Montauban - Préfecture du Tarn et Garonne
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Montauban (Mons Albanus, Auréolus mons) La position si avantageuse qu'occupe Montauban au milieu d'une belle et vaste plaine de 6 kilomètres de largeur sur 20 de longueur, sur les bords du Tarn et à 20 kilomètres environ de l'embouchure de cette rivière dans la Garonne, n'avait pas été négligée par les Romains. Ils y avaient établi une station postale, qu'en raison de sa situation sur les confins du pays des Cadurques et du pays des Tolosates, ils avaient appelée Fines, nom aussi commun dans la Gaule romaine que le fut dans l'Europe féodale le nom de Marche, qui a le même sens. La voie de Toulouse à Cahors passait en ce lieu. Les barbares passèrent, et il ne resta plus rien des constructions romaines. Plus tard, un monastère s'éleva près de la place vide, sur le mont Doré, Mons Auréolus. Dédié d'abord à saint Martin de Tours, il prit ensuite le nom de saint Théodard, archevêque de Narbonne, qui vint y achever ses jours. Tout alentour se groupèrent des habitations qui formèrent le bourg de Montauréol ou Montauriol. Or, en sa qualité de seigneur, l'abbé de Saint Théodard jouissait du fameux droit de prélibation ou de marquette, qui lui donnait les prémices de tous les mariages de ses serfs. Vers 1144, l'abbé Albert usa, dit-on, de ce droit avec si peu de modération que la longanimité des vassaux, si exercée qu'elle fût au moyen âge, se révolta. Ils émigrèrent tous et s'allèrent mettre sous la protection du comte de Toulouse, Alphonse Jourdain. Celui-ci, qui depuis longtemps jalousait les richesses des moines de Saint-Théodard, accueillit les fugitifs à brasouverts et les établit dans le voisinage, en un lieu appelé Mont-Alban, c'est-à-dire mont Blanc ou mont des Saules ; aubes est le nom qu'on donne encore aux saules dans le pays. Telle est la véritable origine de Montauban, quoi qu'en dise la chronique des quatre fils Aymon.
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Le don que fit Alphonse aux serfs de Saint-Théodard ne fut point gratuit. La charte de fondation énumère les nombreuses redevances auxquelles les habitants de la nouvelle ville durent se soumettre. Outre les dispositions financières la charte en contenait d'autres qui déterminaient les amendes dues pour les troubles apportés à la paix publique cinq sous d'amende pour chaque plainte entre particuliers ; trente sous pour effusion de sang ; soixante pour avoir tiré l'épée, et tout ce qu'il plairait au seigneur d'exiger dans le cas de blessure faite avec le fer. Ces conditions si profitables au comte de Toulouse n'étaient pas trop onéreuses pour le temps, puisque Montauban vit arriver de nombreux colons. D'ailleurs, liberté et protection contre toute poursuite étrangère étaient assurées à tous ceux qui viendraient peupler la nouvelle ville, et le comte de Toulouse jura sur les quatre Évangiles que ni lui ni ses successeurs ne la donneraient en fief, ne l'engageraient ni ne l'échangeraient jamais. Et comme Montauban pouvait avoir à redouter les entreprises ou la vengeance des abbés de Saint-Théodard, il fit construire entre la ville et le monastère trois châteaux destinés à la protéger. Une colère de moine s'empara de l'abbé. Il courut Rome et arracha au pape Eugène III des excommunications. Quoique les comtes de Toulouse fussent assez familiers avec les foudres du Saint-Siège, Raymond, successeur d'Alphonse, entra en accommodement, et abandonna, en 1149, à l' abbé de Saint Théodard la moitié de la seigneurie de Montauban. Née sous de tels auspices, pourvue de libertés confiées à la garde de dix capitouls annuels, Montauban ne pouvait hésiter entre le comte de Toulouse et les croisés de Simon de Montfort, parmi lesquels l'abbé de Saint-Théodard s'était empressé de se ranger. Sous prétexte de réprimer l'hérésie accueillie avec faveur par les Montalbanais, l'abbé Azémard espérait bien que son monastère trouverait moyen de ressaisir les serfs de Montauriol émancipés ; mais il s'y prit mal étant entré dans Montauban dans l'intention d'en ouvrir les portes à Montfort, il arriva tout au contraire qu'on les ferma sur lui et qu'on l'envoya achever sa vie prisonnier du comte de Toulouse (1211).
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La fidélité des Montalbanais à la cause des Albigeois et du Midi et la situation remarquable de leur ville aux confins du Quercy et de l'Agénois la firent choisir par le comte de Foix, qui vint s'y établir avec son armée il repoussa une attaque des croisés, maîtres de Moissac, les poursuivit jusqu'à La Française (1212). Un an après, les routiers albigeois ramenaient prisonnier dans Montauban le frère de Raymond VI, ce traître Baudouin qu'une basse ambition avait conduit au camp des croisés. Il fut pendu sans pitié à un noyer sur la route de Toulouse, au lieu où s'élève aujourd'hui la croix de Saint-Orens. Si Montauban fit durant cette guerre tout ce qu'il fallait pour mériter la reconnaissance des hommes du Midi, elle fit aussi tout ce qu'il fallait pour attirer sur elle-même les vengeances de l'Église. Lorsque le légat dicta, en 1228, les conditions du traité de Meaux, il ne l'oublia pas dans la liste des villes dont il fallut démolir les murailles ; puis il y envoya l'inquisition pour sévir contre les personnes. Les uns furent brûlés vifs ; les autres, comme Armand de Montpezat, étouffés entre quatre murailles ; les cadavres des hérétiques furent déterrés et traînés sur la claie. Enfin le règne bienfaisant de Philippe le Bel arrêta ces cruautés. Ce monarque, que le Midi devrait bénir comme le réparateur des iniquités de la croisade, s'efforça de détourner les esprits de la fureur des haines religieuses vers les travaux pacifiques de l'industrie et de la civilisation. En 1303, il rappela aux habitants de Montauban un engagement contracté par leurs pères dans la charte de 1144 c'était de construire un pont sur le Tarn. Pour diriger le travail, il leur envoya deux de ses architectes Estève de Ferrières et Matthieu de Verdun. En treize ans fut achevé le beau pont de Montauban, composé de sept arches en ogive et défendu par trois tours crénelées. Il est vrai que l'intervention royale, là comme partout ailleurs, ne fut point avantageuse à la liberté locale mais il faut reconnaître que depuis longtemps l'institution municipale avait dégénéré. Nous avons dit que, dès 1194, Montauban avait à sa tête dix capitouls annuels. Ces magistrats de la cité recevaient des habitants le serment de les soutenir et de leur obéir, et c'était aussi dans leurs mains que le viguier du comte et le bailli de l'abbé juraient de respecter les libertés de la ville. Ils avaient une juridiction correctionnelle et criminelle celle-ci conjointement avec le viguier et les prud'hommes. Enfin, c'étaient eux qui, parmi les prud'hommes, en désignaient un certain nombre à l'élection populaire.
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Ils abusèrent par la suite de ce droit de désignation et finirent par se nommer les uns les autres, ce qui équivalait à une prorogation continuelle de leurs pouvoirs. Cette usurpation nécessita une disposition nouvelle qui fut prise en 1250, et qui régla qu'à l'avenir nul ne pourrait être réélu consul qu'après être sorti de charge depuis trois ans. Nous disons consul ; car ce nom avait alors été substitué à celui de capitoul. L'ambition ayant été réprimée, la cupidité prit sa place. Les magistrats de Montauban n’usurpèrent plus le pouvoir, mais ils s'approprièrent les deniers de leurs concitoyens leurs malversations furent assez considérables dans la grande affaire de la construction du pont pour que le parlement de Paris les condamnât, en 1321, à 8 000 livres d'amende envers le roi et 1 000 envers celui qui les avait dénoncés, et que de plus le consulat fût supprimé. Il fut rétabli, à la vérité, l'année suivante à la prière du pape Jean XXII. Ce pontife cahorsin, qui montra tant de prédilection aux villes du midi de la France, fut particulièrement bienveillant pour les Montalbanais, qui étaient presque ses compatriotes.
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En 1317, il avait érigé l'abbaye de Saint-Théodard en un évêché dont Montauban fut le siège. Le nouvel évêque était suffragant de celui de Toulouse, dont le diocèse avait été notablement diminué par cette création, et qui en fut dédommagé par la dignité archiépiscopale. Montauban ne se montra pas très française pendant la guerre de Cent ans. Après le traité de Brétigny, qui la livra aux Anglais, elle ouvrit sans difficulté ses portes à Jean Chandos, lequel, du reste, lui garantit la conservation de ses privilèges. Ses nouveaux maîtres, reconnaissant son importance, la fortifièrent, et lorsque, en 1366, le duc d'Anjou battit dans le voisinage les routiers qui se rendaient à Bordeaux auprès du prince de Galles, il fut repoussé des murs de la ville non seulement par les Anglais, mais même par les habitants et les femmes qui jetaient des pierres aux assaillants. Il est fâcheux d'avoir à raconter le moyen qui ramena Montauban à la cause de la France. Ce fut la corruption, Une somme de mille sols distribuée aux principaux bourgeois fit l'affaire. A ce prix, les habitants prirent les armes, et, profitant de l'absence de Chandos et de Robert Knolles, chassèrent eux-mêmes les Anglais. Le duc d'Anjou ne tint pas les promesses d'amnistie qu'il avait faites. Pour être plus libre dans ses exactions, il fit pendre ou emprisonner ceux qui tentaient de lui opposer quelque obstacle, suspendit les libertés municipales, annula les élections consulaires. En général, une semblable tyrannie anime ceux qui la supportent contre celui qui l'exerce et gâte la cause qu'il représente. Il ne paraît pas, cependant, que les Montalbanais en aient conçu des sentiments hostiles contre la France ; on les voit même, en 1432, livrer aux consuls deux jacobins qui conspiraient en faveur des Anglais et qui furent jetés à l'eau cousus dans un sac. Charles VII, dix ans après, en préféra le séjour à celui de Toulouse. Il réduisit le nombre des consuls à six, moins pour diminuer l'importance de leur charge que pour soulager la ville qui n'avait pas d'argent pour payer les robes consulaires. D'après un arrêt du parlement de Toulouse de 1493, qui établit l'élection sur de nouvelles bases, chacun de ces six consuls devait en sortant de charge choisir dans sa gasche, c'est-à-dire dans son quartier ou consulat, quatre notables, de manière à former une assemblée élective de trente membres c'est ce qu'on appelait les conseillers politiques. A ces électeurs il appartenait de nommer les six consuls nouveaux, savoir trois parmi les bourgeois, ce qui comprenait les nobles, les clercs et les marchands de la ville et trois parmi les populaires, « au nombre desquels estoient compris les nréchaniques habitants de ladite ville; » l'un de ces trois derniers devait être « laboureur, homme de bien et honneste, » et spécialement chargé des intérêts des forestains demeurant dans le consulat à la fin de l'année, il devait choisir ses quatre coélecteurs parmi les laboureurs demeurant hors de la ville.
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Ce mode d'élection, qui supprimait l'assemblée populaire, n'avait pas un caractère bien démocratique ; on ne peut s'empêcher pourtant d'admirer comment les intérêts des artisans, et même, chose plus rare, du peuple de la campagne, étaient représentés dans le consulat par l'effet de cette organisation. Avec les antécédents qu'on lui connaît, Montauban devait nécessairement embrasser le protestantisme. Les scandales de son clergé eussent été à eux seuls un motif suffisant. A peine le parlement de Toulouse venait-il de les flétrir par un arrêt daté de 1548, que l'évêque Jean de Lettes seigneur de Montpezat, donnant son évêché à son neveu, épousa ouvertement sa maîtresse la belle Armande de Durfort, et s'enfuit avec elle à Genève en 1556. Bientôt arriva de Paris un natif de Montauban initié à la Réforme, et qui commença dans sa patrie la prédication calviniste. En 1560, deux ministres furent mandés de Toulouse, et, l'année suivante, les consuls eux-mêmes se mettaient à la tête des religionnaires. Ils prirent possession des couvents, en chassèrent les moines et les religieuses, et s'emparèrent des églises. La cathédrale, qu'on essaya de défendre, fut pillée et brûlée ; l'évêque, qui se trouvait hors de la ville, ne put y rentrer. Six cents protestants de Toulouse fugitifs vinrent imprimer au mouvement de la Réforme une activité nouvelle, et on leur assigna cette partie du quartier de Montmirat appelée depuis Cour-Toulouse. Montluc et Terride parurent devant la ville en 1562, mais sans oser faire contre elle de tentative sérieuse. Charles IX et Catherine de Médicis passèrent à Montauban en 1564, et la protection même qu'ils accordèrent aux catholiques ne fit que constater la puissance du parti protestant dans cette ville ; en effet, ils ne purent leur faire rendre que la moitié du consulat et seulement les places inférieures : la seconde, la quatrième et la sixième. C'était encore trop ; en 1568, les consuls catholiques furent chassés et toutes les propriétés du clergé vendues à l'encan. Ce fut la rupture éclatante des Montalbanais avec l'ancienne religion. Un instant effrayé par la Saint-Barthélemy, ils reprirent promptement courage, poussèrent Terride et virent leur ville devenir la capitale des Églises protestantes de la Guyenne et presque de toute la France. C'est dans leurs murs, en effet, qu'elles tinrent la plupart du temps leurs assemblées générales 1578, 1579, 1584. La dernière était présidée par le roi de Navarre lui-même, qui fit décider la guerre. Appréciant sa force militaire et l'importance de sa position à peu près intermédiaire entre La Rochelle et Nîmes, dans le grand bassin de la Garonne, à peu de distance de ses États de Béarn et de Gascogne, il en laissa le gouvernement à Du Plessis-Mornay, qui ajouta encore à la force de la place en fortifiant le faubourg de la rive gauche du Tarn, appelé depuis lors Ville-Bourbon. Les catholiques ne rentrèrent qu'avec peine dans Montauban, en vertu de l'édit de Nantes (1598), et l'église Saint-Louis ne fut rendue à l'évêque qu'à la condition de ne pas sonner les cloches et de s'abstenir de toute manifestation extérieure du culte romain au-delà de la rue dite des Soubirous.
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Nous arrivons au fait le plus mémorable de l'histoire de Montauban c'est le fameux siège de 1621. Invariablement fidèle au protestantisme, cette ville avait chassé les catholiques et repris les armes dès qu'elle avait appris le rétablissement du catholicisme dans le Béarn signal des dernières guerres religieuses. Comme elle prévit que le principal poids de la guerre retomberait sur elle, elle se mit promptement en mesure d'opposer une énergique résistance. Le duc de Rohan assembla le peuple dans une église le 18 juin 1621, et lui tint ce noble discours que rapporte l'histoire particulière du siège de Montauban « Je ne crains point que l'étonnement et la lassitude des autres passent à vous par contagion le zèle qu'avez toujours témoigné et la nécessité de résister si imposante vous feront rechercher courageusement la gloire qu'en cette occasion vous pouvez acquérir ; car, pour certain, nous nous ferons donner ici la paix. Les jours passés, vous avez juré l'union des Églises en ma présence ; vous vaut-il pas mieux garder ce serment que de quitter la religion, et vendre chèrement votre sang à ceux qui en ont soif, qu'être honteusement traînés au supplice ? Je vais préparer ceux de Castres et les circonvoisins à votre secours. Je vous prie de prendre cette confiance en moi qu'en cette occasion je ne vous abandonnerai point, quoi qu'il arrive. Quand il n'y auroit que deux hommes de la religion, je serai un des deux ; il ne me reste que l'épée et la vie, mais Dieu me fera la grâce de les employer pour vous en cette cause. Après avoir excité l'enthousiasme par ces paroles et tracé le plan de quelques ouvrages à construire pour la défense, il s'éloigna, laissant le commandement de la place au premier consul, Dupuy, homme de tête et de cœur, d'une énergie et d'un sang-froid admirables. Toute la population fut appelée au travail les dames les plus élégantes vinrent y prendre part comme les autres, et plus tard, dans le cours du siège, les femmes firent merveille jusque sur la brèche. Enfin l'on vit dans les murs de Montauban le magnifique spectacle d'un peuple qui manie la pioche et qui prend le mousquet pour défendre les droits sacrés de la conscience. Bientôt la place fut entourée d'une enceinte de bastions, demi-bastions, fossés, demi-lunes, qui présenta l'aspect le plus formidable. Quand ces travaux furent ébauchés, voici l'aspect que présentèrent les fortifications la vieille ville, bâtie en forme de triangle dont le sommet s’inclinait vers le midi tandis que la base était tournée vers le nord, apparaissait sur un plateau assez escarpé entre le Tarn, qui la baigne au couchant, le Tescou, qui la baigne en serpentant au midi, et le ruisseau de la Garrigue par lequel elle est bornée du côté septentrional.
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Ceinte d'une haute muraille de briques, elle
était flanquée par six portes percées dans d'énormes tours et appelées
l'une, qui regarde au nord, porte du Griffon, à cause de la belle
fontaine de ce nom l'autre, qui fait face au levant, porte des Cordeliers
la troisième, tournée vers le Tescou, porte du Moustier la quatrième,
placée tout à fait au midi, porte des Carmes; et les deux autres,
bâties au bord du Tarn la première à côté d'une construction massive
nommée château de Regnaud, porte du Pont la seconde, à l'angle occidental
de la ville, porte de Montmirat. Le bastion dit des Carmes, une
demi-lune et les bastions de Paillas, du Moustier, de Rohan et de
l'Ecluse, ouvraient leurs angles habilement tracés entre celle première
enceinte et le fossé, à partir du château Regnaud, où le Tarn cessait
de protéger le mur, jusqu'au bord du ruisseau de la Garrigue. Là
ils se liaient au-dessus du fort des Jacobins aux bastions du fort,
de la Fontaine et de Saint-Antoine, et à trois grandes tenailles
aboutissant au Tarn en avant de la porte de Montmirat, et rattachaient
à la vieille ville le faubourg de la ville nouvelle construit sur
la rive droite du ruisseau de la Garrigue. Sur la rive gauche du
Tarn, le faubourg de Ville-Bourbon, du nom de Henri IV, son fondateur,
joint au corps de la place par un beau pont, était entouré de trois
petits bastions et d'une demi-lune, élevés jadis sur le plan de
ce prince, et d'une fortification récente.
Ces fortifications
étaient défendues par quatre mille cinq cents hommes déterminés
et quarante pièces de canon. Une réserve de dix-huit cents bourgeois
se tenait dans la ville, prête à courir sur les points menacés.
Le conseil général et les consuls demeuraient en permanence à l'hôtel
de ville ; chacun était chargé des fonctions qui convenaient le
mieux à ses talents ou à son âge les plus âgés devaient s'occuper
de faire panser les blessés ; les plus jeunes, de porter les munitions
; les octogénaires, de fabriquer le filet pour les mèches des canons
et des arquebuses. Deux ministres par quartier animaient cette population
belliqueuse par des discours ardents au nom de la religion, et des
voix d'hommes, de femmes et d'enfants chantaient avec enthousiasme
par les rues Dieu nous rendra preux et vaillants a l’encontre tous
nos assaillants.
Ces préparatifs formidables faisaient dire aux
capitaines expérimentés de l'armée royale que le siège de Montauban
était une grosse affaire. « Plusieurs des généraux et des membres
du conseil, dit Henri Martin, étaient d'avis que l'on commençât
par nettoyer de rebelles tout le reste de la haute Guyenne et tout
le haut Languedoc, et que l'on remît l'attaque de Montauban au printemps
prochain. Le roi et Luynes ne voulurent rien entendre l'armée planta
ses tentes devant Montauban le 18 août. Durant les premiers jours
du siège, le vieux Sully, qui depuis quelques années vivait retiré
dans ses terres de Languedoc et de Quercy, et qui avait son fils
aîné dans l'armée royale, son fils puîné dans la ville assiégée,
se rendit au camp du roi, supplia Louis XIII de « donner la paix
à ses peuples, » et demanda la permission d'entrer dans Montauban
pour exhorter les assiégés à se soumettre. Sully comptait traiter
avec son fils d'Orval et les La Force ; mais ceux-ci le renvoyèrent
au conseil de ville. Les grands n'étaient considérés par la bourgeoisie
républicaine de Montauban que comme d'illustres volontaires et toute
l'autorité restait au conseil municipal, que dominait le fougueux
ministre Chamier. Les soldats, commandés par un brave officier de
fortune que Rohan avait mis à leur tête, et aussi enthousiastes
que les bourgeois, suivaient la même impulsion. Le premier consul,
Dupuy, répondit à Sully que les citoyens de Montauban avaient juré
de vivre ou de mourir en l'union des Églises, et qu'ils ne pouvaient
traiter sans leurs associés ni sans l'aveu du duc de Rohan, général
de la province. Sully s'en retourna tristement, et quarante-cinq
pièces de canon commencèrent à foudroyer la place.»
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Lesdiguières avait conseillé d'employer toutes les ressources de l'art et d'enfermer la ville dans des lignes de circonvallation protégées par des forts le connétable ne voulut pas que l'on perdît le temps à ces précautions superflues. Quelques faciles succès avaient changé en infatuation la timidité ordinaire de Luynes. La conduite du siège répondit à ce début. Luynes et son frère, le maréchal de Chaulnes, montrèrent une ignorance de l'art militaire, une incapacité telles que le roi, qui du moins entendait le détail de la guerre, s'en aperçut et s'en railla. Le garde des sceaux Du Vair étant mort pendant le siège de Clairac, Luynes n'avait pas permis qu'on lui donnât de successeur, et, contrairement aux usages aussi bien qu'au sens commun, tenait d'une main les sceaux, de l'autre, l'épée de connétable. Le prince de Condé prétendit à ce sujet que Luynes était un bon connétable en temps de paix, un bon garde des sceaux en temps de guerre ce quolibet courut toute la France. Le présomptueux connétable essuya désappointement sur désappointement les intelligences qu'il avait pratiquées dans la ville n'aboutirent qu'à faire pendre un aventurier dont les assiégés découvrirent la trahison ; les renforts envoyés par Rohan pénétrèrent en grande partie dans Montauban. L'absence d'ensemble et de direction, l'armée mal tenue, mal payée, les compagnies incomplètes attestaient l'impéritie et le désordre de l'homme auquel Louis XIII avait livré la France. Il n'y avait pas douze mille combattants effectifs, quand le roi en payait trente mille. Les chefs de corps, n'étant ni dirigés ni contenus, s'abandonnaient les uns à une témérité aveugle, les autres au découragement. Les assiégés, exaltés par la pensée que le destin de leur parti reposait sur eux seuls, se défendaient avec furie seigneurs, soldats et bourgeois rivalisaient d'intrépidité. Les trois fils et le petit-fils de La Force, durant deux mois entiers, ne bougèrent pas d'une demi-lune construite par leur père en avant du quartier d'outre-Tarn, appelé Ville-Bourbon. L'élite des gentilshommes de l'armée royale vint se faire tuer sur ce boulevard, que les assiégeants ne purent jamais emporter. Le duc de Mayenne, fils du ligueur, y périt le 17 septembre, victime de ses folles bravades ; il jouait avec la mort. Il se complaisait à amener les autres capitaines sous les balles ennemies et à faire tirer sur eux et sur lui. Le roi et Luynes recoururent à une singulière intervention pour venger Mayenne et prendre la ville. Le fameux carme espagnol, Domingo de Jésus-Maria, qui avait marché en tête de l'armée impériale le jour de la bataille de Prague, et à qui les dévots attribuaient la victoire, passait par la France à son retour d'Allemagne ; Luynes le fit venir au camp et lui demanda ce qu'il fallait faire. Le moine ordonna tout bonnement de faire tirer quatre cents coups de canon sur la ville, après quoi la ville ne manquerait pas de se rendre. On tira les quatre cents coups bien comptés, mais la ville ne se rendit-pas.
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» Non seulement les assauts contre le quartier de Ville-Bourbon
avaient été repoussés, mais les assiégés avaient sur divers autres
points fait des sorties meurtrières, bouleversé les tranchées, encloué
les canons l'assaut au corps de la place fut reconnu impossible.
Après deux mois et demi, on n'était pas plus avancé que le premier
jour. Luynes avait essayé en vain de gagner Rohan par les offres
les plus brillantes. Rohan refusa de se séparer des gens de Montauban
et de traiter, sinon pour tout le parti. L'armée royale, quoique
renforcée par Montmorency, gouverneur du Languedoc, se fondait de
semaine en semaine par le fer de l'ennemi, par la maladie, par la
désertion. Tout le monde sentait qu'il fallait lever le siège. Un
des maréchaux de camp, Bassompierre, eut le courage de le dire.
Le roi s'y résigna la larme à l'œil, et décampa dans les premiers
jours de novembre. » On dit que vingt mille coups de canon avaient
été tirés contre la place et que seize mille morts jonchaient la
plaine environnante.
La pauvre bourgade de Bonheurs, sur la Garonne
(Lot-et-Garonne), paya pour les Montalbanais elle fut prise d'assaut
par l'armée royale à son retour et livrée à toute la rage du soldat
humilié par ses revers. Quant au connétable de Luynes, il mourait
d'une fièvre pourprée non loin de ces murailles horriblement saccagées
et teintes de sang, dans le château d'Aiguillon, où il s'était fait
transporter. Ce qu'il n'avait pu faire par les armes, le gouvernement
royal essaya de l'accomplir par la corruption. L'or répandu parmi
la haute bourgeoisie dc Montauban jeta la division dans la population
de cette ville. En 1626, une scission eut lieu ; les corps de métiers
se réunirent dans les églises sans le concours des principaux et
proclamèrent de nouveau le duc de Rohan généralissime des réformés.
Pendant trois années, les protestants de Montauban soutinrent avec
avantage la guerre contre les partisans catholiques des environs
; mais la prise de La Rochelle donna tout à coup la prépondérance
aux traîtres que la cour appelait « les gens bien intentionnés.
» Ceux-ci traitèrent pour la ville, et, pour obtenir la paix, consentirent
à la démolition des murailles. Cette clause fut immédiatement exécutée,
et, quand Richelieu entra dans la ville, il vit les paysans catholiques
des environs, la tête couronnée de lauriers, occupés à faire tomber
pierre par pierre les remparts de la grande citadelle des huguenots
dans le Midi.
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Une nuée de moines et de religieuses s'abattit aussitôt
sur cette proie ce furent d'abord les capucins et les dames de Sainte
Claire ; puis rentrèrent l'évêque et son clergé, les augustins,
les cordeliers, les carmes, les jésuitcs. Une autre invasion non
moins funeste à l'indépendance de Montauban fut celle des administrations
royales. En rappelant dans cette ville le sénéchal qui avait été
précédemment transféré à Moissac, en y établissant un présidial
en 1632, une intendance en 1635. Richelieu parut favoriser Montauban
et lui faire honneur ; mais, en réalité, il la remplissait t d'officiers
royaux qui devaient être comme autant d'agents du gouvernement et
transformer la population en s'y mêlant. Plus tard, vers 1660, Louis
XIV, continuant le même système, transféra la cour des aides de
Cahors à Montauban, après avoir réprimé avec vigueur quelques émeutes
populaires soulevées contre l'évêque, contre les jésuites ou contre
l'intendant. Les catholiques furent réintégrés dans le consulat,
où ils occupèrent la première, la seconde et la quatrième place.
Le conseil général fut réduit à quarante membres, dont dix seulement
purent être protestants. Enfin, ce peuple intrépide, dompté par
tant de mesures habiles et fortes, ne bougea plus. Les horreurs
qui suivirent la révocation de l'édit de Nantes (1685) ne le tirèrent
pas de l'apathie et de l'impuissance où il était tombé. Ni l'évêque
pourtant ni l'intendant La Berchère ne se firent faute d'indignes
actions, faisant mettre à genoux par force devant eux des gens titrés
et respectables, et fabriquant de fausses abjurations signées de
leurs noms.
Les Montalbanais trouvèrent une certaine compensation
dans le développement de leur industrie et l'embellissement de leur
cité. Des manufactures de cadis, sorte de drap grossier, et des
teintureries s'élevèrent sur les bords du Tarn, et principalement
à Ville-Bourbon. Elles occupaient en 1713 jusqu'à huit mille ouvriers.
Les intendants Pellot, Foucault, Legendre et surtout Pajot, depuis
1667 jusque vers 1730, plantèrent sur l'emplacement des anciens
fossés et des fortifications détruites ces belles promenades dont
s'enorgueillit Montauban, bâtirent ces portes monumentales dont
une est encore debout à l'extrémité du pont de Ville Bourbon, construisirent
cette place en briques qui rappelle la place Royale de Paris. Tous
les intendants, il est vrai, ne valurent pas ceux-là, témoin ce
L'Escalopier, infâme exacteur que la cour des aides réussit à éloigner,
et que la cour ne punit qu'en l'avançant à l'intendance plus avantageuse
de Tours. C'est lui qui exigeait d'un jardinier vingt-quatre journées
de corvée en cinq mois, et qui, un beau jour, voulant reconduire
par le Rouergue son frère qui était venu le voir, exigea de quatre
mille ouvriers dix journées de travail en pleines vendanges pour
tracer une route carrossable.
Tels sont les excès que la Révolution
vint faire disparaître et venger. Le parti protestant lui offrit
à Montauban des éléments tout préparés, dont se recruta la garde
nationale. Le parti royaliste réussit néanmoins par son influence,
en 1790, à s'emparer de la municipalité et à former des compagnies
de volontaires qu'on surnomma cardis ou chardonnerets, à cause des
collets jaunes de leur uniforme. Les gardes nationaux, résistant
aux ordres de la municipalité, refusèrent d'admettre dans leurs
rangs ces chardonnerets et, soutenus par les dragons, engagèrent
une lutte qui devint sanglante. Les royalistes l'emportèrent et
jetèrent les dragons en prison après les avoir abreuvés d'outrages.
L'Assemblée nationale ne fit pas attendre la répression ; les vaincus
furent portés à la municipalité en 1791 et à leur tête Jean-Bon
Saint-André, qui, envoyé l'année suivante à la Convention nationale,
reparut ensuite à Montauban comme commissaire et fit guillotiner
son propre neveu pour avoir conspiré contre la République. Vint
ensuite la réaction royaliste, qui se signala par les violences
de la société de Sainte-Ursule, ainsi appelée du café de Sainte
Ursule où se réunissaient les réactionnaires. Les amis de la Révolution
furent égorgés la nuit dans les rues.
Ce furent-là, sauf une
émeute en 1815, les derniers mouvements politiques qui agitèrent
Montauban. Dans l'intervalle, le 29 juillet 1808, Napoléon ler
y passa avec l'impératrice ; une garde d'honneur l'accompagna dans
la ville partout ornée d'arcs de triomphe, et il descendit à l'hôtel
de l'ancienne intendance. Montauban, qui avait compté avant la Révolution
jusqu'à 30,000 habitants, n'en avait plus alors que 22,000, et malheureusement
son élévation au rang de chef-lieu de département n'a pas beaucoup
augmenté ce nombre ni fait prospérer son industrie un peu languissante;
ce qu'il faut sans doute attribuer au trop grand voisinage de Toulouse,
qui en est à 49 kilomètres au sud.
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