Histoire de l'Orne


Le territoire du département de l'Orne
faisait partie de la Gaule celtique.
Les peuples qui l'habitaient
portaient le nom générique à Aulerci.
C'est, semble-t-il,
à Alençon que se réunissaient les députés des trois tribus dont
se composaient leur fédération, et qui étaient les Aulerces
Eburons, capitale, Ebroïcum, Evreux ; les Aulerces Cénomans,
capitale, Sudinum, Le Mans ; les Aulerces Diablintes ; ceux-ci
occupaient la plus grande partie du territoire qui a formé le
département de l'Orne.
A l'époque où César vint asservir
les Gaules, Crassus, son lieutenant, pénétra dans le pays avec
la 1ère légion, et le soumit facilement.
Mais,
plus tard, sous la conduite de Viridovix, ces peuples et leurs
voisins se soulevèrent et mirent en péril le lieutenant de César,
Titurius Sabinus, qui était entré dans leur pays à la première
nouvelle de l'insurrection.
César raconte, dans ses Commentaires,
que l'armée de Viridovix s'était grossie d'une foule de brigands,
venus de tous les points de la Gaule : c'est l'insulte ordinaire
des oppresseurs, qui ne se contentent pas d'écraser les opprimés,
mais veulent encore les déshonorer.
Sabinus, se trouvant
dans une position critique, fut obligé de se retrancher dans
un lieu fortifié. Entouré par l'armée de Viridovix, qui lui
offrit vainement la bataille, il encouragea à dessein l'audace
des assaillants, leur envoya même un des Gaulois qui servaient
dans ses troupes pour leur dépeindre le découragement des Romains
el les engager à en profiler.
Les confédérés se décident
à attaquer Sabinus dans ses retranchements.
« Les Romains,
dit César, étaient campés sur une hauteur, d'une pente douce
et aisée, d'environ mille pas. Ces barbares la montent en courant
de toutes leurs forces, pour ne point leur laisser le temps
de se réunir et de s'armer, el arrivent hors d'haleine au pied
des retranchements. Sabinus, après avoir par ses discours excité
l'ardeur de ses soldats, donne le signal.
Pendant que les
ennemis étaient embarrassés des fascines qu'ils portaient pour
combler les fossés, il ordonne une double sortie par deux portes
du camp. L'avantage de la position, l'inexpérience et l'épuisement
des barbares, la bravoure de nos soldats et leur habitude de
la guerre, furent cause que l'ennemi ne soutint pas même le
premier choc, et prit aussitôt la fuite. »

Le carnage fut effroyable.
A l'époque
de l'insurrection générale des Gaulois excitée par Vercingétorix,
nous retrouvons encore dans les Commentaires de César les Aulerces
payant bravement leur dette à la patrie commune. Sous la conduite
de Camulogène, réunis aux Parisii, ils viennent offrir la bataille
à Sabinus, près de Lutèce. L'aile gauche des Gaulois plia ;
mais la droite, où se trouvait Camulogène, résista intrépidement
et succomba jusqu'au dernier homme.
Les Essui ou Sessui,
habitants des environs de Sées, étaient seuls restés tranquilles
pendant ces insurrections. César les favorisa aux dépens des
populations moins patientes et plus patriotiques des environs.
Leur puissance grandit rapidement sous la domination romaine.
Mais, pendant IVème siècle de l'Ère chrétienne,
les Saxons, après avoir formé divers établissements sur la côte,
remontent l'Orne, ravagent et détruisent tout sur le territoire
des Essuins, et bâtissent, à deux lieues d'Essoi, une nouvelle
ville, Saxia ou Sées, qui acquit bien- tôt une grande importance.
Les Saxons ne lardèrent pas à se convertir au Christianisme,
et, parmi les évoques de Sées, on trouve les noms de Sigisbold,
de Saxobod, qui révèlent une origine saxonne.
Pendant l'effroyable
désordre auquel les invasions des Barbares livrèrent la Gaule,
l'Armorique elles cités voisines de la Manche formèrent, sous
le nom de République des cités armoricaines, une vaste confédération
qui maintint quelque temps son indépendance.
Ravagé par
les Alains et par une nouvelle invasion des Saxons, le pays
se soumit à Clovis.
Pendant la période suivante, l'histoire
de cette contrée reste fort obscure.
Nous trouvons que la
plus grande partie de la région dépend alors d'un archidiaconat
nommé Hiesmois ou Oximisum, dont le chef-lieu était Oximum ou
Hiesme, maintenant Exmes, bourg voisin d'Argentan.

Pendant cette période, nous voyons grandir
la puissance de Sées, à laquelle succédera, vers le Xèmesiècle,
celle d'Alençon.
Mais les Normands ont envahi le pays.
Le faible Charles-le-Simple a été obligé de le céder à Rollon,
leur duc.
En 943, Richard Ier donne à Yves de
Creil ou de Bellême, dont il veut récompenser les services,
l'Alençonnais, le Passais normand et les territoires de Sées
et d'Argentan.
Yves de Creil possédait déjà le Bellêmois,
le Corbonnais, et la puissance de sa famille se fonde définitivement
sous son fils Guillaume Ierde Bellême, qui, le premier,
prit le nom de Talvas, d'une sorte de bouclier qu'il avait adopté.
C'est Guillaume Ier de Bellême qui éleva les
Châteaux de Sées, d'Alençon, de Domfront.
Robert Ier,
duc de Normandie, voulant le punir de s'être déclaré contre
lui dans la guerre qu'il avait entreprise contre son frère et
son prédécesseur, Richard III, vint l'assiéger dans Alençon.
Le vieux Talvas fut obligé de capituler, et, une selle mise
sur le dos, de demander grâce au duc irrité.
Le Roman de
Bon dit à ce sujet:
Son dos offrit à chevaucher,
Ne se peut plus humilier.
Au prix de celte humiliation,
le vieillard garda ses possessions.

Ses quatre fils jurèrent de le venger,
mais furent défaits dans la Forêt de Blavon. Guillaume perdit
deux de ses fils dans cette guerre; déjà malade, il mourut en
recevant la nouvelle de leur mort. L'aîné des deux fils de Guillaume
Ier, Robert, lui succéda; mais, fait prisonnier par le comte
du Maine, il fut tué à coups de hache dans sa prison. Son frère,
Guillaume II Talvas, le remplaça. Celui-ci reçut le surnom de
Talvas-le-Cruel, et le justifia. Il fait étrangler sa femme
Hildeburge, se remarie et invite à son banquet de noces Guil-
laume Giroie, chevalier loyal, qui avait eu jadis des différends
avec la famille de Talvas. Malgré les représentations de son
frère Raoul, Giroie se confie à Talvas-le-Cruel et se .rend
à ses noces. Au milieu du festin, Talvas le fait saisir et part
pour la chasse, pendant que ses bourreaux ont, par son ordre,
crevé les yeux, coupé le nez-et les oreilles du malheureux Giroie,
qui est jeté en prison. La Tour où il fut renfermé, et qui se
voyait encore un peu avant la Révolution de 1789, à l'entrée
du Château d'Alençon, avait gardé le nom de Tour de Giroie.
Mais la vengeance s'appesantit bientôt sur cette horrible famille
des Talvas. Le fils de Guillaume II, Arnould, chasse son père
de ses domaines. Il est lui-même étranglé dans son lit. Talvas-le-Cruel
meurt à Domfront en 1052.
Quatre années auparavant, profitant
de l'horreur qu'inspirait cet homme, le comte d'Anjou s'était
emparé d'Alençon.
Guillaume-le-Conquérant, duc de Normandie,
vint lui-même pour reprendre la ville. Quand il s'approcha des
Murs, les Angevins, qui les défendaient, se mirent à railler
le jeune duc, criant à la manière des pelletiers : « A la pel
! à la pel ! » allusion au métier que faisait le grand-père
de Guillaume, un pelletier de Falaise dont Robert de Normandie
avait séduit la fille. Guillaume le Bâtard jura « par la resplendeur
de Dieu » qu'il se vengerait, et il tint parole. Les trentre
premiers Angevins qu'il put saisir eurent les mains et tes pieds
coupés : la ville, effrayée, se rendit.
Mabille de Bellême,
fille de Talvas-le-Cruel et héritière de son duché, avait épousé
Robert de Montgomery.
Robert étant parti pour l'Angleterre,
sa femme, atroce comme toute sa famille, régna par le fer et
le poison. Elle tenta d'empoisonner Ernauld, le chef de la maison
rivale de Giroie. Celui-ci ayant refusé le verre de vin qu'on
lui présentait, un de ses compagnons, le frère de Montgomery,
Gilbert, le prit sans défiance et mourut, trois jours après,
du poison qui ne lui était pas destiné. Mabille réussit pourtant
à faire empoisonner Ernauld par son chambellan.
Mabille
périt au Château de Barre-sur-Dive, propriété de l'un de ses
fils. Elle s'était endormie après avoir pris un bain. On la
trouva la tête coupée.
On soumit un gentilhomme que l'on
soupçonnait, Pantol, à l'épreuve du feu : il la subit victorieusement.
On sut depuis que l'auteur du meurtre était Hugues de Sangey,
que Mabille avait dépossédé ; celui-ci s'était introduit furtivement
dans le Château de Barre pendant son sommeil, s'était vengé
et était parti aussitôt pour l'Italie, refuge ordinaire, à cette
époque, de tous les aventuriers et de tous ceux qu'un meurtre
éloignait de leur pays.
Les Montgomery, en héritant de la
seigneurie des Talvas, semblaient avoir hérité de leur cruauté.
Leur histoire est aussi monotone que sanglante, et ce que
nous en avons dit plus haut suffit pour donner une idée des
misères et des crimes de cette époque.
Quelques-uns des
Montgomery prirent part aux Croisades ; leur absence laissa
un peu de répit aux malheureux habitants de leur contrée.
Le dernier des comtes d'Alençon de la maison de Montgomery,
Robert III, qui avait accompagné Philippe-Auguste en Palestine,
mourut sans, enfants.
- Philippe-Auguste, qui s'était emparé
à cette époque de la Normandie, acheta le comté d'Alencon des
héritiers de Robert.
Le comté fit alors partie du domaine
de la Couronne.
Saint Louis le donna à son fils Pierre avec
quelques villes et territoires voisins.

Après la mort de Pierre, le comté revint
au roi de France, Philippe-le-Hardi, qui en disposa en faveur
de Charles, son troisième fils.
Le fils et le successeur
de ce dernier fut ce duc d'Alençon qui, en compromettant l'avant
garde française qu'il commandait à la bataille de Crécy, entraîna
une défaite complète dans laquelle il se fit tuer.
Son fils
Charles III, dégoûté du monde, entra dans l'Ordre des Dominicains.
Jean Ier, sous lequel le comté d'Alençon fut
érigé en duché-pairie, périt à la bataille d'Azincourt, expiation
bien due par lui à la France dont il avait formenté les troubles
et envenimé les blessures. Son fils, Jean II, fut pris au combat
de Verneuil par les Anglais, qui s'étaient emparés de son duché
et avaient donné à Bedford le titre de duc d'Alençon. Le duc
légitime honora sa captivité par sa constance, par son refus
de se soumettre aux conquérants de sa patrie, et ne fut rendu
à la liberté qu'après avoir payé une rançon considérable, 300,000
écus d'or en 1429.
Il combattit vaillamment pour la délivrance
du pays et commanda l'année française à la bataille de Patay.
Toutefois, il ne rentra en possession de son duché qu'en 1449.
Ce prince brillant et chevaleresque, ami du faste, de la
musique et de la chasse, fut accusé plus tard, par Charles Y1I,
de connivence avec les Anglais. Condamné à mort en 1458 par
la cour des pairs pour crime de haute trahison, il vit sa peine
commuée.
Délivré par le dauphin, devenu roi sous le nom
de Louis XI, dont l'amitié avait contribué à éveiller les défiances
de Charles Y1I, il se jeta néanmoins dans la Ligue du Bien public
et se lia avec les ennemis du royaume.
Condamné à mort une
seconde fois, il eut encore sa peine commuée, mais mourut en
prison, en 1476.
Son fils René ne reçut du roi, indisposé
contre sa race, qu'une partie des domaines de son père; il fut
bientôt, à tort ou à raison, soupçonné d'intrigues contre Louis
XI, condamné à une prison perpétuelle et enfermé dans une cage
de fer d'où il ne sortit qu'à l'avènement de Charles VIII, qui
lui rendit les biens de son père.
Son fils Charles devint
l'époux de Marguerite de Valois, sœur du roi François Ier,
«la Marguerite des Marguerites », comme l'appelait son frère.
Il fut une des causes de la défection du connétable de Bourbon,
que François Ier; avait privé du commandement de
l'avant-garde française pour le donner à son beau-frère.
Plus tard, la lâche conduite du duc d'Alençon à la bataille
de Pavie le couvrit de honte, et il vint mourir à Lyon en 1524.
Sa veuve, Marguerite, séjourna souvent dans ses domaines,
puis épousa en secondes noces Henri II, roi de Navarre, et c'est
sous le nom de Reine de Navarre qu'elle est demeurée célèbre
par sa protection aux poètes, aux savants et aux Protestants.
« Ce fut, dit Brantôme, une princesse de très grand esprit
et fort habile, tant de son naturel que de son acquisitif :
car elle s'adonna fort aux lettres en son jeune âge, et les
continua, tant qu'elle vécut, aimant et conversant, du temps
de sa grandeur, ordinairement à la cour avec des gens les plus
savants du royaume de son frère : aussi tous l'honoroient tellement
qu'ils l'appeloient leur Mécénas, et la plupart de leurs livres
qui se composoient alors s'adressoient au roi son frère, qui
estoit bien savant, ou à elle... On la soupçonnoil de la religion
de Luther; mais, pour le respect et l'amour qu'elle portoit
au roi son frère, qui l'aimoit uniquement et ll'appeloit toujours
sa mignonne, elle n'en fit jamais aucune profession ni semblant,
et, si elle la croyoit, elle la lenoit toujours dans son âme
fort secrète, d'autant que le roi la haïssoit fort, disant qu'elle
et toute autre nouvelle secte tendoient plus à la destruction
des royaumes, des monarchies et dominations qu'à l'édification
des âmes. »
Marguerite, devenue mère de Jeanne d'Albret,
mourut au Château d'Odos, en Bigorre, en 1549.
Après sa
mort, le duché d'Alençon retourna à la Couronne.
Charles
IX le donna à son frère François, alors âgé de douze ans.
Un des seigneurs du pays, Montgomery, qui avait eu le malheur
de tuer dans un tournoi le père de Charles IX, Henri II, fut
poursuivi avec une haine aveugle par la veuve du roi, Catherine
de Médicis. Protestant et soldat intrépide, Montgomery propagea
avec ardeur la religion nouvelle dans le pays et devint la terreur
des Catholiques. Il s'empara d'Alençon, qu'il fut plus lard
obligé d'abandonner pour aller rejoindre à La Rochelle le prince
de Condé.
A l'époque de la Saint-Barthélemy, les Catholiques
voulurent prendre leur revanche : mais Matignon, lieutenant
du roi en Basse-Normandie, interdit ces représailles et maintint
l'ordre dans son gouvernement.
Le duc d'Alençon était mal
vu de la cour, à cause de sa modération etde son goût pour les
opinions nouvelles; il s'échappa et se réfugia à Alençon, où
le roi de Navarre, depuis Henri IV, vint le trouver.
Pendant
les guerres de la Ligue, le duché devint le théâtre de la lutte.
A la mort de Henri III, Henri IV s'empara d'Alençon. Mais,
pour acquitter les dettes qu'il avait contractées, il vendit
le duché au duc de Wurtemberg, en 1605.
Marie de Médicis,
devenue régente, le racheta en 1613 ; c'est là qu'elle se réfugia
après s'être brouillée avec son fils Louis XIII, en 1620, et
qu'elle chercha à rallier ses partisans.
Mais le duc de
Créqui, à la tête de dix compagnies des gardes, occupa la ville
pour le roi, qui établit une généralité ou intendance à Alençon.
En 1646, Gaston, duc d'Orléans, obtint le duché d'Alençon,
qui passa après lui successivement entre les mains de sa femme
et de sa fille, Mme de Guise. Celle-ci en fit le centre d'une
petite cour, assez brillante, qui contribua à la prospérité
de la ville.
Après sa mort, le duché retourna au domaine
de la Couronne.
Quand il en fut distrait plus tard, pour
entrer dans l'apanage d'un des petits-fils de Louis XIV, le
duc de Berry, el enfin dans celui du comte de Provence, depuis
Louis XVIII, ces princes n'en tirèrent qu'un simple revenu et
un titre honorifique; le duché continua à être administré par
les gens du roi.
Pendant la Révolution de 1789, le pays,
après avoir incliné vers les idées nouvelles et s'être attaché
un moment au parti girondin, auquel il avait donné un de ses
plus énergiques représentants, Valazé, fut dévasté à plusieurs
reprises par la Chouannerie.
Le chef des Chouans, de Frotté,
eut une destinée malheureuse. Après avoir énergiquement soutenu,
avec Georges Cadoudal, une cause désespérée, il fut, en janvier
1800, battu par le général Gardanne, près de La Motte-Fouquet.
« Enfin le général Chambarlhac enveloppa dans les environs de
Saint-Christophe, non loin d'Alençon, quelques compagnies de
Chouans, dit Thiers, et les fit passer par les armes.
«
Cependant voyant, comme les autres, mais malheureusement trop
lard, que toute résistance était impossible devant ces nombreuses
colonnes qui avaient assailli le pays, M. de Frotté pensa qu'il
était temps de se rendre. Il écrivit, pour demander la paix,
au général Hédouville, qui, dans le moment, était à Angers,
et, en attendant la réponse, il proposa une suspension d'armes
au général Chambarlhac. Celui-ci répondit que, n'ayant pas de
pouvoirs pour traiter, il allait s'adresser au gouvernement
pour en obtenir, mais que, dans l'intervalle, il ne pouvait
prendre sur lui de suspendre les hostilités, à moins que M.
de Frotté ne consentît à livrer immédiatement les armes de ses
soldats. « C'était justement ce que M. de Frotté redoutait le
plus. Il consentait bien à se soumettre et à signer une pacification
momentanée, mais à condition de rester armé, afin de saisir
plus lard la première occasion favorable de recommencer la guerre.
Il écrivit même à ses lieutenants des lettres dans lesquelles,
en leur prescrivant de se rendre, il leur recommandait de garder
leurs fusils.
« Pendant ce temps, le premier consul, irrité
contre l'obstination de M. de Frotté, avait ordonné de ne lui
point accorder de quartier, et de faire sur sa personne un exemple.
« M. de Frotté, inquiet de ne pas recevoir de réponse à ses
propositions, voulut se mettre en communication avec le général
Guidai, commandant le département de l'Orne, et fut arrêté avec
six des siens, tandis qu'il cherchait à le voir. Les lettres
qu'on trouva sur lui, lesquelles contenaient l'ordre à ses gens
de se rendre, mais en gardant leurs armes, passèrent pour une
trahison. Il fut conduit à Verneuil et livré à une commission
militaire.
« La nouvelle de son arrestation étant venue
à Paris, une foule de solliciteurs entourèrent le premier consul
et obtinrent une suspension de procédure, qui équivalait à une
grâce. Mais le courrier qui apportait l'ordre du gouvernement
arriva trop tard.
« La Constitution étant suspendue dans
les départements insurgés, M. de Frotté avait été jugé sommairement,
et, quand le sursis arriva, ce jeune et vaillant chef avait
déjà subi la peine de son obstination.
« La duplicité de
sa conduite, bien que démontrée, n'était cependant point assez
condamnable pour qu'on ne dût pas regretter beaucoup une telle
exécution, la seule, au reste, qui ensanglanta cette heureuse
fin de la guerre civile.
« Dès ce jour, les départements
de l'Ouest furent entièrement pacifiés. »
Pendant la période
qui s'écoula de 1815 à 1870, le département de l'Orne puisa
dans la sage tranquillité de la paix les précieux aliments d'une
prospérité qui fut consacrée aux progrès de son agriculture,
de son industrie et de son commerce.
La désastreuse guerre
de 1870-1871 vint l'arrêter dans son essor. S'il n'en supporta
pas le poids sanglant, il dut cependant satisfaire à de nombreuses
réquisitions.
Alençon

Alençon n'est pas une ville ancienne.
Au IXème siècle, ce n'était encore qu'un bourg qui
fut cédé aux Normands par Charles le Simple. En1026, Guillaume
de Belesme y fit construire un château au confluent de la Sarthe
et de la Briante, où il fut assiégé l'année suivante par Robert
duc de Normandie. Geoffroi Martel, comte d'Anjou, s'empara de
cette ville, qui fut reprise en 1048 par Guillaume le Conquérant.
Henri II, roi d'Angleterre l’a prit en 1135: c'était une place
forte très-importante qui eut depuis lors des comtes particuliers,
vassaux, comme le reste de la Normandie d’Angleterre. Un de
ces comtes, Robert II de Belesme, s'est rendu fameux par ses
cruautés. C'était, dit un contemporain pour ses prisonniers,
un Pluton, une Mégère, un Cerbère; il ne se souciait pas de
leur rançon, mais préférait les faire mourir dans les tourments,
condamnant les uns, hommes ou femmes, à être empalés, infligeant
à d'autres différentes tortures, et faisant quelque fois lui-même
le métier de bourreau. Le dernier de cette race homicide, Robert
IV, étant mort sans postérité, Alix, sa sœur et son héritière,
céda à Philippe Auguste Alençon et ses dépendances qui firent
partie du domaine de la couronne jusqu'en 1268, que Louis IX
le donna pour apanage à Pierre, son cinquième fils. A la mort
de ce prince, Alençon revint à la couronne et fut donné, par
Philippe le Bel à Charles de Valois, son frère. Le comté d'Alençon
fut, à cette époque érigé en comté-pairie.
Dans le XIVèmesiècle,
Alençon eut beaucoup à souffrir des ravages des grandes compagnies.
On fut obligé de raser les faubourgs, le prieuré de St-Ysiges
et l'Hôtel-Dieu de Montsort, afin d'empêcher l'ennemi de s'y
fortifier. Le pays, gouverné ensuite par des princes bons et
aimés de leurs sujets, jouit pendant un demi-siècle d'une grande
prospérité et d'un complet repos. Vers la fin du XIVème
siècle, Alençon fut érigé en duché, par Charles VI, roi de France.
Henri V, roi d'Angleterre, s'en empara en 1417 et en fit don
au duc de Bedfort, son frère. En 1421, les Français reprirent
la ville, qui retomba au pouvoir des Anglais en 1428, puis revint
à Charles VII en 1440; mais les Anglais y rentrèrent 1444; enfin,
en 1450, ils eu furent définitivement chassés.

Le duché d'Alençon fut réuni à la couronne
en 1525. En 1559, la ville devint le douaire de Catherine de
Médicis, mère de Charles IX ; elle renfermait alors un grand
nombre de calvinistes et eut beaucoup à souffrir des querelles
religieuses. Les protestants, étant en majorité, pillèrent les
églises et dévastèrent les couvents ; néanmoins lorsque arriva
la St-Barthélemy, le brave Matignon, chef des catholiques vint
à bout d'empêcher toute sanglante représailles, et sauva la
vie aux protestants. Les ligueurs s'emparèrent de la ville d'Alençon
en 1589 ; elle fut reprise en 1590 par Henri IV lui-même, qui
fit alors détruire une partie du château. En 1605, il engagea
cette ville au duc de Wirtemberg, auquel il devait des sommes
considérables; Marie de Médicis, sa veuve, remboursa cet engagement,
et fut subrogée aux droits du duc. A sa mort, Alençon échut
à Gaston d'Orléans; puis, après avoir formé, en 1660, le douaire
de la veuve de ce prince, passa par mariage au duc de Guise.
Les guerres religieuses avaient continué à désoler la ville
; pendant le XVIIème siècle, les prédications des
pasteurs protestants et les réfutations des prêtres catholiques
y furent souvent l’occasion de graves désordres. La révocation
de l'édit de Nantes, en 1681, porta aux calvinistes un coup
terrible, et fut signalée à Alençon par des atrocités épouvantables.
La ville d'Alençon est située dans une grande et fertile
plaine entourée de forêts, au confluent de la Sarthe et de la
Briante elle est grande, bien bâtie, et entourée de cinq faubourgs
très agréables. Les rues sont généralement larges, bien pavées,
propres et assez bien percées. La principale de ses places publiques
sur laquelle s'élèvent l'hôtel de ville et le palais de justice,
communique à une magnifique promenade plantée de beaux arbres,
qui a beaucoup de ressemblance avec le bois et la grande allée
du jardin du Luxembourg à Paris.
Argentan

La voie romaine qui part de Bayeux,
Augustodurus, et dont les vestiges subsistent encore, aide à
retrouver, par la seule distance que donne la Table de Peutinger
pour Aregenuce, la position de ce lieu, que la Table désigne
comme capitale, et fixe cette position à Argentan. Plus tard,
cette ville fit partie du duché d'Alençon, et avait un château
fort dont il ne reste plus que de faibles ruines. Ce fut, dit-on,
dans ce château que le duc de Normandie, roi d'Angleterre sous
le nom de Henri II, reçut, en1168, les légats du pape, venus
pour terminer les différends qui existaient entre ce monarque
et Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry.
Cette ville
est agréablement située sur une hauteur qui domine une vaste
et fertile plaine bornée à l'est par la forêt d'Argentan elle
est traversée par l'Orne, bien bâtie, propre, bien percée, et
entourée de remparts qui offrent une promenade charmante. L'ancien
château d’Argentant, transformé entribunal et en prison, est
un grand bâtiment ayant trois pavillons sur le devant, avec
fenêtres à nervures et un cordon tracé tout à l'entour ; les
fossés étaient profonds, et ont été transformés en une petite
promenade sombre et enfoncée. Des murs qui enceignaient la ville,
il ne reste qu'un pan élevé, que l'on nomme le Donjon, situé
un peu au-dessus du château, et la Tour-Couronnée dont le crénelage
bien entier et le toit pointu n'ont éprouvé aucun dommage et
rappellent bien le XVème siècle.
Mortagne-au-Perche

Cette ville est bâtie dans, une forte
position, au sommet et sur le penchant oriental d'un coteau
au pied- duquel sont des sources qui donnent naissance au ruisseau
de là Chippe. Dans l'origine, elle était environnée de doubles
fossés, et défendue par deux châteaux forts, l'un situé au levant
sur une élévation artificielle, l'autre, entouré de hautes murailles,
placé au milieu de la ville; les murs qui la ceignirent naguère,
et dont on voit des restes, n'ont été construits qu'en 1614.
Mortagne a de tout temps prétendu au,titre de capitale du Perche,
que lui disputait Bellesme.
C'était autrefois une place
importante, qui fut, plusieurs, fois prise et ruinée. Robert,
roi de France, s'en empara en 997 ; Charles V la fit démanteler
en 1378; elle tomba au pouvoir des Anglais en 1424, mais Jean
II, duc d'Alençon, auquel elle appartenait, la leur reprit en
1449 et en fit rétablir les fortifications; les calvinistes
la livrèrent aux flammes en 1588.
Cette ville fut le théâtre
d'un combat sanglant en 1590, entre les ligueurs et les troupes
de Henri IV ; pendant les guerres de la Ligue, elle fut, dans
l'espace de trois ans et demi, prise, reprise et pillée vingt-deux
fois par les deux partis.
La position de Mortagne, sur le
sommet et le penchant d'une colline, donne à cette ville des
rues escarpées, d'autres en pente douce, et d'autres parfaitement
horizontales; mais la plupart d'entre elles, sont larges, assez
régulières, bordées de maisons propres, bien bâties et ornées
de beaux magasins. La grande rue que suit la roule de Brest,
s'élève par des rampes et des tournants fort bien ménagés jusque
sur la partie la plus haute, où elle traverse la place d'armes,
la plus grande et la plus belle de Mortagne.
Sées

Sées existait déjà à l'époque de la conquête
romaine. César fait l'éloge de cette contrée, habitée par les
Essuins, comme étant restée « plus calme » et « plus pacifique
» que toutes les autres.
Mais l'importance de Sées ne date
que des incursions des Saxons.
D'une bourgade, ils firent
une ville importante, bientôt conquise au Christianisme.
Saint Latrin, au IVème siècle, fut, croit-on, le
premier évêque de Sées.
La place fut prise et brûlée par
les Normands au commencement du Vème siècle, et c'est
avec les débris de ses remparts que l'on construisit la Cathédrale,
deux fois détruite dans le siècle suivant.
Pendant le Moyen-Age,
la ville fut plusieurs saccagée, notamment par Henri, roi d'Angleterre,
par Louis-le-Jeune, roi de France.
A la fin de la guerre
de Cent-Ans, elle fut reprise sur les Anglais par Dunois.
Pendant les guerres de la Réforme, Coligny s'en empara et
pilla la Cathédrale.
Cinq ans plus tard, Montgomery, autre
chef protestant, lui fit subir un sort plus funeste encore ;
la ville fut mise à feu et à sang, et ces fureurs ne contribuèrent
pas peu sans doute à déterminer plus tard les habitants à prendre
parti pour la Ligue.
Ils se soumirent néanmoins sans combat
à l'autorité de Henri IV.
Sées n'a guère conservé de ses
monuments antiques que sa Cathédrale, une des plus précieuses
constructions du Moyen-Age. Il ne paraît pas que sa construction
ail été achevée avant le XIIIème siècle. C'est un
édifice élégant, qui marque une période intéressante dans l'histoire
de l'art, le passage de l'ogive de son premier à son second
âge. Le fronton présente deux rangs d'arcades, construction
très rare dans les monuments du temps, ce qui a excité la curiosité
savante des archéologues. Deux Flèches à jours s'élèvent de
chaque côté à la hauteur de 70 mètres. Le dessus du portail
n'offre plus que les traces des sculptures et des riches ornementations
que les ravages du temps et des hommes ont fait disparaître.
L'inférieur de l'Église, orné de riches vitraux, produit un
admirable effet.
Parmi les évêques de Sées, on cite Bertaud,
poète célèbre de la fin du XVIème siècle, qui contribua
à la conversion de Henri IV, et en reçut cet évêché. Ses vers
galants furent fort à la mode de son temps.
Sa prose est
singulière. Dans l'oraison funèbre de Henri IV qu'il prononça
à Saint-Denis, il commençait ainsi : « Donc la misérable pointe
d'un vil et méchant couteau remué par la main d'une charogne
enragée, etc. »
Ses vers valent mieux que sa prose, et le
couplet suivant, souvent cité depuis par des gens qui en ignorent
l'auteur, est de Bertaud :
Félicité passée,
Qui
ne peut revenir,
Tourment de ma pensée,
Que n'ai-jc
en te perdant perdu le souvenir ?