Arras - Préfecture du Pas de Calais
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au DépartementArras (Atrebas), n'existait pas du temps
des Romains. Nemetacum où César prit ses quartiers d'hiver, n'était
pas Arras, mais un lieu voisin. C'est saint Jérôme qui en fait mention
pour la première fois au IVème siècle, la désigne comme
une des premières victimes des barbares.
Tel avait été le progrès
rapide de cette ville fondée sous la domination romaine, que les
étoffes qu'on y fabriquait jouissaient déjà d'une grande réputation.
Gallien, la perdant par suite d'une insurrection, n'en parut pas
plus affligé que s'il eût perdu une fabrique de tapis «Eh la république
ne peut-elle se passer des laines des Atrebates ? » Ce n'était pas
des laines des Atrebates qu'il s'agissait il s'agissait du salut
de l'empire, ébranlé au dedans, assailli au dehors ; il s'agissait
d'une grande cité, l'un des boulevards de cet empire il s'agissait
des barbares et d'Attila, qui, en 451, à son retour des Champs catalauniques,
vint venger sur la malheureuse Arras sa défaite irréparable.
Sous la domination des Francs, Arras sortit de ses ruines. Elle
dut cette renaissance au patronage d'un saint homme, d'un pieux
évêque, compagnon de saint Remi, et qui a bien mérité par-là les
honneurs que cette cité lui a toujours rendus depuis.
Saint Waast
eut le don des miracles une fois entre autres, il fit fuir, dit-on,
par sa seule présence un ours qui rendait la ville inabordable.
Assurément, c'est chose vulgaire au moyen âge que les légendes,
et il est peu de villes qui n'aient la leur ou les leurs : Pourtant
Arras fut une des plus riches en ce genre et des plus attachées
ses miraculeuses traditions. Sa légende de la fameuse manne d'Arras
n'est-elle pas un emblème de cette industrie de la laine qui lui
avait donné sous l'empire romain une si brillante prospérité, et
qui, au moyen âge, devint l'apanage de la Flandre ? C'est seulement,
du reste, au XIIIème siècle que s'établit le culte de
la sainte manne. On racontait qu'en 370, saint Diogène, premier
apôtre du pays, avait rempli un boisseau d'une laine tombée du ciel,
et quoique l'incendie eût souvent dévoré l'église où ce vénérable
objet avait été déposé, jamais les flammes n'avaient osé l'atteindre.
Aussi merveilleuse est l'histoire du saint cierge que la Vierge
apporta aux habitants lorsqu'elle fit cesser le mal des ardents
qui les dévorait ; cela se passait en 1105, et quoique, depuis ce
temps, on l'eût allumé chaque année pendant plus de deux heures,
le cierge miraculeux n'avait pas diminué d'un pouce en 1785, selon
le chanoine Humbert.
Heureux pays que celui de la légende, où
l'esprit est bercé sur l'aile de la fantaisie ! Plus rude est la
réalité. Entre 880 et 890, nos Atrebates furent chassés de leurs
foyers par les Northmans, ou Normands, dévastateurs et pour la seconde
fois leur ville fut détruite. Mais comme Énée fugitif emportait
ses dieux, ils emportèrent pieusement à Beauvais les reliques de
leurs saints. Cette piété fut récompensée. Ils rapportèrent bientôt
en triomphe les os de saint Waast, rebâtirent leurs maisons, ranimèrent
leur industrie, relevèrent leur prospérité antique. Depuis le VIIème
siècle, Arras n'était plus un évêché ; ce titre avait été transporté
à Cambrai. Sur la demande pressante des habitants, Urbain II le
lui rendit en, 1093. De l'évêque et du roi de France conjointement
relevait lacité ; la ville, au contraire, appartenait à l'abbé de
Saint-Waast et au comte de Flandre.
Souvent plusieurs maîtres
valent mieux qu'un seul. Tandis qu'ils se querellent entre eux,
les sujets respirent. C'est ce qui arriva. Les quatre seigneurs
d'Arras s'entendaient rarement. Il y eut surtout vers le milieu
du XIIème siècle, entre le comte Philippe d'Alsace et
l'abbé de Saint-Waast, une querelle fort grave relativement à la
tête de saint Jacques, que Childebert 1er, revenant d'Espagne avait
disait-on, rapportée, et que l'abbé disputait au comte. Déposée
primitivement dans l'abbaye de Saint-Waast, elle avait été transportée
à l'abbaye de Berclau. L'abbé de Saint-Waast l'y alla chercher et,
non sans quelques violences, la rappportait processionnellement
au milieu de tout son clergé, lorsque le comte de Flandre interrompit
le cortège par une irruption de ses hommes d'armes qui reprirent
la sainte tête. En fin de compte, pour terminer le débat, on scia
en deux sur le maître-autel de la cathédrale le crâne de saint Jacques,
et chacun des compétiteurs en eut sa part.
Des rivalités de ce
genre, ou bien relatives aux impôts ou encore à la juridiction,
étaient tout au profit de la commune. Ansi la voyons-nous, dès la
fin du XIIème siècle, en possession d'institutions qui
lui garantissaient véritablement une grande liberté : 24 prud’hommes
élus par tous les citoyens et chargés de représenter le corps municipal
parmi les prud'hommes, 12 échevins ayant voix délibérative dans
le conseil d'administration et chargés de la justice criminelle.
Le roi avait bien là son prévôt mais encore les bourgeois avaient-ils
réussi à l'envoyer résider à Beauquesne, et il ne pouvait arrêter
aucun citoyen d'Arras sans être accompagné d'un échevin. Quant aux
redevances, elles se bornaient principalement au tonlieu, levé sur
le commerce des étrangers dans la ville.
Philippe-Auguste, lorsqu'il
épousa la fille du comte de Flandre et devint maître de l'Artois,
jura de respecter ces privilèges et même les accrut encore, par
exemple par l'exemption pour l'église d'Arras de fournir son contingent
quand le roi rassemblerait une armée, il ne conserva que le droit
de giste, qui obligeait l'évêque à lui faire accueil et à l'héberger
convenablement avec sa suite, mais seulement une fois l'an.
Cet
esprit de liberté qui anime Arras, comme toutes les villes du Nord,
comme la Flandre, se retrouve à chaque instant. Tantôt nos Arrageois
sont en guerre avec les gentilshommes du pays qui, donnant le service
militaire, veulent être exempts de tout impôt. Tantôt, dans les
états de la province en 1356, après la bataille de Poitiers, ils
réclament que les trois ordres votent ensemble et concourent tous
également à payer l'impôt que le dauphin leur demande pour la délivrance
du roi. Ils promettent 14 000 livres, mais à titre de composition
et de rachat des droits que le roi percevait sur le vin et sur quelques
autres denrées. Oh qu'ils entendent bien leurs intérêts, nos gens
du Nord ! Et qu'ils sont hardis et peu gênés pour les faire valoir.
Hardis devant le souverain, hardis dans leurs mœurs, cyniques même
; et comment parler d'eux sans songer à la kermesse de Rubens ?
En 1015, la comtesse de Flandre, Ogine de Luxembourg, femme de Baudoin
IV, devient enceinte à cinquante ans pour la première fois ; il
y a dans cette fécondité tardive je ne sais quoi d'irrégulier qui
semble réclamer un certain mystère et le demi-jour de la pudeur.
Mais le duc Baudoin IV, tout fier pour sa femme et peut-être aussi
pour lui-même, veut que le fait soit bien constaté. Quelques témoins
suffiraient. Mais lui veut que toute la Flandre soit témoin. Accourez
toutes, dames de Flandre, venez voir le premier enfantement de cette
jeune mère de cinquante ans, il y a place la tente a 100 pieds carrés,
au beau milieu du marché d'Arras. Quand le spectacle fut fini, une
pyramide de 45 pieds en perpétua le souvenir et attesta, jusqu'en
1701,que la comtesse Ogine était devenue mère quand les autres femmes
cessent de l'être.
Nous parlions de kermesses mais les voici
venir en personne avec la domination bourguignonne. Quand Jean sans
Peur entra dans Arras et renouvela aux habitants le serment de respecter
leurs privilèges, prêté déjà en 1385 par son père Philippe le Bon,
que lui offrirent, pendant le repas, le mayeur autrement dit le
maire et les échevins ? Deux pots, deux bassins, Une coupe et une
aiguière, le tout en vermeil ; au chancelier de Bourgogne, quatre
gobelets en vermeil. Le gobelet, la marmite, voilà des objets que
l'on devrait voir dans les armes de la cité d'Arras. On y voit trois
rats ; pourquoi ? Est-ce en qualité de Rongeurs ? Elle réussit très
bien, la maison de Bourgogne, chez nos hommes du Nord. Elle sut
les prendre par le bon côté, Philippe le Hardi favorisa vivement
l'industrie des tapisseries d'Arras, qui devaient à la garance,
fort cultivée dans les environs, et aux eaux du Crinchon, qui passe
dans la ville, un grand éclat de couleurs. Jean de Nevers, fait
prisonnier à Nicopolis et mis en liberté par le sultan, lui envoya
une belle tapisserie d'Arras qui représentait une bataille d'Alexandre.
Si ce Jean de Nevers, devenu Jean sans Peur et duc de Bourgogne,
fut un sombre personnage, quel bon vivant fut son successeur, ce
Philippe le Bon, ce fondateur de l'ordre de la Toison d'or. Aussi,
quand il vint, en 1421, prêter le serment dans Arras, les fêtes,
banquets, bals, tournois se succédèrent pendant longtemps. Les documents
qui nous ont transmis tout cela nous montrent qu'une population
bien plus nombreuse que celle d'aujourd'hui se pressait dans Arras,
et que les prostituées y avaient leurs quartiers. Non, n'allez pas
chercher la pudeur au moyen âge dans ces grosses villes du Nord.
De bons vivants devraient toujours être bons mais il y en a plusieurs
espèces ceux-là sont doux, tolérants, qui usent avec une certaine
modération des plaisirs de la vie mais ceux qui les épuisent avec
frénésie sont extrêmes en général dans toutes leurs autres passions,
comme dans celle-là. Emportés, impérieux, nos communier du Nord
n'entendaient pas plus tolérer l'indépendance que supporter l'oppression.
En 1420, l'évêque d'Arras, Martin Porée, qui avait fait l'apologie
du meurtre du duc d'Orléans, fit brûler sept malheureux qui sentaient
l'hérésie. En 1450, cet excellent Philippe le Bon, grand ami des
inquisiteurs dominicains, établit à Arras une chambre ardente pour
rechercher les Vaudois. Savez-vous bien ce que faisaient ces Vaudois
? Dans les bois de Moflaine, autour des Hautes-Fontaines, lieux
hantés de tout temps par les mauvais esprits, ils se réunissaient
dans le mystère de la nuit, là, ils comparaissaient devant le diable
sous forme de bouc à queue de singe, crachaient sur la croix et
cohabitaient charnellement ensemble dans un infernal sabbat. D'une
hostie consacrée et pilée avec des crapauds, du sang d'enfants et
des os de pendus, ils formaient un onguent sacrilège, en enduisaient
un bâton et, montant à cheval sur ce diabolique instrument, se trouvaient
transportés par les airs au-delà des bois, des des campagnes. Plusieurs
de ces Vaudois furent brûlés, Mais on les dédommagea bien en 1491,
car le parlement de Paris les déclara alors innocents et défendit
à l'évêque d'Arras et aux inquisiteurs de la foi « de user, d'ores
en avant, de gènes, questions, tortures inhumaines et cruelles,
comme du chapelet, mettre le feu aux plantes des pieds, faire avaler
huile et vinaigre, battre le ventre, etc. » Fidèle à la maison de
Bourgogne, durant la guerre de Cent ans, Arras soutint, en 1414,
un siège contre Charles VI avec une courageuse opiniâtreté. Mais,
par suite du traité qui fut alors conclu, les clefs en furent rendues
au roi. En 1435, elle eut l'honneur de voir se réunir dans ses murs
une des plus grandes assemblées européennes qui eussent encore eu
lieu. Pour rétablir la paix entre la France et l'Angleterre, tous
les souverains de l'Europe, ou peu s'en faut, envoyèrent des ambassadeurs
le pape, le concile de Bâle, les rois d'Angleterre, de Hongrie,
de Bohême ; l'empereur, le roi et les grands vassaux de France,
les villes de Flandre, du Brabant, de Hollande ; deux cardinaux
présidaient. Les échevins firen t préparer 10 000 logements, c'était
merveille de voir la décoration de l'hôtel du Grand-Léopard, et
les belles processions, et l'appareil de fête déployé dans toutes
les rues. Tout le monde sait à quoi aboutirent les conférences :
à rien. Les Anglais ne voulaient pas démordre de leurs prétentions
à la couronne de France ; Charles VII, avec la meilleure volonté,
ne pouvait en passer par là. Le congrès eut cependant, par ricochet,
un heureux résultat. Le duc Philippe trouva enfin que les Anglais
n'étaient pas raisonnables, et c'est encore dans Arras que fut conclue,
le 21 septembre 1435, la paix fameuse qui le fit rentrer dans le
parti français. Arras fut dans la joie, et des fontaines versèrent
le vin dans ses carrefours un mercredi des Quatre-Temps.
Hélas
ce XVème siècle, qui vit, dans sa première moitié, Arras
si brillante et si joyeuse, la vit à la fin bien triste et bien
déchue. L'arbre qui l'abritait a été tranché par la hache. La maison
de Bourgogne est brisée sous la froide main de fer de Louis XI.
Oh! N'espérez point de pardon de cet impitoyable politique. En vain,
la ville lui ouvre ses portes : il n'oublie pas le passé, il voit,
il sent qu'elle lui est hostile, il apprend qu'elle correspond encore
avec la jeune duchesse Marie. Les ambassadeurs sont invités à un
banquet : au milieu du repas, les portes s'ouvrent, c'est Olivier
le Daim, quatorze convives passent de la table à l'échafaud. Aussitôt
Arras s'émeut, la bancloque est mise en mouvement, on crie « Vive
Bourgogne! » On s'arme, on écrit sur les murs « Quand les souris
prendront les chats Le roi sera seigneur d'Arras. »
Mais un canon
terrible de l'artillerie royale, le Chien d’Orléans, mordait à belles
dents dans la muraille qui fut bientôt renversée. Arras fut prise,
ses habitants chassés et dispersés dans Paris, Tours et Rouen à
leur place, on en appela de nouveaux de divers pays, et le nom de
la ville fut changé en celui de Franchise ; mais ni ce nom ni cette
population factice ne durèrent au-delà de Louis XI.
Arras passa,
en 1492, sous la domination de Maximilien, héritier de Marie, qui,
confirmé dans cette possession par le traité de Senlis signé 23
mai 1493), y prêta le serment d'hommage au chancelier du roi de
France. Plus tard, Charles-Quint y vint et lui fut très favorable.
A la fin de ce siècle, elle fut assez troublée par le retentissement
des guerres civiles des Pays-Bas, et le parti anti espagnol y prit
de l'importance. Pourtant la ville demeura sous la même domination,
même au temps de Henri IV, qui fit une tentative vaine pour la reprendre,
et ne rentra sous les lois de la France qu'en 1640, après le siège
mémorable qu'elle soutint contre le maréchal de La Meilleraye. En
1654, Turenne et Condé se rencontrèrent sous ses murs. En 1667,
Louis XIV y vint en personne et se montra fort dévot à la sainte
manne et au saint cierge. Derrière lui suivit Vauban qui, pour son
coup d'essai, fit d'Arras une des fortes places de cette ceinture
redoutable dont s'entoura alors la France.
Englobée dans la grande
monarchie française, Arras sommeilla sa population, dit-on, diminua
considérablement.
Plus tard, à l'époque la plus agitée de notre
histoire, l'ardente commune du moyen âge se réveilla rendue à ses
instincts révolutionnaires, elle envoya à la Convention les deux
Robespierre et Joseph Lebon, le sanglant proconsul qui fit monter
tant de victimes sur l'échafaud. Aujourd'hui, Arras, dont la population
est de 41 555 hab habitants, semble répudier complètement sa surabondante
énergie d'autrefois ; ceux qui ont voulu, dans ces derniers temps,
lui parler de Robespierre et de Lebon ont été mal accueillis. Au
lieu des tournois qui duraient huit jours, de simples joutes de
coqs, des concours d'horticulture, d'inoffensives rivalités à propos
d'œillets, tels sont les goûts pacifiques d'Arras, qui ne conserve
plus guère son originalité du passé que dans son bel Hôtel de ville,
bâti en 1510, achevé de nos jours ; les restes de son ancienne abbaye
de Saint-Waast; sa belle Cathédrale du XVIIIèmesiècle,
sa Citadelle bâtie par Vauban, et son patois.
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