labeo. Elle ne remua ni sous ce prince ni sous Claude mais, sous Néron, elle s'associa à la révolte de Vindex et de Galba. Elle résista à Vitellius, mais fut obligée de se soumettre. Ces évènements ne nuisirent point à sa prospérité, qui fut au comble sous les Antonins. Au IIIème siècle, elle reçut le christianisme, puis les doctrines manichéennes, que l'arianisme suivit de près. Ainsi, de bonne heure, ce pays fut envahi par les hérésies orientales, qui devaient s'imprimer plus fortement encore dans l'esprit de ses populations par le séjour des Goths, et, plus tard, donner naissance en se transformant, à l'hérésie albigeoise. Cependant, la circonscription et la dénomination de la Narbonnaise avaient un peu changé.

En 278, Probus en avait détaché la Viennoise.
Valentinien Ier, ayant donné à la Provence le nom
de Narbonnaise seconde, l'ancienne Narbonnaise eut le titre
de Narbonnaise première. A l'intérieur, ses cités étaient au
nombre de six des Narboniens, Narbonne ; des Tolosates, Toulouse
; des Béterriens, Béziers ; des Némausiens, Nîmes ; des Latéviens,
Lodève ; des Uzétiens, Uzès.
L'invasion des barbares visita
de bonne heure la Narbonnaise. Dès 405, les Vandales de Crocus
viennent y tourbillonner et se faire écraser près d'Arles, par
le second Marius. Le gros de leur nation arrive l'année suivante,
passe sur le pays comme un ouragan, et s'en va disparaitre en
Espagne, avec les Suèves et les Alains. C'est ensuite le tour
des Goths. Ceux-ci se font céder la Narbonnaise par Honorius
; mais Ataulf n'ose y demeurer et l'abandonne à son rival, le
comte Constance. C'est son successeur, Wallia, qui, repassant
au nord des Pyrénées, y installa véritablement les Wisigoths,
et fit de Toulouse sa capitale.
Le littoral fut toutefois
maintenu par les armes d'Aétius, sous la domination d'Honorius,
et ce n'est qu'en 459 que la Narbonnaise tout entière fut perdue
pour l'empire.
Les Wisigoths l'appelèrent Septimanie ou
Gothie.
Trop de conquêtes perdit les Wisigoths. Euric, roi
belliqueux, en étendant son empire jusqu'à la Loire en 473,
en se faisant céder l'Auvergne par l'empereur Nepos en 475,
allait au-devant des Francs. Malgré la modération que son ministre
Léon imprima à son gouvernement, les évêques catholiques, ceux
surtout des pays qu'il venait d'acquérir, Sidoine Apollinaire
par exemple qu'il retint plusieurs années en prison, n'en étaient
pas moins pleins d'horreur pour ce monarque arien, de sympathie
pour le roi catholique des Francs. Son fils, Alaric II, fut
vaincu à Vouillé et ne conserva en Gaule que la Septimanie proprement
dite, le pays entre les Cévennes et la Méditerranée, les Pyrénées
et le Rhône. La plus utile conquête qu'eût faite Euric était
encore celle d'une partie de l'Espagne, qui servit de refuge
à sa nation chassée.

Les fils de Clovis, voulant venger leur
sœur Clotilde, vinrent battre Amalaric sous les murs de Narbonne,
mais sans lui rien enlever. Au contraire, Théôdebert, en 533,
s'empara sur les Wisigoths de Lodève, d'Uzès et dit Vivarais.
Ils furent donc réduits à une portion de la Septimanie, de Nîmes
à Carcassonne inclusivement. Hécarède reprit Lodève dans ses
guerres avec Gontran.
Quant à cette partie de l'ancienne
Narbonnaise qui était située au nord des Cévennes, elle fut
possédée par les descendants de Clovis, qui se la partagèrent.
Le Toulousain passa successivement à Charibert, à Chilpéric,
à l'usurpateur Gondovald en 584, à Gontran, à Childebert, à
Thierry, à Clotaire II, à Dagobert.
Sous Dagobert se passa
un fait fort important pour l'Aquitaine et la Septimanie franque.
Ce monarque les détacha de son royaume et en fit don à son frère
Charibert, qui prit le titre de roi de Toulouse en 630. A la
vérité, il les lui reprit bientôt, mais il les rendit sous le
nom de duché d'Aquitaine, relevant du royaume des Francs, aux
enfants de son frère, Boggis et Bertrand. Ces deux princes devinrent
les souverains nationaux du Midi, et les partages que les descendants
de Dagobert se firent encore de l'Aquitaine et de la Septimanie
furent plutôt nominaux que réels. En 688, Eudes, fils de Boggis,
succéda à son père et à son oncle comme duc d'Aquitaine ou de
Toulouse.

C'est sous Eudes que parurent les Sarrasins
(719). Ils envahirent d'abord la Septimanie des Wisigoths sous
l'émir Zama, puis se portèrent sur Toulouse. Eudes les battit
(721). Leur seconde invasion fut conduite par Ambiza, elle passa
par la Septimanie et se dirigea vers la Bourgogne en 725. La
troisième fut celle d'Abdérame en 732, dont l'immense armée,
dans sa déroute, ravagea le pays de Toulouse.
La Septimanie
ou Gothie Narbonnaise resta aux Arabes, malgré les efforts de
Charles-Martel.
Ils en furent chassés seulement par Pépin
le Bref. C'est alors que s'engagea la lutte mémorable d'Hunold,
fils d'Eudes, et de Waïfre, fils d'Hunold, contre les Francs
; lutte terminée en 768 par la soumission de toute la Septimanie.
Pépin y établit des comtes chargés de représenter son autorité,
mais laissa aux habitants leurs privilèges et l'usage du code
théodosien. Charlemagne confia le gouvernement du Toulousain
à un certain duc Chorson, puis à Guillaume au court nez, si
célèbre dans les romans, et bientôt après en780, incorpora la
Septimanie dans le royaume dont il apanagea son fils Louis.
Le partage de 817 divisa la Septimanie en deux portions : l'une,
comprenant Toulouse et Carcassonne, demeura annexée à l'Aquitaine,
et ce fut le royaume de Pépin II ; l'autre, comprenant le reste,
fut attribuée à Lothaire. Cette séparation, que le partage de
839 effaça au profit de Charles le Chauve, reparut dans le régime
féodal. Charles le Chauve s'était fait représenter dans le marquisat
de Toulouse par Warin mais celui-ci avait un rival dans son
gouvernement, c'était ce fameux comte Bernard, autrefois l'amant
de l'impératrice Judith, et qui actuellement soutenait les droits
du fils de Pépin. Charles vint en personne assiéger Bernard
dans Toulouse et le fit prisonnier il se le fit amener dans
le monastère de Saint- Sernin, l'accueillit à bras ouverts,
et pendant l'embrassade lui enfonça un poignard dans le cœur,
disant « Malheur à toi, qui as souillé le lit de mon seigneur
et de mon père » Son père était peut-être justement l'homme
qu'il égorgeait. Pépin n'était pas abattu cependant. Guillaume,
fils de Bernard, qu'il avait investi à la place de son père,
défendit Toulouse et contre le roi de France et contre les Normands,
qui avaient remonté la Garonne jusque-là.
Malheureusement
Pépin fut livré à Charles le Chauve, qui reparut devant Toulouse.
Ce n'était plus Guillaume qui défendait la place, mais Frédelon.
Vainqueur, Charles, au lieu de dépouiller ce vaillant comte,
le maintint dans son gouvernement en 849. Frédelon est le père
de l'illustre maison des comtes de Toulouse. Son successeur
Raymond 1er, perdit un instant sa capitale, que lui
enleva le marquis de Gothie. Car la séparation dont nous parlions
tout à l'heure s'était renouvelée. Bernard, fils de Raymond,
pour ne le céder en rien aux marquis de Gothie, ces rivaux redoutables,
se lit appeler à la fois duc et marquis de Toulouse. Dès lors,
cette maison va toujours s'agrandissant, Eudes, quatrième comte,
acquiert l'Albigeois par un mariage. Raymond II, qui vient ensuite,
se rait investir du marquisat de Gothie par Charles le Simple,
à la mort de Guillaume le Pieux, duc d'Aquitaine.

Raymond-Pons s'empare du pays d'Uzès
et du Vivarais, puis se fait céder L’Auvergne et le Gévaudan
par Raoul, qui vint en personne le visiter et qui acheta à ce
prix élevé son hommage. Ainsi une étendue considérable et toujours
croissante de territoire formait aux comtes de Toulouse une
domination compacte, qui s'étendait jusqu'au Rhône et à la Méditerranée.
A la vérité, cette unité souffrit une interruption. Une branche
cadette, à laquelle le Rouergue avait été cédé précédemment,
obtint en outre par un traité de partage le marquisat de Gothie,
moins cette portion du pays de Nîmes qui confine au Rhône et
à la mer, et que les comtes de Toulouse conservèrent sous le
nom de comté de Saint-Gilles. Guillaume Taillefer, qui fit cette
concession, s'en dédommagea bien en épousant Emma, fille du
comte de Provence, laquelle à la mort de son père en 1024 lui
valut l'acquisition d'une partie de ce comté. Enfin, les affaires
des descendants de Frédelon étaient en si bonne voie que, dès
le XIème siècle, Guillaume IV, neuvième comte, s'intitulait
duc et comte du Toulousain, de l'Albigeois, du Quercy, du Lodévois,
du Périgord, du Carcassès, de l'Agénois et de l’Astarac; c'était
donc, comme on peut le voir, un puissant et redouté seigneur.

Les comtes de Toulouse sont de vrais
types des seigneurs méridionaux, toujours éveillés, remuants,
en quête de quelque province, de quelque femme ou de quelque
aventure, légers, amis du plaisir, peu scrupuleux, plus habiles,
ce semble, en politique et en galanterie qu'en guerre., Raymond-
Pons II épousait Almodis, femme d'Hugues de Lusignan encore
vivant. Almodis, il est vrai, le quitta peu de temps après pour
un troisième époux. Guillaume IV s'en allait quereller Guillaume
d'Aquitaine jusque dans Bordeaux, se faisait battre et prendre
ainsi que sa capitale, qu'on lui rendait pourtant à condition
d'être sage désormais. Ne sachant que faire, il part, et c'est
vers Rome que son inquiète activité le conduit ; il visite le
pape. A son retour, il trouve une femme chemin faisant et l'épouse
c'est Emma, fille du comte de Mortain. Revenu à Toulouse, il
faut qu'il se mêle du débat de l'évêque Isarn et des moines
de Saint-Sernin, ce qui le fait excommunier par Grégoire VII.
Mais il cède aussitôt et abandonne l'évêque dont il soutenait
la cause, comme pour montrer que ce qu'il en fait c'est uniquement
pour passer le temps. Dernière boutade il va en pèlerinage en
terre sainte, selon l'usage, et il y meurt en 1093.
Nous
ne voulons pas dire cependant que la piété n'ait pas eu de part
aux pèlerinages et aux expéditions fréquentes des comtes de
Toulouse en Orient. Las de leur propre mobilité, ces hommes
du Midi devaient éprouver le besoin de tourner leur ardeur vers
les graves et consolantes pensées de la religion. Guillaume
mourait sans enfants. Il avait cédé ses États à son frère Raymond
comte de Saint- Gilles. Raymond de Saint-Gilles avait fidèlement
suivi les traditions de famille. Excommunié d'abord par le pape
pour avoir épousé sa cousine, il s'était séparé d'elle, puis
était allé querir une autre épouse en Sicile. Il en avait ramené
Mathilde, fille du comte Roger, avec de magnifiques présents.
Un peu plus tard, il célébra ses troisièmes noces avec une fille
naturelle d'Alphonse VI, roi de Castille. Il n'en eut pas moins
la visite du pape Urbain II en 1095, et deux ans après, ayant
réglé ses affaires, fait aux églises de nombreuses donations
et laissé ses États à son fils Bertrand, il se croisa et partit
pour la terre sainte à la tête da ses nombreux vassaux et de
cent mille hommes. Il se montra un des chefs les plus sages
et les plus braves de la première croisade. Il avait fait vœu
de mourir en Palestine et tint parole il mourut, en effet, au
siège de Tripoli, après avoir refusé deux fois le trône de Jérusalem
en 1105. A l'occasion de la croisade, la maison de Toulouse,
comme toutes les autres, se choisit des armoiries. C'était une
croix clichée, vidée, pommetée et alésée d'or sur un champ de
gueules.
L'imagination tout enflammée du prestige de la terre
sainte, les comtes de Toulouse négligeaient un peu leurs États.
Ils avaient cependant de dangereux voisins dans les ducs d'Aquitaine.
Le jeune Bertrand fut, pendant deux ans, chassé de Toulouse
de 1098 à 1100. Bientôt il part à son tour pour la Palestine
et laisse le comté à son très jeune frère Alphonse en 1109.
Alphonse était né en Orient pendant la première croisade, ce
qui l'avait fait surnommer Jourdain. Guillaume d'Aquitaine,
soutenu par le vicomte de Béziers, dépouilla sans peine ce pauvre
enfant. Alphonse s'en alla en Provence. Quatorze ans après,
en 1123, comme il était en guerre avec le comte de Barcelone,
qui le tenait assiégé dans Orange, il vit arriver à son secours
les Toulousains, qui le délivrèrent après s'être délivrés eux-mêmes.
Il revint à Toulouse, mais n'y demeura pas constamment.
En
1131, il assiste au nombre des douze pairs au sacre de Louis
VII ; en 1140, il se rend en pèlerinage à Saint-Jacques-de Compostelle
à son retour, il félicite ses sujets d'avoir résisté au roi
de France, qui avait voulu s'emparer de Toulouse au nom d'Éléonore
de Guyenne. Enfin, après avoir eu à tenir tête à plusieurs de
ses vassaux ligués contre lui avec le comte de Barcelone, il
s'en alla, en 1148, comme son père et son frère, mourir en terre
sainte, empoisonné, dit-on, par la reine de Jérusalem. Il s'y
était rendu en compagnie d'un fils et d'une fille naturels,
qui furent faits prisonniers pas les musulmans, et la fille
fut épousée par le sultan Noureddin. Ce fut un des comtes les
plus chers aux Toulousains, qui lui devaient leurs principaux
privilèges.

Raymond V eut un règne fort agité.
Raymond-Trencavel, vicomte de Béziers, et Guilhem VI, seigneur
de Montpellier, lui retirèrent leur hommage pour le transporter
au comte de Barcelone. II les battit, les fit prisonniers et
ne les relâcha qu’après les avoir obligé à le reconnaître de
nouveau pour leur suzerain en 1153. Mais plus tard ils violèrent
leur serment et renouèrent la ligue, soutenue cette fois par
Henri II, roi d'Angleterre. Henri se présenta devant Toulouse
et essaya de s'en emparer au nom d'Éléonore de Guyenne devenue
sa femme. L'intervention de Louis VII l'obligea de se retirer.
Mais Raymond n'en avait pas moins fort à faire avec Alphonse,
roi d'Aragon et comte de Barcelone. Il avait épousé Constance,
sœur de Louis VII, épouse en premières noces d'Eustache de Blois.
Mais bientôt il l'avait répudiée pour prendre la veuve et l'héritière
de Raymond-Bérenger, comte d'Arles. Alphonse, qui avait des
droits sur cet héritage, le lui enleva, et Richard Cœur de Lion
s'étant joint à tous ses ennemis en 1189, il eût succombé à
cette coalition formidable si Philippe- Auguste n'était pas
devenu son allié contre le roi d'Angleterre. On l'appelait le
bon Raymond. Il aimait et protégeait les troubadours. La paix
lui eût bien mieux convenu que ces guerres continuelles ; et
cependant il mourut fort à propos pour n'en pas voir de plus
terribles en1194.
Raymond VI était déjà marié quand il devint
comte de Toulouse. Mais, comme Richard Cœur de Lion lui offrit
la main de sa sœur Jeanne, veuve du roi de Sicile, avec l'Agénois
pour dot et un traité fort avantageux, il n'hésita pas à congédier
sa première femme. Par ce traité, Richard renonçait à tous ses
droits sur Toulouse et rendait le Quercy. Un peu plus tard Jeanne
étant morte, Raymond épousa Éléonore, sœur du nouveau roi d'Aragon,
Pierre II, dont l'alliance lui fut désormais acquise. On peut
remarquer combien les comtes de Toulouse étaient considérés
; ils épousaient des sœurs et des veuves de rois.
Malheureusement
une tempête effroyable s'amoncelait déjà sur cette brillante
puissance dont personne alors n'eût soupçonné la chute prochaine.
Nous parlons de la croisade contre les albigeois. Dès 1165,
le concile de Lombers avait anathématisé les albigeois. Raymond
VI, au gré du pape Innocent III, ne les traita pas avec assez
de sévérité. Pierre de Castelnau lui fut envoyé et périt assassiné.
Ce fut le signal. Cent mille croisés descendent sur les bords
de la Méditerranée ; Béziers, Carcassonne succombent. Raymond
court auprès de Philippe-Auguste, qui n'ose écouter ses plaintes,
auprès du pape, qui l'amuse, de vaines promesses. Pendant ce
temps, Simon de Montfort lui enlève toutes ses places, et enfin
la bataille de Muret ruine la dernière espérance du comte de
Toulouse (1213). Pour épuiser toutes les ressources, il va trouver
en Angleterre le roi Jean et n'en obtient rien. Alors il abdique
dans les mains du légat, espérant que le pape lui rendra ses
États à titre de fief du Saint-Siège. Au contraire, le concile
de Montpellier les adjuge à Simon de Montfort (1215). Reste
en dernier recours la pitié d'Innocent III ; Raymond retourne
à Rome avec son fils. Innocent montre pour eux des dispositions
bienveillantes, mais lui-même était entraîné il décida pourtant
que les terres à l'est du Rhône seraient mises en séquestre
pour être plus tard rendues au jeune comte, « s'il en était
digne. » Innocent meurt, les deux Raymond reviennent et sont
accueillis triomphalement. Par une guerre vive, ils disputent
leurs États à Simon de Montfort, qui, enfin, est tué sous les
murs de Toulouse le 25 juin 1218). Son fils, Amaury, trop faible
pour lutter tout seul, appela à son secours Louis de France,
qui, devenu roi en 1223, accepta le legs qu'il lui fit des domaines
enlevés à la maison de Saint-Gilles. Dans cet intervalle, Raymond
VI mourut (1222), et, quoiqu'il eût toujours protesté de son
orthodoxie, quoiqu'on n'eût pas en réalité à lui reprocher autre
chose que sa douceur envers les hérétiques, les longs efforts
de son fils ne purent obtenir pour ses restes la sépulture consacrée;
son corps, enfermé dans un cercueil de bois, demeura exposé
à la porte du cimetière Saint-Jean, où on le voyait encore au
XIVème siècle. Raymond VII eut quelque répit. Louis
VIII, à peine maître d'Avignon, mourut en chemin en 1226, de
sorte que la couronne tomba sur la tête d'un mineur. Mais la
régente, Blanche de Castille, ne voulut rien abandonner des
droits que son époux avait acquis par la cession d'Amaury. Dès
1227 la guerre recommençait contre Raymond. Il fut vainqueur
à Castelsarrasin, mais la cruauté avec laquelle il traita les
vaincus ranima le feu de la croisade.

Accablé par des forces supérieures, il
consentit l'année suivante à accepter la médiation de l'abbé
de Grandselve et du comte de Champagne, et se rendit à Meaux.
Là fut conclu le désastreux traité, ratifié Paris le jeudi saint,
12 avril 1229, au parvis Notre-Dame; Raymond promit au roi,
au légat, et aux prélats assemblés de poursuivre à outrance
les hérétiques, et pour ce qui concernait ses États, on l'obligea
de parler ainsi « Le roi, me voulant prendre à merci, donnera
en mariage ma fille que je lui remettrai à l'un de ses frères;
il me laissera tout le diocèse de Toulouse; mais, après ma mort,
Toulouse et son diocèse appartiendront au frère du roi qui aura
épousé ma fille et à leurs enfants, à l'exclusion de mes autres
héritiers et si ma fille meurt sans postérité, lesdites possessions
appartiendront au roi et à ses successeurs. Le roi me laissera
l'Agénois, le Rouergue, la partie de l'Albigeois qui est au
nord du Tarn, et le Quercy, sauf la ville de Cahors. Si je meurs
sans autres enfants nés d'un légitime mariage, tous ces pays
appartiendront à ma fille, qui épousera un des frères du roi,
et à leurs héritiers. Je cède au roi et à ses hoirs à perpétuité
tous mes autres pays et domaines situés en deçà du Rhône dans
le royaume de France ; quant aux pays et domaines que j'ai au-delà
du Rhône dans le marquisat de Provence Venaissin, je les cède
à perpétuité à l'Église romaine entre les mains du légat. Je
détruirai à ras terre les murs de la ville de Toulouse et comblerai
ses fossés il en sera fait de même de trente autres villes et
châteaux. Pour l'exécution de ces articles je remettrai aux
mains du roi le Château-Narbonnais et neuf autres forteresses,
qu'il gardera dix ans durant. » Quand il eut fait cette
triste déclaration, accompagnée d'une promesse de 10 000 marcs
d'argent aux églises, de 10 000 marcs d'argent au roi, Raymond
fut admis dans la cathédrale pour y recevoir l'absolution.
« Ce fut pitié, dit Puylaurens, que de voir un si grand homme,
lequel si longtemps avait résisté à tant et de si grandes nations,
conduit jusqu'à l'autel, nu en chemise, bras découverts et pieds
déchaux. » Avec Raymond VII succomba la nationalité distincte
des peuples du midi de la France, cette nationalité qui se marquait
par une civilisation, une langue particulières différence si
bien sentie alors qu'elle fit désigner ces contrées sous le
nom de Languedoc. Nous n'avons point employé jusqu'ici, pour
ne point faire d'anachronismes, cette dénomination, qui n'apparaît
en effet, qu'au XIIIème siècle. Quoique certains
auteurs prétendent la faire dériver de l'allemand land, Goth
(pays des Goths), il est incontestable que la véritable étymologie
est langue d'oc, c'est-à-dire langue où oui se dit oc, par opposition
aux pays de la langue d'oil, pays du nord de la France, où oui
s'écrivait alors oil.
Joinville a écrit, on ne sait par
quel caprice, langue torte. Cette nationalité dissidente fut
donc enveloppée dans la vaste unité catholique, dont elle se
séparait par des doctrines hétérodoxes, et l'inquisition, introduite
dans le pays, fut chargée de l'y retenir ; puis, du même coup,
dans l'unité française, dont elle dut accepter les mœurs et
le génie plus sévères.

Rien n'est plus triste que la fin de
la vie de Raymond VIl. Puissance déchue, humiliée, étroitement
surveillé, obligé de persécuter ses sujets malgré ses secrètes
sympathies, s'épuisant en efforts inutiles pour faire réhabiliter
la mémoire de son père, réussissant à se réconcilier lui-même
avec l'Église, mais ne pouvant parvenir à son but caché, qui
était de prolonger au-delà de lui-même la ligne mâle de la maison
de Saint-Gilles, dans l'espoir qu'elle se relèverait quelque
jour, il voulait à tout prix avoir des fils, et se rendit au
concile dû Lyon pour faire casser son mariage avec Marguerite
de La Marche, il comptait épouser Béatrix, héritière du comte
de Provence; un plus puissant la lui enleva. Son dessein était
deviné et traversé par des intrigues que la force appuyait.
Sous le prétexte d'un pèlerinage à Saint-Jacques de- Compostelle,
il se rendit en Espagne pour négocier une autre alliance et
ne réussit pas. Enfin, pour mieux paralyser ses efforts, saint
Louis lui envoya l'impérieuse invitation de le suivre à la croisade
de 1248, dorant du reste cette dernière rigueur d'offres brillantes,
lui promettant le duché de Narbonne, 20 000 francs pour le voyage,
et le pape lui promettait aussi 2 000 marcs sterling. Il mourut
avant de partir pour cet exil, dont l'idée seule, sans doute,
lui donna le coup de la mort. Du moins, avant de descendre au
tombeau, le dernier des Saint-Gilles voulut donner à ses sujets
une preuve suprême de sa tendresse, et protéger autant qu'il
était en lui leur avenir livré à des mains étrangères. Il fit
un testament où il confirmait les privilèges et coutumes dont
jouissaient les barons, chevaliers et autres vassaux, les églises,
les villes, les châteaux et les villages de ses domaines, avec
défense de leur causer aucun préjudice touchant les tailles
et autres impositions qu'ils lui avaient accordées, non par
devoir, mais de leur propre volonté. La noblesse d'Aquitaine,
qui devait dominer pendant plusieurs siècles sur une grande
partie du midi de la France, relevait au XIème siècle
de deux suzerainetés principales, le duché d'Aquitaine et le
comté de Toulouse ; elle se divisait en deux groupes très distincts,
composés, le premier et le plus nombreux, d'hommes de sang romain
et de sang goth le second et le moins fort, d'hommes de race
tudesque. Les nobles romains, héritiers des villas de leurs
pères, transformées depuis longtemps en châteaux, avaient réussi
à conserver, à travers les invasions, l'influence attachée au
prestige de la naissance et aux richesses c'étaient eux qui
possédaient la majeure partie du sol et des populations rurales.
Les nobles germains, au contraire, représentant ces Francs violemment
jetés dans le pays par les irruptions de Pépin et de Charlemagne,
n'avaient point relativement des possessions territoriales aussi
étendues, mais ils occupaient les hauteurs du pouvoir. Les ducs,
les comtes, les vicomtes, les marquis, dernière expression de
l'occupation la plus récente et la plus tenace, étaient de race
franque partout, excepté en Gascogne ; La race romaine et la
race gothique, produit de la vieille conquête, fournissaient
les barons inférieurs et la plupart des évêques. Toutefois,
ces deux éléments hétérogènes, réunis sous la forte pression
de la féodalité, constituaient un seul corps, mais qui n'avait
de vie et de mouvement que ce que lui en prêtaient les traditions
de Rome. Celles-ci imprimaient encore leur couleur néo-latine
sur tous les faits sociaux. Chaque seigneur, visant l'indépendance,
pressurait ses vassaux pour y parvenir, et leur arrachait incessamment
leur sang et leur argent. Outre les impôts transmis avec fidélité
par la tradition du fisc romain et que les barons avaient hérités
du roi et maintenus comme la décime ou taille réelle, la scriptura
ou droit de pacage, les redevances de la douane ou tonlieu (teloneum),
une foule d'autres droits particuliers s'étaient établis, selon
les caprices et les besoins individuels des barons.
Les ducs
et les comtes jouissaient premièrement du droit des trésors
qui leur attribuait l’entière propriété de toute matière métallique
trouvée dans leurs domaines.
Ils avaient ensuite le droit
de naufrage ou de varech
Le droit d'établissement des foires
et marchés
Le droit de marque ou de représailles, dont les
puissants abusaient, quoiqu'il ne dût s'exercer, selon les jurisconsultes,
qu'après le jugement et contre la contumace.
Le droit de
chasse.
le droit de ressort ou d'évocation des causes à leur
tribunal.
Le droit de sauf-conduit ou de guidage
Le droit
des noces établi par Caligula.
Le droit de couronne consistant
dans un cercle d'or surmonté de roses d'or ou d'argent, qu'on
offrait au duc le jour de son sacre
Le droit de sceau pour
les chartes données.
Et enfin le droit de justice.
A ces
droits purement féodaux se joignaient ceux que les seigneurs
imposaient aux marchands. Longtemps le commerce avait été anéanti
par les invasions des musulmans et des Scandinaves ; lorsque
nos côtes furent délivrées de ces barbares visiteurs, une certaine
activité commerciale se réveilla, des navires furent construits
dans nos ports où se nouèrent des relations internationales;
mais cette sécurité relative n'existait point à l'intérieur.
Aussitôt que les marchands voulurent remonter les rivières,
s'ils n'eurent point à solder, comme jadis, le droit d'entrée,
le droit de salut, le droit de pont, le droit de rive, le droit
d'ancrage, le droit de déchargement et le cespilaticum
pour la place où l'on posait les marchandises débarquées, il
fallut qu'ils payassent l'aubaine en passant sous les tours
des seigneurs riverains, le péage en s'arrêtant dans leurs ports,
et tant d'oboles par ballot en exposant leurs marchandises en
vente dans les foires qui appartenaient aux barons ou aux monastères.
Ceux qui voyageaient sur les routes n'étaient guère plus heureux.
A chaque pas, leurs lourds chariots étaient forcés de s'arrêter
devant des châteaux, des bastilles, des haies qui devenaient
comme autant de douanes, où ils avaient à se libérer de quelques
redevances, sans quoi ils couraient risque d'être pillés. L'agriculture,
qui avait souffert plus encore que le commerce pendant les invasions,
n'était pas moins enchaînée dans son développement; à peine
si l'avidité féodale laissait aux serfs ruraux le temps de défricher
un sol où la charrue à chaque sillon se heurtait à des ruines,
à des ossements, à des tronçons d'armes. Dès que le serf avait
semé, le seigneur était impatient de recueillir, et il se faisait
sa part avec tant d'injustice et d'inhumanité, que le malheureux
qui avait arrosé cette moisson de ses sueurs périssait souvent
de faim dans sa chaumière vide, après avoir porté les gerbes
dans les greniers du donjon. Voici, sur ces déplorables abus,
un témoignage qui n'est pas suspect; c'est le fragment d'une
lettre écrite par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, à saint
Bernard de Clairvaux
« Personne n'ignore combien les seigneurs
séculiers oppriment la classe rurale et les serfs; ces maîtres
injustes ne se contentent pas de la servitude ordinaire et acquise,
mais ils s'arrogent sans cesse les propriétés avec les personnes,
et les personnes avec les propriétés outre les redevances accoutumées,
ils leur enlèvent leurs biens trois ou quatre fois dans l'année,
et, aussi souvent que la fantaisie leur en prend, ils les grèvent
d'innombrables services, leur imposent des charges cruelles
et insupportables, et ainsi les forcent presque toujours à abandonner
leur propre sol et à fuir dans les pays étrangers. » Si
l'on en croit les moines, le sort de leurs, serfs était beaucoup
plus doux. Hormis la liberté, ils possédaient tout ce qui suffit
à l'existence animale, la paix et d'assez bons maîtres ; ceux-ci
ne les vendaient jamais, fidèles à la maxime chrétienne qu'un
vil métal ne pouvait payer l'être racheté par le sang du Messie.
Ils ne leur imposaient pas non plus de fardeau au-dessus de
leurs forces. Mais, bien que tempéré par l'influence des idées
évangéliques, cet esclavage n'était pas moins la consécration
du fait odieux de la propriété humaine, que la loi nouvelle
semblait avoir voulu détruire.
En 1298, Philippe le Bel avait
aboli la servitude de corps et de vasselage dans la sénéchaussée
de Toulouse ; mais cette ordonnance n'avait jamais été reconnue,
tant les vieux usages étaient difficiles à déraciner. Les conditions
sociales n'avaient pas changé. Les hommes étaient toujours divisés
en quatre classes séparées complètement, et placés dans la vie
avec une inégalité monstrueuse. Aux derniers degrés de la société,
on trouvait toujours ce bétail servile abruti par quinze siècles
d'esclavage et qui ne concevait pas d'autre existence que de
naître, travailler et mourir pour le seigneur. Ces malheureux
formaient deux groupes, on pourrait presque dire deux espèces,
où la servitude allait se graduant ainsi les serfs de corps
appartenaient au seigneur, qui pouvait les vendre, les donner,
les échanger contre tout objet mercantile, comme bon lui semblait
; ils n'avaient de volonté et d'initiative que la sienne.
Les serfs de corps et de glèbe étaient les anciens mancipia
de Rome, encore attachés au domaine du seigneur et l'arrosant,
de père en fils, de leurs sueurs héréditaires.
Ils ne pouvaient
faire un mouvement ni les uns ni les autres sans se heurter
au joug féodal. S'ils tuaient une vache, le bailli venait chercher
le foie pour le seigneur ; s'ils voulaient couper leurs raisins,
il fallait apporter la première charge et la plus belle au seigneur
; si le seigneur contractait un emprunt, ils devenaient forcément
ses cautions s'il faisait la guerre, ils se battaient pour lui
et à leurs dépens ; s'il était pris, ils le rachetaient. Toutes
les fois qu'il l'exigeait, ils étaient tenus de le suivre en
armes. Toutes les fois que le désœuvrement le poussait hors
de son château, il avait le droit, lui et sa suite, de disposer
de leur logis, de leur pain, de leur vin, de leurs volailles.
Ce qui échappait à la rapacité du seigneur, quand il n'était
ni évêque, ni abbé, ni clerc, l'Église venait le chercher sous
forme de dîme. Les serfs ne vivaient donc dans le labeur et
l'angoisse que pour que le clergé et la noblesse pussent vivre
dans le loisir et l'abondance; or les nobles et les clercs leur
enlevant tout, il ne leur restait que leur dégradation morale
et une affreuse pauvreté. Les masures où croupissaient misérablement
ces populations étiques étaient chaque jour visitées par la
fièvre, la famine et la peste, tandis que, derrière les murs
opulents du château ou de l'abbaye, la santé animait de ses
fraîches couleurs les joues de la châtelaine et fleurissait
l'embonpoint vermeil de l'abbé.
Un philanthrope, couronné
en 1771 par l'Académie d'Amiens, le docteur Maret, donnait,
dans un Mémoire d'une véracité non contestée, le résultat de
ses consciencieuses recherches sur l'état sanitaire de ces temps
néfastes : il y eut dix famines dans le Xème siècle,
vingt-six dans le XIème deux dans le XIIIème.
On déterrait les morts, et l'on mit en vente de la chair humaine.
Quant aux épidémies, on compte treize pestes dans le Xème
siècle, vingt-quatre dans le XIème et deux dans le
XIIème
En face d'une pareille existence, on comprend
que la pensée de l'affranchissement était le rêve passionné
et incessant de toute intelligence que la servitude et la misère
n'avaient pas éteinte. Ces affranchissements devinrent moins
rares à l'époque des croisades, alors que les nobles faisaient
argent de tout pour s'équiper et satisfaire au sentiment belliqueux
qui s'était emparé du monde chrétien. Le taux variait selon
le temps et le pays ; plusieurs documents du XIIème
siècle mentionnent le prix de 250 sols. Mais que de restrictions
à la liberté ainsi obtenue ! On en pourra juger par quelques
extraits des lois somptuaires établissant la ligne de démarcation
non pas entre les serfs et leurs anciens seigneurs, mais entre
les bourgeois enrichis des municipes et les barons.
«
Que nulle femme en ses robes, ni en ses vêtements de laine,
ni sur son chaperon, disaient vers 1274 les consuls de Montauban,
ne porte orfroi, ni argent broché, ni aucune parure d'or, d'argent,
de perles, de soie, ni d'autres pierres précieuses d'hermine,
de loutre, de gris, ni aucun autre ornement cousu ou brodé sur
le drap, mais seulement drap et bordures de peaux ou de sandal.
Qu'elle ne porte chaînes d'argent, ni fermoirs, ni agrafes et
ne fasse faire robe de sandal, de pourpre, de samit, de drap
d'or ou de soie. On autorise toutefois lesdites femmes à porter
sur leurs mantelets une tresse de soie fine du prix de 5 sols
tournois et des cordons également de soie, mais sans or ni argent
sur leurs robes. »

Tous les détails de la vie étaient
réglés avec une tyrannie aussi minutieuse « Que nulle dame
ni autre femme de la ville ou de son territoire ne fréquente
sa voisine, à moins qu'elle ne soit sa parente au second degré,
sa cousine germaine, celle de son mari, ou plus proche encore,
ou bien sa commère; et que ces fréquentations ne puissent avoir
lieu que le dimanche, et non un autre jour de la semaine. Sont
exceptées toutefois les baladines et femmes de mauvaise vie.
Une amende de 5 sols frappera celles qui iraient à l'encontre.
»
«Que nulle dame ou autre femme ne s'avise d'inviter
à des noces ou à quelque sorte de festin que ce soit plus de
quatre personnes. Sont exceptées les baladines ou femmes de
mauvaise vie.»
« Que nul homme ni aucune femme ne
fasse ni ne présume faire invitation et repas, sous prétexte
de fiançailles et de noces, avant d'aller à l'église. »
« Que nul homme ou aucune femme n'aille courir les rues avec
une fiancée. »
Les consuls et magistrats municipaux avaient
profité des leçons de la féodalité; les amendes remplaçaient
les droits seigneuriaux.
Tout homme ou femme qui entrait
de jour dans le jardin, vigne ou pré d'un autre sans sa permission,
était puni d'une amende de 12 deniers.
Le même délit était
taxé à 1 denier tournois pour une bête grosse, et à une obole
pour brebis, chèvres ou chevreaux.
Les maraudeurs surpris
la nuit dans les vignes et jardins encouraient la peine de 20
sols d'amende, et les marchands qui vendaient à faux poids celle
de 60.
Les bouchers ne pouvaient mettre en vente que de
la viande bonne et saine au jugement des consuls. Il ne leur
était permis de gagner qu'un denier par sol, sous peine de 60
sols d'amende et de punition corporelle si la viande semblait
mauvaise. Il était expressément défendu de vendre un objet avant
qu'il eût paru sur la place publique.
Les testaments écrits
ou faits verbalement devant des témoins dignes de foi étaient
valables, pourvu que les enfants ne fussent pas fraudés, bien
qu'on n'eût pas suivi d'ailleurs les formes du droit.
Si
quelqu'un épousait une femme apportant 1 000 sols pour dot,
le mari lui en assurait 500 à titre de donation nuptiale. Si
la femme mourait avant lui, il conservait la jouissance de cette
dot sa vie durant, et la dot, après son décès, revenait aux
héritiers de la femme. Que si, au contraire, celle-ci survivait
à son mari, elle recouvrait sa dot. Cette législation, équitable
en apparence, entrainait malheureusement des contestations fréquentes
et coûteuses. Les paroles grosses ou contumélieuses
coûtaient à ceux qui les avaient proférées 24 deniers : 12 pour
le délit, et 12 pour la criée de la peine.
On payait pour
avoir tiré malicieusement l'épée contre quelqu'un, même sans
le frapper, 20 sols d'amende, 30 sols s'il était blessé et que
le sang coulât, 60 s'il perdait un membre, plus les dommages-intérêts.
L'homicide, outre la peine capitale, entraînait la confiscation
de tous les biens du coupable.
Les adultères surpris en flagrant
délit et nus, par un ou deux consuls ou par deux habitants dignes
de foi, devaient courir nus par la ville, ou payer 100 sols
d'amende. Ne sommes-nous pas tentés de voir aujourd'hui une
cruelle ironie dans la formule qui accompagnait ces réglementations
: « Tous ceux qui viennent demeurer dans la ville libre sont
libres »
Le nouveau comte de Toulouse, Alphonse, ne se
montra que rarement avec Jeanne, son épouse, dans ses nouveaux
États, qu'il gouverna la plupart du temps du château de Vincennes.
Tous deux moururent en 1271, au retour de la croisade de Tunis.
Philippe le Hardi, leur héritier, réunit le Languedoc à la couronne
de France. Aux deux sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne
créées par saint Louis Philippe en ajouta quatre pour le Toulousain,
la Provence, le Rouergue et le Quercy. L'administration royale,
en prenant possession du Languedoc, trouva encore ce pays dans
une situation prospère. Les juifs y' avaient toujours joui d'une
protection souvent condamnée par l'Église, mais très favorable
au commerce. La bourgeoisie y était riche, puissante et presque
l'égale de la noblesse. Elle se réunissait souvent en assemblées
qui furent le germe des états de Languedoc, plus tard si utiles
à la province.

On en fait remonter la première origine
au Xème siècle. On cite une assemblée des principaux
Toulousains (optimatès Tolosæ), convoquée en 1114 par
Louis le Gros, puis celle que Simon de Montfort réunit à Pamiers
en 1212.
Louis IX régla le mode des assemblées pour la sénéchaussée
de Beaucaire en 1269 et 1271, on en voit à Carcassonne et à
Béziers, où la noblesse et le clergé se réunissent avec les
bourgeois représentés par deux consuls de chacune des principales
villes.
Enfin, en 1303 ; Philippe le Bel vient à Toulouse
réunir toutes ces assemblées particulières en véritables états
généraux de la province. Le tiers état envoyait deux députés
élus par chaque ville de trois cents feux et au-dessus. L'archevêque
d'Auch présida la première assemblée plus tard en 1630, l'archevêque
de Narbonne fut président de droit comme primat du Languedoc.
Ces états, qui d'abord n'eurent pas de lieu de réunion déterminé,
adoptèrent par la suite Montpellier. Leur principal objet était
le vote des impôts, dont la répartition se faisait ensuite par
les assemblées de diocèse appelées pour cette raison assiettes.
Quoiqu'il eût fort à souffrir de l'invasion du prince de
Galles en 1366, des ravages des grandes compagnies et de l'administration
désastreuse des ducs d'Anjou et de Berry, frères de Charles
V, le Languedoc fut cependant moins malheureux au XIVème
siècle que le nord de la France. Il jouit ensuite du repos jusqu'à
l'époque des guerres de religion. Il eut alors pour gouverneur
Henri de Montmorency Damville, qui jusqu'après la Saint-Barthélemy
se montra l'adversaire acharné et implacable des protestants.
Trahi alors par la cour qu'il servait si bien, il transigea
avec les calvinistes, se fit le chef du tiers parti, et acquit
dans la province une influence considérable. En 1579, il se
rapprocha de la cour, qui le nomma maréchal, et combattit pour
son prédécesseur Joyeuse, devenu le chef de la Ligue dans le
Midi. Vingt ans après, il se rallia à Henri IV, qui le nomma
connétable, et Joyeuse ayant fait aussi sa soumission, la province
jouit en paix des résultats de l'édit de Nantes. Cette paix
fut troublée sous Louis XIII par les tentatives du duc de Rohan
en 1621, puis, en 1632, par celle de Henri Il de Montmorency,
qui, profitant de l'ascendant dont il jouissait par sa famille
et par son titre de gouverneur dans le Languedoc, prétendit
le faire soulever, et fut lui-même vaincu à Castelnaudary et
mis à mort.
Richelieu supprima dans cette province les gouverneurs
militaires trop dangereux, et mit à la place des intendants.
Deux généralités furent établies celle du haut Languedoc à Toulouse,
celle du bas Languedoc à Montpellier. Louis XIV rétablit ce
gouvernement, mais le divisa en trois lieutenances générales.
Sauf la révolte des camisards et les terribles exécutions ordonnées
par Louis XIV, et qui troublèrent moins le Languedoc tout entier
que les Cévennes et le pays de Nîmes.
le Languedoc n'éprouva
plus, d'autres secousses au XVIIème siècle, et le
magnifique canal creusé par Riquet dota la province de nouveaux
débouchés en faisant communiquer les deux mers étonnées,
pour employer le langage de Boileau.

Néanmoins les guerres interminables et
les impôts accablants l'avaient réduite à la misère quand mourut
Louis XIV.
Ce fut particulièrement par les soins intelligents
des états de Languedoc que cette belle province se releva au
XVIIIème siècle. On vit peu d'états provinciaux dans
ce siècle, comme dans le précédent, aussi éclairés, aussi habiles
à stimuler l'industrie et le commerce par des encouragements
sagement distribués. Ils ne faisaient que se rendre justice
lorsque, en 1780, dans un mémoire présenté au roi, répondant
aux reproches faits à leur administration, ils disaient que,
si les provinces voisines de la capitale profitaient des progrès
qui s'y faisaient et des connaissances qui s'y développaient,
il n'en était pas de même des provinces éloignées, auxquelles
Paris « ne rend pas ce qu'il en reçoit » que ces provinces
étaient obligées, par conséquent, « de trouver en elles-mêmes
leur force et leur appui » et qu'enfin c'était aux encouragements
des états que le Languedoc devait son beau commerce des draps
du Levant, « enlevé à l'industrie anglaise, et qui ne connaît
plus d'ennemis que les gênes intérieures qu'on lui oppose, »
ses nombreuses, plantations de mûriers « dans un pays où
il a fallu leur former un terrain et porter à bras d'hommes
sur des pics escarpés le sol sur lequel ils devaient naître;
» ses filatures de laine, de soie, de coton, ses belles
teintures rouges, l'exploitation de ses mines de charbon de
terre,« que la rareté du bois rend si précieux, » l'emploi
de ce minéral aux verreries, aux eaux-de-vie, aux huiles
« et bientôt à la fabrication du fer, si les succès répondent
aux espérances, » etc. « Aussi oseront-ils dire à Sa
Majesté que le moment de leur assemblée offre un spectacle intéressant
par l'empressement avec lequel chaque citoyen vient leur faire
part de ses découvertes et de ses projets. Il n'y a presque
point d'année où quelque chose d'utile ne soit proposé. »
II faut ajouter toutefois qu'à la fin de leur existence
à l'époque de la Révolution, les états de Languedoc, dominés
par le clergé, changèrent de caractère, et on les accusa de
dégénérer en théocratie. Au reste, ils disparurent alors avec
toutes les anciennes institutions. Le Languedoc fut alors partagé
en huit départements Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Aude,
Hérault, Gard, Lozère, Ardèche. Pendant la Révolution, le département
de la Haute-Garonne n'eut heureusement que peu de désordres
à déplorer ; Toulouse, comme toutes les grandes villes de France,
paya néanmoins sa dette de sang à la Terreur ; plus tard vinrent
les campagnes d'Espagne, qui donnèrent une certaine animation
aux diverses industries d'approvisionnement du pays. En 1814,
l'armée anglaise vint sous les murs de Toulouse se heurter contre
les légions aguerries du maréchal Soult, duc de Dalmatie. Après
la désastreuse journée de Waterloo, le général Hamel qui, pendant
les Cent jours, chargé du commandement militaire avait rempli
ses fonctions avec une grande sagesse, ne put trouver grâce
devant le fanatisme politique de quelques Toulousains. Les verdets,
tel était le nom que prirent les plus exaltés royalistes, excitèrent
cette populace que l'on rencontre dans toutes les grandes villes,
et dont les mauvaises passions sont toujours si faciles à émouvoir
; elle se porta menaçante et exaltée, en traînée par une furieuse
farandole jusque sous les fenêtres de l'hôtel habité par l'infortuné
général, qui fut impitoyablement massacré. Cependant la Restauration
et la monarchie de Juillet furent des époques de calme et de
prospérité pour les habitants de la Haute-Garonne, que vint
seulement émouvoir un instant la révolution de 1848.
Depuis,
ces jours d'une heureuse activité que l'on consacre entièrement
aux travaux de l'agriculture et de l'industrie sont revenus,
et ces derniers ont reçu une nouvelle impulsion de la ligne
du chemin de fer qui, rivalisant avec le canal du Midi, contribue
aujourd'hui à l'échange des produits commerciaux des deux mers
contre ceux des Pyrénées.
Toulouse


Dès la moitié du IIIème siècle
av. J.-C., bien avant l'installation romaine, le Languedoc occidental
est occupé par une confédération de peuples gaulois, les Volsques
Tectosages, parmi lesquels un peuple, celui des Tolosates, occupe
les environs de Toulouse. Au IIème siècle av. J.-C.,
une vaste agglomération, Tolosa, est constituée et devient le
siège de la capitale des Volques Tectosages. Les Tolosates entretiennent
des liens commerciaux avec l'Espagne et l'Italie et le reste
de la Gaule par l'échange de vin, de blé et de métaux.
D'abord
alliés de Rome, les Volsques Tectosages se révoltent et sont
défaits par les Romains en 107 av. J.-C., et Toulouse (Tolosa
en latin) devient romaine. La ville protohistorique est alors
un important centre administratif et militaire de la province
Narbonnaise. Sous Auguste, vers la fin du Ier siècle
av. J.-C., une ville nouvelle est établie à l'emplacement du
centre historique actuel de Toulouse. Les Gallo-Romains, comme
en d'autres grandes villes, édifient des aqueducs ainsi que
de nombreux bâtiments maintenant détruits pour un grand nombre
d'entre eux : un théâtre, un amphithéâtre de 14 000 places encore
visible dans le quartier Purpan-Ancely, des thermes et plusieurs
temples. Dès l'an 30, ils entourent la ville d'un grand mur
d'enceinte fait de briques dont des pans sont encore debout
de nos jours. En 250, Toulouse est marquée par le supplice de
Saturnin de Toulouse qui deviendra saint-Sernin.

Cet épisode marque l'apparition d'un
culte minoritaire dans le Haut-Empire. Le IIIème
siècle et IVème siècle est prospère et la ville grandit.
La première basilique Saint-Sernin est construite en 403 avec
l'essor du christianisme dans la région. La brique est largement
utilisée comme matériau de construction. En 413, les Wisigoths
envahissent la ville et choisissent Toulouse comme capitale
de leur royaume. Ayant une culture et une religion différente,
les Gallo-romains et les Wisigoths se côtoient à Toulouse sans
se mélanger jusqu'en 508 lorsque Clovis prend la ville, après
avoir vaincu les Wisigoths à la bataille de Vouillé. Les Francs
ne restent cependant pas à Toulouse et la ville, maintenant
coupée de la Méditerranée, perd de son influence. Elle sert
surtout de place-forte face à la Septimanie à l'est et la péninsule
ibérique au sud, détenus par les Wisigoths. Elle reprend néanmoins
son indépendance pour former en 629 l'éphémère Royaume de Toulouse
puis devient aux VIIème et VIIIème siècles
la capitale d'un grand duché dont les frontières vont des Pyrénées
à la Loire, et de Rodez à l'Océan. En 721, la ville est assiégée
par l'armée arabe, qui est finalement défaite lors de la bataille
de Toulouse le 9 juin 721, signant la fin de sa progression
vers le nord. Au Moyen Âge, la ville reste longtemps indépendante.
Les comtes de Toulouse étendent leur domaine sur la plus grande
partie du Midi de la France.
Le christianisme s'impose à
Toulouse et de nombreuses églises sont construites.


En 1096, le pape Urbain II se rend à
Toulouse pour consacrer la basilique Saint-Sernin. La cathédrale
Saint-Étienne est édifiée au XIIIème siècle. En 1152,
un conseil commun de la Cité et des Faubourgs est mis en place
par le comte. C'est le « capitoulat » formé de douze capitouls
qui assurent dans un premier temps un rôle judiciaire. Puis
ils acquièrent du pouvoir en rendant des ordonnances, percevant
des taxes, levant une milice et assurant l'ordre et la justice
dans la ville. En 1190, ils acquièrent une maison commune contre
les remparts à proximité de la porte nord, qui deviendra le
Capitole, aujourd'hui symbole de la ville. Cette période permet
l'instauration de nombreuses libertés municipales. À la suite
de la révolte du 6 janvier 1189, le Comte ne conserve plus que
le pouvoir de battre la monnaie, et de lever des troupes en
cas de menace extérieure. À la même époque, le catharisme se
développe et provoque en 1209, le lancement de la croisade des
Albigeois. Malgré une victoire occitane, qui se dessina après
bien des vicissitudes, celle-ci ruine le comté de Toulouse et
provoque sa chute avec la signature du traité de Paris le 12
avril 1229. L'université de Toulouse est fondée la même année.
En 1271, le comté est intégré au domaine royal français et devient
le Languedoc. C'est précisément pour contrer l'influence de
"l'hérésie cathare", particulièrement vive dans la région, que
Dominique de Guzmán fonde à Toulouse, en 1215, l'Ordre des frères
prêcheurs (aussi appelés Dominicains). En 1365, le pape Urbain
V attribue aux dominicains de Toulouse les reliques du philosophe
et théologien saint Thomas d'Aquin, dominicain célèbre, vraisemblablement
pour dédommager la ville qui fut le berceau de l'ordre de n'avoir
pu obtenir celles de saint Dominique lui-même.

Au XIVème siècle, la ville
prospère grâce au commerce et devient la quatrième ville du
royaume de France. Mais, en 1348, la ville est touchée par la
peste noire qui reviendra en 1361 puis au XVème siècle.
Elle doit aussi assurer l'effort de la guerre de Cent Ans et
subir le brigandage. Les faubourgs sont détruits et la ville
se replie derrière ses fortifications.
Durant la Renaissance,
de la fin du XVème siècle au XVIème siècle,
Toulouse connait une période de grande prospérité, grâce à l'industrie
du pastel. C'est l'époque de construction de grands hôtels particuliers
comme l'hôtel de Bernuy ou l'hôtel d'Assézat. La ville prospère
et s'agrandit malgré le Grand incendie de Toulouse du 7 mai
1463 qui détruit les trois quarts de la cité et ruine plusieurs
églises, couvents et autres édifices publics. Le 23 décembre
1468, par ses lettres patentes, le roi Louis XI ordonne le rétablissement
du Parlement et de la Cour des aides à Toulouse, transférés
auparavant à Montpellier. Toulouse est la quatrième ville de
France à accueillir l'imprimerie, en 1476. En 1560, les protestants
et les catholiques s'affrontent dans de sanglants combats. Au
XVIIème siècle, le catholicisme triomphe. Les églises
sont très fréquentées et de nombreux couvents s'installent en
ville. Le parti pro catholique s'oppose au pouvoir central,
en particulier lors de la révolte du gouverneur du Languedoc
Henri II de Montmorency exécuté en 1632 place du Capitole. Deux
symboles de la ville, le Pont-Neuf et le canal du Midi, sont
réalisés respectivement en 1632 et en 1682.

Le Capitole est reconstruit, quant à lui, au XVIIIème siècle. Toulouse entre dans la Révolution sans grand heurt. Seuls quelques pillages et quelques attaques de châteaux se produisent, le pouvoir du Parlement est respecté car il fait vivre la ville. Des conflits éclatent lorsque la suppression des provinces et des Parlements et la réforme ecclésiastique sont déclarées en 1790 et 1791. La ville est privée de son rang de capitale régionale et devient le chef-lieu de la Haute-Garonne. Les jacobins parviennent à la maintenir hors de la révolte fédéraliste (ce qui est déterminant pour éviter la jonction entre l'Ouest et le Sud Est). De même, en 1799, les républicains parviennent à faire échouer une révolte populaire dont le motif principal est le refus du service militaire obligatoire et le rejet de la politique répressive du Directoire vis-à-vis des prêtres.
Saint Gaudens


Dans l'antiquité, une voie romaine reliant Toulouse à Dax passe à proximité du site actuel de la ville, où se trouve un domaine rural appelé Mansus. Le nom change lors de la christianisation, et devient Mas-Saint-Pierre. En 475 le lieu accueille la sépulture d'un martyr : Gaudens, jeune garçon décapité par les Wisigoths. Une communauté religieuse se crée alors en son nom. Une église et un monastère sont construits vers le VIIIème siècle, les religieux suivant les règles de vie de saint Chrodegang. Le bourg prend son nom actuel au IXème siècle, en raison du culte qui s'est développé autour du martyr, et au moment où ses reliques sont déposées en l'église du Mas-Saint-Pierre. Au XIème siècle, la communauté religieuse se donne le statut de chapitre collégial. L'église est reconstruite à cette époque, en s'inspirant de la Basilique Saint-Sernin de Toulouse et elle devient une collégiale. En 1160, l'hôpital des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem est créé. Une charte de coutumes est accordée par Bernard IV, comte de Comminges aux habitants en 1202 (elle sera confirmée en 1345). En 1212 puis en 1216, la ville accueille les croisés de Simon IV de Montfort. Le XIIIème siècle est une période où la cité devient une place marchande. L'absence de fortifications se fait sentir et des défenses sont érigées (sous la forme de murailles et de fossés, avec deux portes). Le pape Clément V, ancien évêque du Comminges, rend visite à la ville le 13 janvier 1309 et reconnaît dans une bulle du 20 janvier le caractère authentique des reliques, tout en accordant de nombreuses indulgences pour encourager les pèlerinages au sanctuaire. Le XIVème et le XVème siècle sont marqués par une crise économique assez profonde en raison de guerres (guerre civile, guerre étrangère). La ville subit ensuite les outrages dus aux guerres de religion, malgré les travaux entrepris pour compléter ses défenses au XVIème siècle (une seconde enceinte munie de cinq portes est construite suite à la croissance des faubourgs hors les murs) : le 2 aout 1569, la ville est prise par les huguenots menés par le comte de Montgommery. Les archives de la ville sont incendiées, l'église et le marché sont saccagés et pillés. Une partie des reliques est cependant sauvée en étant mise à l'abri dans une église voisine. L'arrivée du maréchal de Matignon permet aux catholiques de reprendre la ville peu après. Saint-Gaudens est annexée à la France en 1607 par Henri IV. Le 30 août 1661, les reliques du saint reprennent leur place initiale à la collégiale.
Muret :
C'est à Muret, le 12 septembre 1213, qu'eu une bataille où Pierre II d'Aragon mourut. Cette défaite des troupes occitano-aragonaises annonça l'annexion du Languedoc à la couronne de France et la fin du catharisme.
Montmaurin


C'est sur le territoire de cette commune
de la Haute Garonne, dans le Comminges qu'est située l'une des
plus vaste villa Romaine de la Gaule Aquitaine. Construite au
environs du IIème siècle, elle occupe une surface
de 18 ha et comporte plus de 200 pièces. Composé d'une cour
d'honneur en hémicycle bordée d'un portique, avec un sanctuaire
de tradition gauloise et une grande cour intérieur de 600 m²
entourée d'un péristyle, sur laquelle s'ouvrent les pièces de
réception. Une troisième cour donne accès aux appartements privés.
Des termes complète l'ensemble. Le domaine qui contrôlait plusieurs
milliers d'hectares employait plus de 500 ouvriers et esclaves.
Cette ensemble exceptionnel a été construit pendant la Pax
Romana et a été occupé jusqu'au VIème siècle.
Ses dimensions et son luxe illustrent la prospérité économique
exceptionnelle que connut le Sud-Ouest de la Gaule entre le
IVème et le VIème siècle.