LE département de la Vendée est formé du ci-devant
bas Poitou, et tire son nom de la rivière de la Vendée, qui y prend
sa source et le traverse du nord-est au sud-est. Ses bornes sont : au
nord-ouest, le département de la Loire-Inférieure; au nord-est, celui
de Maine-et-Loire; à l'est, celui des Deux-Sèvres; au sud-est, celui
de la Charente-Inférieure; au sud-ouest et à l'ouest, l'Océan. Le territoire
de ce département est très-varié, et peut-être n'y a-t-il pas dans toute
la France un seul département dont le sol présente autant de diversité
dans sa nature et dans ses produits : il se divise en quatre parties
bien distinctes et séparées : le Bocage, la Plaine, le Marais et les
Iles.
Le Bocage un peu plus de la moitié du département, dont il
occupe la partie septentrionale depuis la Sèvre nantaise et les limites
du département des Deux-Sèvres jusqu'au marais occidental et à l'Océan;
il tire son nom de la grande quantité de bois dont il est couvert, et
qui lui donne l'aspect d'un bois continu : on y voit cependant peu de
grandes forêts, mais chaque champ, chaque prairie est entourée d'une
haie vive qui s'appuie sur des arbres plantés irrégulièrement et fort
rapprochés, dont le tronc est un peu élevé ; tous les cinq ans on coupe
leurs branchages et on laisse une tige de douze ou quinze pieds. Ces
enceintes ne renfermant jamais un grand espace, le terrain est fort
divisé et généralement peu fertile en grains. Dans quelques parties
se trouvent des landes étendues de grands genêts ou d'ajoncs épineux;
toutes les vallées, et même les dernières pentes des coteaux, sont couvertes
de prairies. Vue d'un point élevé, la contrée paraît toute verte; seulement,
au temps des moissons, des carreaux jaunes se montrent de distance en
distance entre les haies. Quelquefois les arbres laissent voir le toit
aplati et couvert de tuiles rouges de quelques bâtiments, ou la pointe
d'un clocher qui s'élève au dessus des branches. Presque toujours cet
horizon de verdure est très-borné; quelquefois il s'étend à trois ou
quatre lieues. La partie la plus orientale du Bocage est hérissée de
collines qui se divisent en deux chaînes principales : la première,
dont le noyau est un granit assez dur, a sa direction du sud-est au
nord-est; elle commence aux environs de Montournais, occupe presque
toute la superficie du canton de Pouzauges, la partie orientale de celui
des Herbiers, tout le canton de Mortagne, et les parties orientales
et septentrionales de celui de Montaigu, où elle va se perdre dans le
département de la Loire-Inférieure; ses points les plus élevés sont
la montagne des Alouettes, celles de Saint-Michel-Mont-Mercure, de Pouzauges
et de Montournais. La seconde chaîne de collines, séparée de la première
par un vallon d'une demi-lieue de largeur, commence à Saint-Pierre du
Chemin, point le plus élevé, et se dirige du-nord-est au sud-ouest eu
s'abaissant insensiblement vers la rivière de la Vendée : elle occupe
tout le canton de la Châtaigneraie.
Ces collines donnent naissance
à des vallées étroites et peu profondes, où coulent de petits ruisseaux
dans des directions variées. Les chemins sont tous comme creusés entre
deux haies; ils sont étroits, et quelquefois les arbres joignant leurs
branches, les couvrent d'une espèce de berceau; ils sont bourbeux et
impraticables en hiver, et raboteux en été. Souvent, lorsqu'ils suivent
le penchant d'une colline, ils servent en même temps de lit à un ruisseau;
ailleurs ils sont taillés dans le rocher, et gravissent les hauteurs
par des degrés irréguliers. Tous ces chemins offrent un aspect du même
genre : au bout de chaque champ se voit un carrefour qui laisse le voyageur
dans l’incertitude de sur la direction qu'il doit prendre, et que rien
ne peut lui indiquer: les habitants eux-mêmes s'égarent fréquemment
lorsqu'ils veulent aller à deux ou trois lieues de leur séjour.
Dans les contrées voisines de là plaine, les chemins ont plus de largeur,
mais, établis sur une glaise molle et qui retient les eaux pluviales,
fréquentés par les bœufs dont le pas régulier y creuse à des intervalles
égaux des espèces de trous ou des sillons transversaux, appelés chapelets,
ils sont, pendant les deux tiers de l'année, entièrement impraticables
aux piétons et aux voitures, et dangereux même pour les cavaliers. Les
paysans qui voyagent à pied, grimpent sur les talus et suivent des sentiers
pratiqués derrière les haies, escaladent à chaque instant les barrières
ou échaliers qui séparent les champs, et traversent comme des sangliers
les parties les moins fourrées des clôtures.— Il est facile de concevoir
quelle teinte sombre et mélancolique donne sur tout le pays la multitude
d'arbres qui y croissent : le voyageur, enseveli pour ainsi dire dans
les chemins étroits et profonds où la lumière du soleil a de la peine
à pénétrer, se croirait perdu au milieu des déserts, si le chant lourd
et monotone du laboureur, et les traces de culture qu'il aperçoit de
temps en temps, ne l'avertissaient quelquefois qu'il n'est pas entièrement
séquestré de la société des hommes. Toutefois, cet aspect lugubre est
égayé par la variété des teintes du feuillage des arbres, par les fleurs
des genêts et des ajoncs qui couvrent une partie des champs consacrés
aux pâturages, et par celle des arbustes qu'elle a prodigués dans les
buissons, par les riches aspects que présente souvent la partie montueuse,
et enfin par le spectacle de l'industrie active et productive des cultivateurs.
En un mot, le Bocage, malgré ses landes stériles, malgré ses chemins
fangeux, qui pendant la moitié de l'année rendent les communications
fort pénibles, est sans contredit la partie la plus agréable du département.
La Plaine est la langue de terre comprise entre le Bocage et la limite
méridionale du département. Sa superficie est d'environ trente-sept
lieues carrées; sa largeur généralement de deux lieues, sur une longueur
d'environ treize lieues : elle se termine brusquement sur la rive droite
du ruisseau de Troussepoil, et s'incline à droite pour aller joindre
la mer, dont elle longe la cote en se rétrécissant insensiblement. Le
banc de pierre calcaire qui en forme le noyau, les coquillages entiers
que l'on rencontre disséminés sur la surface ou incrustés à de grandes
profondeurs, annoncent qu'elle est le produit des atterrissements successifs
qui remplirent ce vaste golfe où l'Océan avait séjourné. Quoique le
nom de Plaine semble indiquer que tout le territoire compris sous cette
dénomination soit assez uni, sa surface offre pourtant des inégalités
assez sensibles.
Le Marais occupe toute la partie des côtes occidentale
et méridionale du département qui fut autrefois couverte par la mer,
et dont la superficie totale est de soixante-dix lieues carrées. Ce
territoire se divise en trois parties distinctes : le Marais desséché,
le Marais mouillé et les Marais salants. Les Marais desséchés l'ont
été au moyen d'un canal de ceinture et d'une digue, nommée digue des
Hollandais, qui a permis de retenir les eaux supérieures et de leur
assigner un cours, en établissant sept canaux principaux qui, pendant
les grandes eaux, servent aux dessèchements, et pendant les sécheresses
aux irrigations. Les digues qui les bordent servent de chemins, les
tertres sont couverts de beaux villages, el les terres desséchées ont
été converties en belles prairies ou en terres labourables; ce pays
est riche en bestiaux et en grains; il est couvert de fermes bien bâties
qui en égayent la surface. Ces digues ou ceintures reçoivent, par le
moyen de vannes établies dans leur épaisseur, les eaux qui sont jugées
nécessaires par le maître des digues pour l'irrigation des canaux de
l'intérieur. Ces canaux se communiquent et servent, les uns à conduire
à la mer le superflu des eaux pluviales, les autres à les répandre dans
les fossés dont les propriétés particulières sont environnées. Les grands
canaux de dessèchement ont environ g mètres de largeur; ils sont garantis
du flux de la mer au moyen d'écluses à portes busquées, de trois à quatre
mètres de largeur entre les bajoyers.
L'habitant du Bocage est, ainsi que celui
de la Plaine, dit M. Labretonnière ,d'une constituions saine et
robuste; sa nourriture habituelle est le pain de seigle, la bouillie
de mil ou de blé noir; quelquefois un peu de lard, des légumes,
des fruits, du beurre, du lait et du fromage. Sa boisson est l'eau
de fontaine, rarement le vin, si ce n'est au cabaret qu'il est enclin
à fréquenter, sans être cependant adonné à l'ivrognerie. Il est
généralement sobre et économe, laborieux, tenace, opiniâtre même,
et néanmoins ami du plaisir ; le goût de la danse est un de ceux
qui chez lui dominent tous les autres. Son caractère est généralement
doux, officieux et hospitalier; ses mœurs sont simples et patriarcales.
Religieux observateur de sa parole, il lient avec la même exactitude
les engagements verbaux et ceux écrits. Ignorant à l'excès, et conséquemment
crédule, il n'en est pas moins doué d'une certaine mobilité d'imagination
qui le rend propre à recevoir des impressions fortes : de là son
goût pour les histoires extravagantes de loups-garous, de revenants,
et pour tout ce qui tient au merveilleux. Il y a peu de veillées,
en hiver, où des contes de cette nature ne soient débités avec emphase
et recueillis avec avidité; mais rien n'égale l'intrépide charlatanisme
de certains conteurs, si ce n'est la stupidité de ceux qui les écoulent.
Ces conteurs passent pour des êtres privilégiés de la nature, doués
du pouvoir de deviner le passé, de lire dans l'avenir, de guérir
les hommes et les animaux malades, de retrouver les effets perdus,
d'exciter l'amour ou la haine entre deux amants, etc., etc. Ce qui
paraît inconcevable, c'est que les âneries journalières de ces prétendus
sorciers ne guérissent pas le peuple de sa crédulité. Ils jouissent
au contraire d'une considération marquée dans les réunions de famille
; et, après le diable et le curé du lieu, un sorcier est pour le
paysan du Bocage l'être le plus respecté et le plus redouté.
Avec l'apparence de la plus saine et de la plus robuste constitution,
une haute stature, des épaules larges et des muscles prononcés,
l'habitant du Marais n'est en général ni aussi fort, ni aussi vigoureux
que celui du Bocage. Ses occupations habituelles sont le labourage,
la récolte et l'entretien des fossés. Ce dernier travail, d'une
nécessité indispensable, occupe la plus grande partie de l'année,
et peut être compté au nombre des causes principales qui altèrent
la santé du Maraichain.
Sa nourriture est le pain d'orge mêlé de froment, des légumes, des viandes salées, du lait caillé, et quelques fruits qui lui viennent du Bocage. Comme le pays ne produit pas de raisins, la boisson habituelle du Maraichain est l'eau des canaux et des fossés, autre cause grave de ses maladies. Ce régime n'est cependant pas général, et il est peu de pays où les contrastes soient aussi frappants que dans le Marais. Les cultivateurs-propriétaires ou les gros fermiers, connus sous la désignation de Cabaniers, mènent une vie bien différente de celle du pauvre agriculteur; ils se nourrissent de pain blanc de la meilleure qualité; leurs celliers sont toujours remplis de bons vins de la Plaine, de Saintonge ou de Bordeaux. Quelques-uns sont servis en argenterie, et si un étranger vient les visiter, ils ont toujours un beau canard ou quelque autre volaille grasse à lui offrir. Leurs maisons, appelées cabanes, sont bâties au rez-de-chaussée, afin que le vent, dont aucun arbre n'amortit l'impétuosité, ait moins de prise sur elles. L'intérieur est tenu avec propreté; les meubles sont simples, mais solides et bien conditionnés. Les lits sont remarquables par leur hauteur prodigieuse et leur mollesse. Les deux ou trois habits que le cabanier endosse l'un sur l'autre, sont de bonne étoffe et souvent de drap fin. Le linge blanc de la cabanière, le gros cœur d'or qu'elle porte au cou, les chaînes d'argent qui pendent à sa ceinture, la propreté de ses vêtements, le dur éclat de leurs couleurs tranchantes où le rouge vif domine, sont les indices de l'opulence de la maison, qui s'annonce au dehors par un train analogue : autant de maîtres, autant de juments bien étoffées, bien rebondies, autant de gros et lourds valets aussi bien montés que les maîtres. A l'exception de ces cabaniers, que leur commerce oblige à de fréquents déplacements, les habitants du Marais, privés de toutes communications avec les villes, sont généralement grossiers, incivils, et passent pour n'avoir qu'une intelligence médiocre. Leur vie doit paraître triste et misérable; cependant ces digues isolées, ces demeures presque cachées sous les eaux, renferment une population heureuse de son sort. La cabane de roseaux du Maraichain, quoique ouverte à tous les vents, n'est pas sans charme à ses yeux. Les vaches, qu'il nourrit presque sans frais, lui fournissent du beurre et du laitage ; ses filets lui procurent en quelques heures plus de poisson qu'il n'en peut manger dans une semaine; avec son long fusil il fait, pendant l'hiver, une guerre lucrative aux nombreux palmipèdes qui couvrent le Marais ; le fumier de ses bestiaux et les plantes aquatiques qui croissent autour de sa cabane, lui fournissent un combustible suffisant pour le défendre contre la rigueur du froid. Pendant la belle saison, une multitude de canards couvre les fossés et les canaux voisins ; ils s'y nourrissent facilement, et le cabanier n'a eu d'autre soin à prendre que celui de les faire éclore. Ses champs lui offrent d'abondantes récoltes : il voit le froment, l'orge, le chanvre et le lin croître sous ses yeux et lui présenter de nouveaux moyens d'existence et de nouvelles matières à des spéculations avantageuses. Point de procès, point d'ambition, point d'orgueil, point d'attache trop vive aux biens de la terre; son seul désir, c'est de rendre heureux tout ce qui l'entoure. Sa paroisse et les villages voisins, voilà tout ce qu'il connaît de la France. Content de son état, il ne cherche point à en sortir; il n'a nul besoin de la protection des autorités, nulle envie d'obtenir, la bienveillance du riche ; il est roi dans sa cabane. Tel vieillard des rives de la Sèvre meurt dans ces retraites inaccessibles et mystérieuses sans avoir jamais vu de plaine, de montagne, de grande ville; sans avoir connu aucun de ces spectacles que l'industrie humaine et la nature offrent ailleurs à l'admiration. Le Marais, les digues, les canaux et les fossés, les barques qui s'y croisent sous des berceaux de verdure, les déserts marécageux où l'on n'entend que le seul gazouillement des oiseaux, et, de loin en loin, le chant cadencé d'un yoleur, ont été son univers. Les Huttiers, nom qu'on donne aux habitants des marais mouillés, conduisent avec une adresse remarquable leur léger batelet. Un spectacle réellement récréatif pour l'étranger observateur, c'est d'être témoin de leurs promenades par un beau jour. Plusieurs familles s'embarquent dans une petite flotte de batelets qui, placés à une égale distance, vont tous avec une égale vitesse; de manière que, rangés deux à deux, ils ne ressemblent pas mal de loin à plusieurs piétons qui se promèneraient coude à coude. C'est ainsi que les Huttiers vont aux noces de leurs parents, vont faire leurs visites, et vont le dimanche entendre la messe au village, qui ordinairement est placé sur un terrain qui domine le reste du Marais. « Il existe encore dans les marais de là Vendée, dit M. Dufour, une autre race d'hommes connus sous le nom de Colliberts, dont le domicile habituel avec toute leur famille est dans des bateaux. C'est une race vagabonde et presque sauvage, que l'on croit être les descendants des anciens Agesinates Combolectri, chassés de leur territoire par les Scythes Théiphaliens, et dispersés plus tard par les Normands. Ces malheureux, que les autres habitants ne regardent qu'avec une espèce de mépris superstitieux, s'adonnent principalement à la pêche, dont les produits suffisent à leur nourriture et à leurs besoins. On les regarde comme des espèces de Crétins ; mais on peut être sale, dégoûtant même dans ses vêtements, paraître idiot, hébété dans toutes ses actions, avoir le regard effaré, sans être Crétin. Tout porte à croire que leur maladie principale tient au manque d'éducation, à leur genre de vie et à la privation de communications avec les autres hommes. Les Colliberts se tiennent principalement vers les embouchures du Lay et de la Sèvre niortaise; il ne faut pas les confondre avec les Huttiers des marais, quoiqu'on leur donne parfois ce dernier nom. Les Colliberts ne s'allient qu'entre eux et forment une race particulière qui diminue chaque jour, et finira inévitablement par s'éteindre. Il est remarquable que pendant les temps féodaux ces malheureux n'ont jamais été soumis à la servitude réelle qui pesait sur les autres paysans. Ils avaient la liberté de quitter, sans l'autorisation des seigneurs, les lieux où ils étaient nés; on les appelait alors homines conditionales; cependant la plupart d'entre eux, afin de mieux assurer leur liberté, se mettaient sous la protection de quelques abbayes auxquelles ils se chargeaient de fournir le poisson nécessaire à la table des religieux. »
On désigne sous le nom de Marais mouillé la partie
du marais située hors des ceintures. Les endroits les moins bas de cette
partie sont ensevelis sous les eaux depuis mi octobre jusqu'à la mi-juin,
et quelquefois plus tard ; les bas-fonds ne dessèchent jamais. Pour
en tirer parti, on les a coupés de canaux innombrables qui se communiquent
tous, et ne sont séparés les uns des autres que par des terriers de
quatre à cinq mètres de largeur, rechargés en couronne du produit de
l'excavation. Les terriers, extrêmement fertiles, sont tous plantés
en saules, en frênes, en aubiers, en peupliers, et quelquefois en chênes
: l'émonde de ces arbres, qui ne se brûle pas sur les lieux, s'exporte
en fagots à la Rochelle et à l'île de Ré ; les troncs, appelés cosses
de marais, très recherchés dans la Plaine, produisent un feu brillant
et inextinguible. Dans les parties les plus basses, au milieu des plantes
marécageuses de toute espèce que la nature y a prodiguées, des espaces
assez considérables se trouvent occupés par le roseau (Arundo phragmites),
qui sert à chauffer le four où l'on cuit le pain, à couvrir les cabanes
des Huiliers et les servitudes de quelques fermes, et à fasciner les
digues.
Les habitants de ce pittoresque séjour semblent, au
premier coup d'œil, les plus malheureux des hommes. Leurs chaumières
de branchages et de boue sont couvertes de roseaux. Le même toit recèle
le père, la mère, presque toujours une nombreuse suite d'enfants, une
ou deux vaches, quelques brebis et les chiens; et tous ces êtres n'ont
souvent, pour prendre leurs ébats, qu'une langue de terre de vingt-cinq
à trente pas. Ignorés du reste du monde, ils vivent, au fond de leurs
labyrinthes inaccessibles, du produit de leur pêche et du lait de leurs
vaches, dont ils vont chercher la nourriture en bateau dans les canaux
environnants. Le silence de ces déserts marécageux, qui n'est interrompu
que par le cri de quelques oiseaux aquatiques; l'ombre mystérieuse que
répandent sur les canaux les branches enlacées des arbres; la pâleur
et l'air misérable des habitants; celle lisière étroite qui semble mettre
entre eux et les autres hommes un intervalle immense; la teinte sombre
du paysage, tout inspire an premier aspect un sentiment pénible de mélancolie
et d'horreur dont il est difficile de se défendre. Mais en pénétrant
dans l'intérieur, la fraîcheur des berceaux, les sinuosités de ces promenades
liquides, les variétés innombrables d'oiseaux qu'on rencontre à chaque
pas et qu'on ne rencontre que là, font succéder à ce premier sentiment
un recueillement qui a aussi ses charmes.
Le sol des Marais salants
est divisé de quart de lieue en quart de lieue par des étiers ou canaux
parallèles, de douze pieds de large sur six de profondeur, qui reçoivent
à la marée montante les eaux de la mer et les conduisent dans les aires
où le sel se forme. Ces étiers sont garnis d'écluses pour laisser écouler
les eaux à la marée basse, ou les retenir à volonté. Les aires salines
restent constamment couvertes de six à huit pouces d'eau salée. Elles
sont entourées de bossis ou digues assez élevées pour être livrées à
l'agriculture; ces bossis servent, après la récolte, de chaussées pour
le passage des piétons. Le sel se forme pendant l'été dans les aires
par l'évaporation spontanée des eaux de la mer à la chaleur du soleil.
Le nombre d'œillets on aires des marais salants actuellement en rapport
dans le département, y compris ceux de l'île de Noirmoutier, est d'environ
soixante-quinze mille. Les iles sont au nombre de quatre : l'île de
Bonin, l'île Dieu, l'île de Noirmoutier et l'île du Pilier.
Note : ce site officiel
du ministère de la culture vous donne toutes
les informations relatives à tous les lieux
et objets inscrits au patrimoine de chaque commune
d'un département.
Superficie :672
000ha
Population: 641 657 hab.(2009)
Dénsité :95 hab./km²
Nb de communes : 282
Pendant la période gauloise,
le pays qui forme aujourd'hui le département de la Vendée
était habité par les Pictones, puissante confédération
à laquelle appartenaient trois tribus alliées dont les
noms sont parvenus jusqu'à nous : les Ambiliates, dont
les possessions réunies plus tard à l'Anjou, notamment
le pays de Mauge, se prolongeaient jusque vers les rives
de la Sèvre Nantaise; les Anagnutes ou Agnotes, qui
occupaient la partie de la province désignée dans la
suite sous le nom de pays de Rais, près du duché de
Retz, et la contrée de Pareds, jusqu'aux Alpes vendéennes
; enfin, les Cambolectri Agesinates, qui tenaient les
bords de la mer et s'avançaient jusqu'à une certaine
distance dans l'intérieur des terres. Ces derniers fournirent
leurs marins à César pour l'aider à réduire les Vénètes,
et valurent à la province entière l’amitié des vainqueurs
et l'exemption de certains impôts dont furent grevés
les autres peuples ; ce qui fait dire à Lucain Pictones
imnunes. La conquête compliqua ces divers éléments de
population. Des Sarmates et des Teiffaliens furent envoyés
en garnison dans le Poitou ; c'est une colonie de ces
derniers qui a laissé dans Tiffauges un souvenir de
son séjour et de son nom. La maison de Lusignan passe
pour être issue de cette race.
L'invasion des barbares,
l'établissement du Christianisme, l'envahissement et
la défaite des Wisigoths ne se signalent dans la Vendée
par aucune particularité notable ; il en est de même
pour toute l'époque mérovingienne. Cette contrée, comme
le reste du Poitou, reste attachée au sort du duché
d'Aquitaine, et, comme elle en formait l'extrême frontière
au nord-ouest, une marche fut créé commune au Poitou
et à la Bretagne, territoire neutre de deux à quatre
kilomètres de largeur sur 60 kilomètres de longueur.
Ce canton, exempt de tailles, gabelles et tous droits
fiscaux, était arrivé à un haut degré de prospérité
; nulle autre part l'agriculture n'avait fait plus de
progrès. Une autre marche séparait le Poitou de l'Anjou
et était commune à ces deux provinces. C'est la région
qui, parallèle au cours de la Loire, répond dans la
division populaire de la Vendée au mot de Plaine, en
opposition au bocage et au Marais. Nous aurons à revenir,
dans l’appréciation des évènements contemporains, sur
cette division et sur l'influence que la diversité du
sol a exercée sur les mœurs et le caractère des populations.
Nous traversons encore toute la période carolingienne,
l'époque des Maures et des Normands, sans rencontrer
·un seul fait important qui ne se rattache ou à l'histoire
générale de la province, ou aux annales particulières
des villes ou des bourgs ; nous voyons seulement, en
1317, le pape Jean XXII diviser en trois évêchés le
Poitou, qui n'avait eu jusqu'alors que celui de Poitiers,
et les deux nouveaux sièges sont placés dans la Vendée,
à Maillezaie et Luçon.
Les empiètements de la féodalité,
les péripéties de la lutte contre l'Angleterre, la reconstitution
du pouvoir central, les guerres de religion, les agitations
de la Ligue el de la Fronde passèrent sur le bas Poitou
sans que les calamités que ces évènements y attirèrent
se recommandent à l'attention de l'historien par aucun
retentissement exceptionnel ; le pays, dans ce diverses
phases, n’affecte pas encore de physionomie particulière
; il n'y joue qu'un rôle passif et ne figure que comme
partie intégrante de la province.
D'où lui vient donc, à la fin
du dernier siècle, cette notoriété subite, qui lui fait
désormais une place à part dans les annales contemporaines
? Nous croyons que l’histoire de la Vendée moderne est
encore à faire ; nous croyons qu’il est bien difficile
à tout homme de notre temps de se dépouiller assez complètement
des passions présentes, pour porter un jugement vrai
sur ce drame formidable que chacun envisage encore aujourd'hui
au point de vue de ses espérances ou de ses regrets.
Le caractère de loyale impartialité que nous cherchons
à donner à nos notices nous interdit donc toute appréciation,
et nous nous bornerons à exposer les faits en recherchant
les causes les plus probables. C'est ici l'occasion
de revenir sur cette division topographique de la Vendée
dont nous avons déjà dit quelques mots. En descendant
la Loire, sur la rive gauche du fleuve, après l'étroite
et longue plaine qui formait autrefois les marches d'Anjou
et de Bretagne, on rencontre un pays accidenté, couvert
de bois, adossé, à l'est, à une chaine de montagnes,
d'une médiocre élévation, mais d'un accès peu pratique,
et s'abaissant à l'ouest jusqu'à la région appelée Le
Marais ; cet espace intermédiaire est le Bocage. Plus
isolé ; plus impénétrable encore, le Marais est une
espace de triangle resserré entre la mer, la Loire et
le Bocage ; le sol humide et bas se compose de prairies
coupé par une infinité de petites rivières, pat leurs
affluents et par des canaux de jonction que leurs eaux
se sont creusés; chaque champ est entouré de haies formées
d'arbres touffus et élevés qui donnent au pays l'aspect
d'une forêt immense ; les rares chemins étroits, fangeux,
profondément encaissés, serpentent sous ces voutes épaisses
où arrive à peine la clarté du jour. Qu'on ajoute à
ces obstacles naturels les barrières que l'ancienne
organisation administrative et politique élevait entre
les provinces du même État, entre les seigneuries de
la même province ; qu'on se rappelle la longue indépendance
de la Bretagne, l'isolement d'une côte sans commerce,
entre les deux grands ports de Nantes et de La Rochelle,
et on comprendra dans quel oubli de tous, dans quelle
ignorance des faits nouveaux et des idées qui en surgissent,
devait vivre, ayant la Révolution, ce pays perdu, ce
bout du monde français, ce bas Poitou, la Vendée.
En 1789, on en était encore aux vieux souvenirs des
guerres contre les Anglais : les exploits du roi et
des seigneurs qui, avaient défendu la France, la tradition
des miracles qui l'avaient sauvée alimentaient encore
les récits de la veillée ; les agitations du XVIème
et du XVIIème siècle y avaient à peine troublé
quelques viles; mais les ardeurs réformistes, les intrigues
de la Fronde, la propagande philosophique, l'indiscipline
des parlements n'avaient trouvé aucun écho dans ces
naïves populations. La difficulté des communications
enchainant le clergé et le noble près du paysan avait
établi entre les trois classes des rapports d'intimité,
presque de famille, inconnus dans le reste de la France,
et qui plaçaient le vassal reconnaissant et soumis sous
l'influence exclusive de son curé et de son seigneur.
D'ailleurs n'avaient-elles pas aussi leur poésie, ces
traditions intimes du village ! Dieu et le Roi,
cette double manifestation de la puissance divine et
humaine, cette protection sur la terre, cette récompense
dans le ciel, ce symbole de justice et de bonté autour
duquel on ne laissait planer aucune ombre, aucun soupçon,
ne devait-il pas suffire à remplir ces cœurs simples,·
confiants et fidèles ?
Les premiers actes de la
Révolution passèrent, inaperçus ; la portée n'en fut
pas comprise. Comment préjuger les conséquences de principes
qui n'avaient pénétré dans aucune intelligence ? La
captivité du roi, la persécution des nobles, le schisme
dans l'Église à l'occasion du serment constitutionnel,
voilà les faits par lesquels se révéla le grand drame
; et pour seul interprètes à ces faits, le prêtre qui
se cache et le seigneur dépossédé I Ce n'est pas tout:
à ces motifs de mécontentement et d'aversion vient s'ajouter
pour chacun une atteinte plus personnelle, qui comble
la mesure et détermine l'explosion c'était la conscription
et les levées extraordinaires. Le Vendéen est brave,
il devait bientôt le prouver : ce n'est pas la mort
qu'il redoute, mais l'absence des siens ; l'éloignement
du foyer. Et dans quels rangs fallait-il aller combattre
? Parmi eux qui avaient chassé le roi de son château
et Dieu de ses églises !
Au milieu des luttes civiles
et étrangères que la Révolution soutenait pour le triomphe
des principes qu'elle avait proclamés, ils relevèrent
le drapeau de la royauté en face de la république incomprise
; les deux forces se heurtèrent et une guerre de géants
commença.
Quelques émeutes partielles et une fermentation
sourde annonçaient que la levée de 1793 éprouverait
de grandes difficultés ; cependant il y avait encore
hésitation, lorsque, le 10 mars, un coup de canon tiré
imprudemment, dans la ville de SaintFlorent-le-Vieil,
sur des conscrits réfractaires, porta la rage dans tous
les cœurs et hâta la crise. Le soir même, six jeunes
gens, qui rentraient dans leur famille, traversant le
bourg de Pin-en-Mauge, y furent accostés par un homme
qui, les bras nus, pétrissait le pain du ménage et,
venant d'apprendre l'épisode de Saint-Florent, leur
en demanda les détails ; c'était un colporteur marchand
de laine, père de cinq enfants; il se nommait Cathelineau
et avait dans tous les environs la réputation d'un homme
d'intelligence et d'énergie. Il était rempli d'une indignation
qu'il sut communiquer à ses auditeurs ; ils sont vingt-sept
et n'ont à la main que des bâtons; dans trois mois,
ils seront vingt mille et assiègeront Nantes sous les
ordres du généralissime Cathelineau. La petite troupe,
en effet, recrute des forces de métairie en métairie;
elle arrive, le 14, à La Poitevinière. Le tocsin sonne
de clocher en clocher. A ce signal, tout paysan valide
fait sa prière, prend son chapelet et son fusil, ou,
s'il n'a pas de fusil, sa faux retournée, embrasse sa
mère ou sa femme, et court rejoindre ses frères à travers
les haies. Le château de Jallais, défendu par un détachement
du 84° régiment de ligne et par la garde nationale de
Chalonnes, est attaqué. Le médecin Rousseau, qui la
commande, fait braquer sur les assiégeants une pièce
de six ; mais les jeunes gars improvisent la tactique
qui leur vaudra tant de victoires : ils se jettent tous
à la fois ventre à terre, laissent passer la mitraille
sur leurs têtes, se relèvent, s'élancent et enlèvent
la pièce avec ses artilleurs. Ces premiers progrès donnent
à la révolte d'énormes et rapides développements ; mais
elle eut à lutter contre le plus énergique pouvoir qui
ail jamais gouverné la France. Le 13 mars, la Convention,
faisant la part de l'égarement fanatique des uns et
de l'hostilité intéressée des autres, rend un décret
dont l'article 6 condamne à mort les prêtres, les ci-devant
nobles, les ci-devant seigneurs, leurs agents ou domestiques,
ceux qui ont eu des emplois ou exercé des fonctions
publiques sous l'ancien gouvernement ou depuis la Révolution,
pour le fait seul de leur présence en pays insurgé.
Cette sommation, si elle ne parvenait pas à étouffer
la guerre, devait lui donner un caractère ouvertement
politique. C'est ce qui arriva. Les paysans, trop enivrés
de leurs premiers triomphes pour renoncer à la lutte,
trop clairvoyants cependant pour ne pas sentir l'insuffisance
de leurs ressources dans la direction d'une guerre sérieuse,
s'adressèrent à ceux dont le décret faisait les principaux
intéressés ; c'est ainsi que MM. de Charette, de La
Rochejaquelein, de. Lescure, d'Elbée, de Bonchamp, Dommaigné,
durent accepter des commandements et passèrent à l'improviste
de la retraite au champ de bataille. Les ordres de rassemblement
portaient : « Au saint nom de Dieu, de par le Roi,
la paroisse de... se rendra tel jour à tel endroit,
avec ses armes et du pain. ». Là, on s'organisait
par compagnie et par clocher ; chaque compagnie choisissait
son capitaine par acclamation; c'était, d'ordinaire,
le plus fort et le plus brave. Tous lui juraient obéissance
à la vie et à la mort. Ceux, qui avaient des chevaux
formaient la cavalerie. L'aspect de ces troupes était
des plus étranges : c'étaient des hommes et des chevaux
de toutes tailles et de toutes couleurs; des selles
entremêlées de bâts; des chapeaux, des bonnets et des
mouchoirs de tète; des reliques attachées à des cocardes
blanches; des cordes et des ficelles pour baudriers
et pour étriers; une précaution que personne n'oubliait,
c'était d'attacher à sa boutonnière, à côté du chapelet
et du Sacré-Cœur, sa cuiller de bois ou d'étain. Les
chefs n'avaient guère plus de coquetterie. Les capitaines
de paroisse n'ajoutaient à leur costume villageois qu'une
longue plume blanche, fixée à la Henri IV, sur le bord
relevé de leur chapeau.
La masse des combattants
vendéens se divisait en trois classes : la première
se composait de gardeschasse, de braconniers, de contrebandiers,
excellents tireurs, la plupart armés de fusils à deux
coups et de pistolets. Ils formaient le corps des éclaireurs
; ils n'avaient pas besoin des officiers pour les commander
; ils se portaient rapidement le long des haies et des
ravins, sur les ailes de l'ennemi qu'ils cherchaient
toujours à dépasser. Ils ne tiraient qu'à portée, et
il était rare qu'ils manquassent leur coup. La seconde
classe était celle des paysans les plus déterminés et
les plus exercés au maniement du fusil. C'était la troupe
des braves ; ils avaient appris à se connaitre dans
les combats. Les plus entreprenants soutenaient les
tirailleurs que l'on regardait comme les premiers soldats
de l'armée ; les autres attaquaient sur la ligne de
l'ennemi, mais ils ne marchaient sur lui que lorsque
les ailes commençait aient à plier. La troisième classe,
composée du reste des paysans, la plupart mal armés,
formait une masse confuse autour des canons et des caissons,
que l'on tenait toujours à une grande distance ; la
cavalerie, composée des hommes les plus intelligents,
servait à la découverte de l'ennemi, à l'ouverture de
la bataille, à la poursuite des fuyards, et surtout
à la garde du pays après la dispersion des soldats.
Quand les combattants se trouvaient réunis, pour une
expédition, au lieu qui leur avait été désigné, avant
d'attaquer les bleus ou d'essuyer leur charge, la troupe
entière tombait à genoux, chantait un cantique et recevait
l'absolution du prêtre, qui, après avoir béni les armes,
se mêlait souvent dans les rangs pour assister les blessés
ou ramener les fuyards en leur montrant le crucifix.
La tactique des Vendéens était presque toujours la même.
Pendant que leur avant-garde attaquait l'ennemi de front,
tout le corps d'armée l'enveloppait, en se dispersant
à droite et à gauche au commandement : Égaillez-vous
! les gars ! Ce cercle invisible se resserrait en
tiraillant à travers les haies, et si les bleus ne parvenaient
point à se dégager, ils périssaient tous dans quelque
carrefour ou dans quelque chemin creux. Arrivés en face
des canons dirigés contre eux, les plus intrépides Vendéens
s'élançaient en faisant le plongeon à chaque décharge
(Ventre à terre, les gars!) et s'emparaient des
pièces en exterminant les canonniers. Au premier pas
des républicains en arrière, un cri sauvage des paysans
annonçait leur déroute ; ce cri trouvait à l'instant
et de proche en proche mille échos effroyables, et tous,
sortant comme une fourmilière des broussailles, des
genêts, des coteaux et des ravins, se ruaient corps
à corps à la poursuite et au carnage·. Chacun démontait
un bleu, l'égorgeait ou lui brulait la cervelle, et
lui prenait son cheval, son agent et ses armés. On conçoit
quel était l'avantage des indigènes dans ce labyrinthe
fourré du Bocage, dont eux seuls connaissaient les détours.
S'ils étaient vaincus, ils trouvaient le même avantage
pour fuir ; aussi leurs chefs avaient-ils toutes les
peines du monde à les rallier. Au reste, il ne fallait
pas que la durée des expéditions dépassât plus d'une
semaine. Ce terme arrivé, quel que fût le dénouement,
le paysan retournait faite sa moisson, embrasser sa
femme et prendre une chemise blanche ; quitte à revenir
avec une religieuse exactitude au premier appel de ses
chefs. Le respect de ces habitudes était une des conditions
du succès ; on en eut la preuve lorsque, le cercle des
opérations s'élargissant, on voulut assujettir ces vainqueurs
indisciplinés à des excursions plus éloignées et à une
plus longue présence sous les armes. Tout Vendéen fit
d'abord la guerre à ses frais, payant ses dépenses de
sa bourse et vivant de l'humble pain de son ménage.
Plus tard, quand les châteaux el les chaumières furent
brulés, on émit des bons au nom du roi ; les paroisses
se cotisèrent pour les fournitures de grains, de bœufs
et de moutons. Les femmes apprêtaient le pain, et, à
genoux sur les routes où les paysans devaient passer,
elles récitaient le chapelet en attendant les soldats
auxquels elles offraient l'aumône de la foi.
Durant l’hiver 1793-1794, la Terreur frappe « l’exécrable Vendée » où la position des ailes des moulins informait les insurgés de l’avancée des « Bleus ». Le général Turreau, avec ses colonnes infernales, pille et massacre tout le département. L‘objectif reconnu étant de « transformer la Vendée en cimetière national », pour ensuite la repeupler avec des bleus. Ainsi, il est arrivé que l’on écorche les victimes et qu’on tanne leurs peaux pour des usages vestimentaires ! A Clisson, on fait fondre les corps afin d’en récupérer la graisse pour les charrettes. La Convention et son représentant Carrier font de la Loire la « baignoire nationale » au travers des multiples noyades perpétrées, avec en point d’orgue les « mariages républicains » au cours desquels un homme et une femme sont attachés et jeter à l’eau. Les prisons et les camps à ciel ouvert conçus comme des mouroirs ont quant à eux pu être désignés comme « les antichambres de la mort »
Les paroisses armées communiquaient
entre elles au moyen de courriers établis dans toutes
les communes et toujours prêts à partir. Ces courriers,
connaissant les moindres détours du pays, se glissaient
invisibles à travers les lignes des bleus. C'étaient
souvent des enfants et des femmes qui portaient dans
leurs sabots les dépêches de la plus terrible gravité.
Les Vendéens avaient organisé une correspondance télégraphique
au sommet de toutes les hauteurs, de tous les moulins
et de tous les grands arbres de leur pays. Ils appliquaient
à ces arbres des échelles portatives, observaient des
plus hautes branches la marche des bleus, et tiraient
un son convenu de leurs cornes de pasteur. Ce son, répété
de distance en distance, portait la bonne ou la mauvaise
nouvelle à tous ceux qu'elle intéressait. La disposition
des ailes de moulin avait aussi son langage. Ceux de
la montagne des Alouettes, près des Herbiers, étaient
consultés à toute heure par les divisions du centre.
Pour tous, la Vendée représente le culte du passé
; que ce soit sa gloire ou son erreur, elle a payé l'une
ou expié l'autre chèrement; désormais, c'est son caractère
dans l'histoire. Près d'un siècle s'est écoulé depuis
depuis la fin de l'épopée vendéenne ; ce temps a sans
doute dû suffire à la complète pacification des cœurs,
à l'effacement d toutes les haines ; il a certainement
cicatrisé bien des plaies. L’antagonisme des villes
et des campagnes, ce trait si caractéristique des anciennes
discordes, va chaque jour s'amoindrissant, grâce aux
nouvelles relations qu'ont créées la division du sol,
l'extension du commerce, le perfectionnement des voies
de communication et l'établissement des chemins de fer.
Quoiqu'il ait conservé une frappante originalité, l'aspect
du pays a changé considérablement. On y a multiplié
les routes départementales, les chemins de grande vicinalité
; enfin, les parties autrefois les moins accessibles
ont été sillonnées, après 1830, par des voies dites
stratégiques. Les constructions ravagées pendant la
guerre ont été rebâties sur des plans plus modernes.
Le fanatisme disparait avec l'ignorance, la population
reprend possession d'elle-même: elle a aujourd'hui sa
place et sa part dans la vie commune de la France, et
rien ne serait assez fort pour briser la sincère et
intime alliance qu'elle a contractée.
La Vendée offre
encore trois types bien distincts: les habitants des
villes, qui ont accepté des premiers l'uniformité des
mœurs et des habitudes modernes; les paysans de la Plaine
et du Bocage, semblables entre eux, race saine, robuste,
sobre, hospitalière, fidèle à la parole donnée, impressionnable,
poétique dans sa naïveté, passionnée pour le merveilleux;
mais encore trop entachée d'ignorance et trop tournée
vers la superstition; enfin, le maraichin, l'hôte du
Marais, qui, seul aujourd'hui, peut faire comprendre
le Vendéen d'autrefois. Voici quelques traits empruntés
à un des écrivains contemporains qui ont le mieux étudié
ce pays. Sa paroisse et les villages voisins, voilà
tout ce qu'il connait de la France. Content de son état,
il ne cherche pas à en sortir. Il n'a nul besoin des
autorités, nulle envie d'obtenir la bienveillance du
riche. Il est roi dans sa cabane. Tel vieillard des
rives de la Sèvre meurt dans ces retraites inaccessibles
sans jamais avoir vu de montagne, de plaine, de grande
ville ; sans avoir connu aucun de ces spectacles que
l'industrie humaine et la nature offrent ailleurs à
l'admiration. Le Marais, les digues, les canaux et les
fossés, les barques qui s'y croisent sous des berceaux
de verdure, les déserts marécageux où l'on n'entend
que le seul gazouillement des oiseaux, et, de loin en
loin, le chant cadencé d'un yoleur, ont été son univers.
Cette ville occupe l'emplacement
de l'antique Roche-sur-Yon, château immense dont la
fondation a dû être antérieure aux croisades et remonter
aux premiers siècles de la monarchie; il s'élevait sur
une roche coupée à pic vers la rivière, et dont le sommet
forme un grand plateau que deux ravins isolent latéralement.
Vers le milieu du XIVème siècle, ce château
appartenait à Louis II, comte d'Anjou ; par la trahison
de Jean Blondean, son gouverneur, il tomba au pouvoir
du prince Noir. Quatre ans après, en 1373, il fut repris
par Olivier Clisson. La Roche-sur-Yon devint ensuite
une des nombreuses possessions de la maison de la Trémouille,
puis passa à la maison de Bourbon, et fut érigée en
principauté. Pendant les guerres de religion, le château
fut souvent pris, et souffrit diverses dégradations
; il fut enfin totalement démantelé sous le règne de
Charles IX ou sous celui de Louis XIII. En 1793, les
républicains se cantonnèrent dans ses débris, et achevèrent
de les renverser ce qui en restait, vaste amas de ruines
informes, a été employé en grande partie aux édifices
de la ville nouvelle. les derniers vestiges viennent
de disparaitre par la construction de la grande caserne
qui, non encore terminée, occupe avantageusement l'emplacement
de l'ancienne forteresse. Le vieux bourg remplit le
ravin entre la caserne et la ville, et forme un petit
quartier assez triste.
En 1805,le site de la Roche-sur-Yon
fut choisi pour chef-lieu du département de la Vendée
par Napoléon, qui consacra trois millions pour l'édification
des grandes constructions d'édifices indispensables
à un chef-lieu de préfecture. Napoléon appela sur les
lieux des ingénieurs militaires et civils pour surveiller
les travaux : préfecture, municipalité, tribunaux, casernes,
lycée, cathédrale, hospice, promenades publiques; tout
fut entrepris et commencé à la fois.
Pour favoriser
l'accroissement de la ville, les terrains non bâtis
furent livrés gratuitement à la spéculation des entreprises
particulières. Dans le même but intervint la loi du
20 pluviôse an XVI, qui exemptait de la contribution
foncière pendant quinze ans tous les édifices maisons
et dépendances qui seraient construits dans l'enceinte
de la ville. La Roche-sur-Yon prit alors le nom de Napoléon-Ville,
qu'elle conserva jusqu'en 1814, où un décret du comte
d'Artois, rendu le 25 avril, lui infligea le nom de
Bourbon-Vendée qu'elle porte encore, malgré trois réclamations
successives du département.
Bourbon-Vendée est située
agréablement sur une colline, dont la petite rivière
d'Yon baigne le pied. Au centre et sur le haut du plateau
se trouve la place Royale, carré long, spacieux, bordé
de plusieurs rangées d'arbres, entouré de monuments
publics et de beaux hôtels où aboutissent la plupart
des rues de la ville, ainsi que trois grandes routes
qui se croisent au centre. Les rues de la ville sont
larges et alignées, propres et formées de jolies maisons
; cependant plusieurs rues ne sont guère que tracées
elles abondent en cafés et en auberges, mais les établissements
industriels y sont rares.
Cette ville, dont on attribue
la fondation à une colonie de Basques ou d'Espagnols,
n'est pas fort ancienne ; elle fut assiégée et prise
par les calvinistes, commandés par Lauoue, en 1570.
La ville forme une presqu'île , qui ne tient au continent
que du côté de l'est ; elle consiste en trois ou quatre
rues presque parallèles entre elles et à la direction
de la côte; les rues sont fort longues, assez bien pavées
et toujours propres , parce que le pavé est établi sur
le sable de mer. On n'y compte qu'un ou deux édifices
publics, et fort peu de maisons particulières dignes
d'être remarquées; mais la ville est très intéressante
par son port et par les travaux maritimes qu'on y a
exécutés.
La partie méridionale est située en amphithéâtre
sur un coteau peu élevé, tandis que la partie septentrionale
est presque au niveau de la mer. Le quartier de la Chaume,
établi sur un rocher dont le plan est assez uni, forme
un faubourg séparé de la ville par le canal du port.
Le port des Sables, dans son état actuel, peut recevoir
des navires de cent cinquante à deux cents tonneaux.
Placé à la pointe la plus saillante de la côte, entre
l'ile d'Yeu et l'île de Ré, ce port, par sa position
topographique, par la direction de son chenal, par la
facilité de ses atterrages, par sa sureté intérieure,
forme le principal point de relâche de ces dangereux
parages, où un abri est si nécessaire aux nombreux caboteurs
qui naviguent entre Bordeaux, la Rochelle et Nantes.
De 1793 à 1814 , il a rendu d'immenses services à la
marine ; il n'était pas rare alors d'y voir réunis deux
ou trois cents bâtiments de commerce ou de transport;
deux frégates de l'État y ont même trouvé un refuge.
Des travaux ont été entrepris récemment pour l'amélioration
de ce port. Ils consistent dans la construction d'un
vaste bassin à flot établi sur la plage de la Cabaude,
avec écluses de chasse pour le nettoiement du chenal,
qui devra être approfondi, et dans le creusement et
l'élargissement du port d'échouage qui s'étend à l'est
de la ville.
L'entrée du port est défendue par des
batteries, et la ville par quelques ouvrages qui peuvent
la mettre à l’abri d’un coup de main.
Cette ville, agréablement située
sur la Vendée, qui commence en cet endroit à être navigable,
n'était autrefois qu'un hameau habité par des pêcheurs,
lorsque la mer couvrait une partie de la plaine. Elle
était anciennement fermée de murailles flanquées de
tours , et protégée par un château fondé par les comtes
de Portiers, qui y faisaient leur résidence, et dont
il ne reste plus que quelques vestiges. Dans le cours
des troublés civils qui désolèrent la France pendant
la moitié du XVI siècle, cette ville fut le théâtre
de plusieurs évènements militaires : Pluviant, chef
d'un parti de protestants, la prit en 1568 par capitulation,
ce qui ne l'empêcha pas d'en massacrer la garnison et
une partie des habitants. La Noue l'assiégea en 1570,
et elle se rendit à |Soubise. En 1574 , le duc de Montpensier
la prit par trahison et renchérit encore sur les cruautés
des protestants. Le dernier siège qu'elle eut à soutenir
fut celui de 1587 , commandé par Henri IV en personne.
Le cardinal de Bourbon, dont la Ligue avait voulu faire
un fantôme de roi sous le nom de Charles X, est mort
à Fontenay en 1590; on voit encore ses armoiries sur
les murs du sanctuaire de l'église St-Nicolas, où il
fut enterré.
Le 24 mai 1793, une colonne de l'armée
républicaine fut défaite sous les murs de Fontenay,
accablée par toutes les forces de l'armée vendéenne,
commandée par Bouchamps ; Lescure et la Rochejaquelin.
Pendant la révolution, cette ville a porté le nom
de Fontenay-le-Peuple.
On présume que Fontenay doit
son nom à une fontaine abondante d'eau minérale ferrugineuse,
Ornée d'une inscription latine qui l'annonce comme la
source des beaux esprits :
Pulchrorum Ingeniorum
Fons et Scaturigo.
Cette ville est située sur
le penchant d'un coteau, au milieu d'une plaine étroite
qui sépare le Marais du Bocage ; on y arrive par quatre
routes correspondant aux quatre points cardinaux : au
nord, celle de Saumur traverse le Bocage à travers les
sites les plus pittoresques ; au couchant, celle de
Nantes parcourt une immense plaine ; celle de la Rochelle,
au midi, communique avec les fertiles campagnes du Marais
; la quatrième, au levant, découvre au voyageur arrivant
de Niort la ville de Fontenay s'élevant en amphithéâtre,
avec ses toits presque plats et ses deux clochers gothiques.
Peu de villes offrent un aspect plus gracieux : à droite
et à gauche, des maisons propres et riantes couronnent
les hauteurs; au midi se trouve une place élevée, entourée
de beaux arbres, qui s'élève comme une île de verdure,
et d'où l'on jouit d'un agréable point de vue.
Montaigu-Vendée (Mons Acutus), Elle fut plusieurs fois assiégée pendant les guerres du XVIème siècle; mais ses plus grands malheurs datent des guerres de Vendée. En 1793, les Vendéens s'y étaient réfugiés après la défaite qu'ils avaient essuyée à Segré. Charette y fut attaqué par le gé¬néral Beysser qui le chassa de la ville et mit ses troupes en déroute. Cependant les Vendéens, qui attachaient beaucoup de prix à la posses¬sion de Montaigu, revinrent à la charge, et, secondés par Bonchamp, s'en emparèrent après des prodiges de valeur. La ville devint alors le théâtre du plus affreux carnage ; elle perdit les deux tiers de ses habitants et fut en partie brûlée. Montaigu est la patrie de Larévellière-Lépeaux, l’un des cinq membres du Directoire.
Un peu plus à l'ouest et toujours sur le territoire de la même commune, on voit les ruines de l'ancienne abbaye des Fontenelles, du milieu du cloître de laquelle jaillit une autre source ferrugi¬neuse qui est, dit-on, très efficace pour les maladies des organes digestifs, les engorgements lymphatiques el les maladies cutanées. L'abbaye des Fontenelles avait été fondée en 1210 par Guillaume de Mauléon, seigneur de Talmont, et Béatrix, son épouse, dame de Machecoul, Luçon et La Roche-sur-Yon, qui y avaient établi des reli¬gieux de l'ordre de Chancalade. « Béatrix, dit une légende locale, était une anthropophage qui, chaque jour, faisait servir sur sa table un petit enfant que ses gens enlevaient dans les environs de La Roche-sur-Yon. Son cuisinier, las d'apprêter ces horribles repas, s'avisa.de substituer aux enfants de petits chiens que Béatrix trouva délicieux. Instruite de cette heureuse fraude, au lieu de punir l'imprudent cuisinier, elle fit des réflexions amères sur sa barbarie, et le remords la conduisit dans la forêt de La Roche-sur-Yon, où elle passa le reste de sa vie, seule et enfermée dans une cellule étroite. Ce fut en expiation de sa cruauté envers les petits enfants qu'elle fonda et dota richement un couvent de moines. Le monastère des Fonte-nelles subsista jusqu'à la Révolution ; l'église appartient à l'époque de transition.