Carcassonne - Préfecture de l'Aude
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Carcassonne Sur les bords du fleuve Atax,
aujourd'hui l'Aude, existait autrefois un bourg également appelé
Atax. Les Atacins, qui l'habitaient, faisaient partie des Volces-Tectosages.
Cette ancienne ville n'existe plus aujourd'hui sous le même nom,
et il y a lieu de croire, dit le P. Bouges, que dans la suite elle
a été appelée Carcasso, lorsque les habitants du pays firent de
ce lieu le magasin ou l'arsenal de leurs armes, qui consistaient
alors en flèches et en carquois. Quant à la fondation de Carcassonne
par des Troyens fugitifs, ou, mieux que cela, par un des petits
fils de Noé quant à la prospérité de Carcassonne au temps où les
Hébreux sortirent d'Égypte, ce ne sont que des traces de cette unité
généalogique qui tient les peuples et les villes comme les individus.
On voyait au siècle dernier, sur la porte principale de la ville,
un bas-relief représentant le buste d’une grande femme vêtue en
amazone, et au-dessous on lisait ces deux mots « Carcas Sum »,
je suis Carcas. Voilà une excellente étymologie : de Carcas Sum
à Carcassom a été une des formes du nom qui nous occupe, il n'y
a qu'un pas. Qu'était donc cette Carcas ? Du temps que les Sarrasins
occupaient toute la Gaule Narbonnaise, Carcassonne était en leur
pouvoir. Charlemagne, qui avait résolu de les chasser au-delà des
Pyrénées, vint assiéger cette ville, et fut retenu devant ses murs
pendant cinq longues années. Cette résistance étonnante à l'invincible
empereur et à ses vaillants paladins était l'œuvre de notre héroïne,
de la dame Carcas, Sarrasine qui joignait au plus haut degré la
ruse au courage, comme on en peut juger. En effet, les vivres n'avaient
pu durer cinq ans, tous les habitants étaient morts, moins Carcas.
Cette femme extraordinaire n'en fut point découragée, mais elle
garnit les murs de mannequins armes, et, faisant le tour des remparts,
elle tirait des flèches sur les ennemis, étonnés de voir toujours
si nombreuse et si vigilante garnison. Comme elle voulait aussi
ôter à Charlemagne l'espérance de prendre la ville par la famine,
elle eut recours à une autre invention : elle fit manger un boisseau
de blé à un porc, et le précipita du haut des remparts ; naturellement,
le porc se brisa en pièces et son ventre gonflé creva. Quelle ne
fut pas la stupeur des assiégeants en voyant que dans cette place
on nourrissait les animaux de basse-cour avec le plus pur froment
cela supposait des provisions inépuisables. Charlemagne, en homme
sensé, abandonna un siège inutile, mais non sans se retourner pour
voir une dernière fois cette place, objet de tant de dépenses perdues.
0 merveille ! Une des tours s'incline et le salue depuis ce temps
elle s'appelle tour de Charlemagne, et l'on dit même qu'elle ne
s'est pas redressée de son salut. Cependant Carcas, satisfaite d'avoir
joué l'empereur d'Occident, le rappela, lui ouvrit les portes et
le reconnut pour son seigneur. Charlemagne, admirant ses stratagèmes
et son courage, voulut que la ville portât son nom et la fit appelée
Carcassonne.
Il est bien dommage que ce nom existait déjà du
temps des Romains.
Mais il faut que cette légende ait eu de la
consistance au moyen âge pour que la ville en ait placé le symbole
sur sa principale porte, comme un emblème d'écusson, à voir à tout
venant. Pas n'est besoin d'ajouter que le siège de cinq années par
Charlemagne et le reste est de l'histoire véridique à peu près comme
celle des quatre fils Aymon ou de Roland furieux.
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Carcassonne jouissait du droit latin, mais point encore du titre
de colonie à l'arrivée de César. Elle fournit à P. Crassus, lieutenant
du conquérant des Gaules, un corps de cavalerie servant sous ses
propres enseignes, ce qui indique qu'elle était à peu près indépendante.
Plus tard, en 282 après J.-C., elle érigeait à Numérien, fils de
l'empereur Carus, une colonne, trouvée en 1729 dans un champ à 4
kilomètres de la ville et portant cette inscription « Principi.
Inventutis. Numerio. Numeriano. Nobilissimo. Cæsari. N.M.P.I. »Pourtant
le P. Bouges est d'avis que les quatre dernières lettres doivent
être interprétées ainsi « Numeriani Milites poni Jusserunt »
; ce qui changerait l'origine de ce monument, et priverait les habitants
de l'honneur de l'avoir érigé eux-mêmes. D'ailleurs, comme le même
auteur la judicieusement remarqué, n'est-ce pas dans leur ville,
plutôt qu'à cette distance, qu'ils l'auraient placé ? Du moins avaient-ils
une curie, des magistrats municipaux. On est cependant surpris de
ne trouver aucun monument romain, sauf la colonne, dans une ville
qui parait avoir eu de l'importance. Il semblerait que sa décadence
a été rapide, puisqu'elle n'est mentionnée que comme un simple château
dans l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem.
Surprise en 426 par
les Wisigoths, perdue, puis reprise par eux en 430, Carcassonne
leur demeura jusqu'à l'invasion des Sarrasins, non sans contestation
pourtant. Clovis l'assiégea en 508 et fut obligé de lever le siège
à l'approche de Théodoric, le grand roi des Ostrogoths et le tuteur
du jeune roi des Wisigoths, Amalaric. Théodoric entra à Carcassonne
et retira de cette ville, si l'on en croit Procope, des trésors
considérables que les rois wisigoths y avaient entassés et qui méritent
bien l'attention, car il ne s'agit de rien moins que de meubles
ornés de pierreries et de vases d'or du poids de cent livres, qui
avaient servi à la décoration du temple de Jérusalem et du palais
de Salomon, et qui, transportés à Rome par Titus et Vespasien, en
avaient été enlevés par Alaric. Théodoric les emporta à Ravenne
pour les remettre à son petit-fils quand il serait en état de les
garder. D'après une tradition carcassonnaise, ces trésors avaient
été jetés dans un puits à la nouvelle de l'invasion de la Gaule
par Attila.
Carcassonne fut tranquille et prospère sous les
rois Visigoths, qui surent la défendre avec succès.
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En 585,
Gontran, roi de Bourgogne, la fit assiéger par son général Térenticole
; la ville ouvrit ses portes sans coup férir ; puis, se repentant
de cette lâcheté, elle chassa le vainqueur, qui périt sous ses murs.
Recared, qui arrivait avec une armée, acheva la destruction des
Burgondes. En 589, Didier, autre général de Gontran, tenta de la
reprendre, mais fut tué à son tour. Enfin Boson, troisième général
de Gontran, amena soixante mille hommes. Carcassonne succomba mais
l'armée des Wisigoths, campée près de là sur les bords de l'Aude,
au lieu où est aujourd'hui la ville basse, triompha de ces forces
supérieures au moyen d'une habile embuscade et les tailla en pièces.
Gontran renonça à prendre Carcassonne et fit la paix avec Recared.
En ce temps vivait Sergius, le premier évêque de Carcassonne
dont on ait des preuves authentiques, et qui assista au troisième
concile de Tolède (589). Ses successeurs sont peu connus. Ou distingue
pourtant parmi eux, mais sans pouvoir fixer l'époque de leur existence,
plusieurs saints personnages, entre autres saint Stapin, en l'honneur
duquel de nombreuses chapelles s'élevèrent dans le diocèse de Carcassonne
et dont le nom était révéré même au-delà des limites de ce diocèse.
Saint Stapin était particulièrement invoqué par les goutteux qui
désiraient guérir.
L'empire des Wisigoths ayant été renversé,
Carcassonne vit paraître les Sarrasins. Tremblante à la vue du terrible
châtiment infligé à la résistance de Narbonne, elle ouvrit ses portes
à l'émir Zameh et fut tout étonnée de la clémence de ce vainqueur
qui épargna les habitants, leur laissa leur religion, leurs lois,
leurs coutumes et se contenta d'un tribut (719). Les Carcassonnais
se révoltèrent néanmoins et soutinrent un siège opiniâtre contre
Ambiza, en 725. Pris d'assaut, ils se croyaient bien cette fois
sous le coup d'une vengeance effrayante il n'en fut rien Ambiza
leur fit le même sort que Zameh leur avait fait. Qui sait si la
mansuétude des enfants de Mahomet n'eût point affermi leur domination
dans la Septimanie aussi bien que dans l'Espagne, sans cette invincible
puissance catholique des Francs, qui veillait des bords de la Seine
à ce qu'aucune cité de la Gaule ne restât aux mains des infidèles
?
Carcassonne ouvrit ses portes à Pépin le Bref, en 752, il
est vrai que le duc d'Aquitaine, Eudes, l'avait déjà reprise.
En ce siècle furent fondés plusieurs monastères aux environs de
Carcassonne. Du temps de la domination arabe, quelques Carcassonnais,
voulant échapper au joug des infidèles, s'étaient retirés dans une
forêt qui couvrait les rives de l'Orbiel et y avaient dédié une
chapelle à la Vierge. Cette chapelle, appelée d'abord Notre-Dame
d'Orbiel, devint plus tard, par la libéralité de plusieurs seigneurs
puissants, l'importante abbaye de la Grasse. La confirmation que
Charlemagne fit de ces donations l'a fait considérer comme le fondateur
de ce monastère, qui alla toujours, de siècle en siècle, faisant
de nouvelles acquisitions et qui subsista sous la règle de Saint-Benoît
jusqu'à la Révolution.
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L'abbaye de Saint-Hilaire, d'abord dédiée
à saint Saturnin, sur la rivière de Lauquet, prit naissance dans
le même temps que la précédente et ne fit pas une moins belle fortune.
Louis le Débonnaire lui confirma ses premières acquisitions. Les
comtes de Carcassonne surtout prirent soin de l'enrichir. Le comte
Roger étant demeuré vainqueur, en 977, d'Oliba Cabreta, comte de
Cerdagne, qui avait envahi ses terres, donna au monastère des domaines
considérables, en exécution d'un vœu qu'il avait formé.
Un autre
monastère du même temps est celui de Montolieu, fondé au IXème
siècle auprès du château de Malaste, dont il porta d'abord le nom
et qui plus tard prit celui de Montolieu, à cause des collines couvertes
d'oliviers qui l'environnaient. La règle de Saint-Benoît y avait
été établie, et Louis le Débonnaire l'avait gratifié de biens considérables.
Les Carcassonnais ne furent pas toujours heureux sous leurs comtes
particuliers. En 1104, ils chassèrent de leurs murs, avec le secours
des troupes du comte de Barcelone, leur seigneur Bernard-Aton, qui
les avait, à ce qu'il parait, accablés d'impôts, d'amendes, de confiscations,
sans épargner l’Église. Bernard rentra en 1110, par un accommodement,
au mépris duquel son fils Roger fit subir aux habitants les plus
cruels supplices, emprisonnant, faisant crever les yeux, couper
les oreilles, le nez, même les mâchoires. Si de telles horreurs
sont vraies, les Carcassonnais eurent bien raison de se révolter
jusqu'à quatre fois contre Bernard et de le chasser de nouveau en
1120. Il revint assiéger leur ville et la trouva défendue par des
hommes déterminés à tout prix à ne plus le recevoir. Il fut réduit
à convertir le siège en un blocus qui dura trois ans, et ce n'est
que par l'intervention de l'évêque de Carcassonne et du comte de
Barcelone qu'il obtint de rentrer enfin dans la ville en promettant
l'abolition des impôts excessifs. Pour se créer des partisans et
des gardiens vigilants de ses intérêts dans la cité, il donna en
fief, à seize des gentilshommes qui l'avaient le mieux servi, les
maisons des plus compromis, parmi les rebelles, à la charge d'y
résider, eux et leurs vassaux, les uns huit, les autres quatre mois
chaque année et d'y faire le guet assidûment le jour et la nuit.
Ces gentilshommes furent d'abord appelés Châtelains. Plus tard,
saint Louis ayant porté cette garnison à deux cent vingt hommes,
recrutés parmi les habitants, ces nouveaux soldats furent payés
et désignés sous le nom de Morte-Payes. Cette milice bourgeoise
subsista jusqu'au XVIIIème siècle, exempte d'impôts et
chargée de garder la ville.
Les vicomtes de Carcassonne semblèrent
dès lors vouloir réparer leurs anciens torts envers leurs sujets.
Ils leur donnèrent des franchises, des foires, qui attirèrent un
grand commerce, des règlements commerciaux établissant les rapports
des créanciers et des débiteurs admettant la caution, la transaction
devant un conseil de prud'hommes, en un mot introduisant dans la
procédure cette modération et ces sages tempéraments qui ont civilisé
le commerce moderne. En 1185, Roger II autorisa les Carcassonnais
à construire un pont sur l'Aude, et bientôt il les exempta du péage
qu'il y avait d'abord établi. Les coutumes de Carcassonne, tout
à fait semblables à celles de Montpellier, furent rédigées au commencement
du XIIIème siècle.
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Cependant, à côté de cette prospérité,
grandissait l'hérésie dans Carcassonne. Lorsque, en 1167, Niquinta,
le pape des Albigeois, convoqua dans le Lauraguais les représentants
de toutes les Églises hérétiques, Carcassonne envoya le sien, et
Niquinta lui donna pour évêque Gérard Mercier, auquel il assigna
comme circonscription tout l'archevêché de Narbonne. Les légats
se présentèrent et furent peu écoutés ; les Carcassonnais en furent
punis par le ciel, d'après le récit de Pierre de Vaulx-Cernay, car,
s'étant mis peu de jours après à faire la moisson, ils s'aperçurent
que les épis versaient du sang. Si le ciel se contenta d'aussi doux
châtiments, l'historien catholique eût dû maudire les croisés, lorsqu'ils
arrivèrent noyant la terre du Languedoc non plus du sang des épis,
mais du sang des hommes égorgés. Enivrés de meurtres dans Béziers,
ils se présentèrent, le 1er août 1209, devant Carcassonne,
où s'était l'enfermé le vicomte Roger avec les populations des campagnes
voisines. Carcassonne était très forte ; située sur une montagne
escarpée, elle était plus formidable encore qu'au temps où les rois
wisigoths s'y réfugiaient avec leurs trésors. Les faubourgs s'étendaient
au-dessous sur les flancs de la montagne. Elle se défendit d'abord
avec courage, électrisée par la valeur de Roger Trancavel. Mais
l'eau et les vivres étant venus à manquer, et le vicomte, qui s'était
rendu au camp, ayant été retenu prisonnier contre la foi du serment,
les habitants décidèrent en commun qu'il fallait quitter la ville,
ce qu'ils firent par une avenue souterraine qui aboutissait aux
tours de Cabardès, à trois lieues de là les uns allèrent en Espagne,
les autres du côté de Toulouse. Les croisés, qui se promettaient
à Carcassonne les mêmes plaisirs qu'à Béziers, furent fort irrités
de cette escapade. Un historien dit qu'on leur permit d'évacuer
la ville, à la condition qu'ils n'emporteraient avec eux que la
chemise et les braies (culottes) qu'ils avaient sur le corps. Pour
s'en dédommager, ils ramassèrent par la campagne de quoi ganir quelques
bûchers et quelques potences ; quatre ou cinq cents rustres, plus
ou moins bienpensants, furent pendus ou brulés. Le vicomte Roger
fut enfermé dans une tour de son propre château et mourut bientôt
après, empoisonné, dit-on, dans sa prison.
Carcassonne, soumise
à Simon de Montfort, reçut dans son château le sénéchal, dans une
de ses maisons le juge mage, sorte de lieutenant du sénéchal pour
les affaires civiles, sans compter un autre lieutenant pour le criminel
et un procureur du roi. Si bien gardée par les officiers royaux,
elle n'avait guère de chances de s'affranchir. En 1240 pourtant,
les faubourgs, travaillés par des émissaires albigeois, se livrèrent
volontairement à Raymond Trancavel. Ce malheureux seigneur, dépouillé,
poussa vivement le siège de la ville ; maître des maisons voisines
du mur de la place, il fit pratiquer des mines; les assiégés, il
est vrai, avertis par le bruit des travailleurs, pratiquèrent des
contre-mines par où ils firent pleuvoir sur les assaillants le soufre,
la chaux, l'huile bouillante; néanmoins, la brèche était déjà ouverte,
et la ville tombait au pouvoir de Trancavel sans le secours que
saint Louis envoya sur ces entrefaites.
Le comte de Beaumont,
qui commandait les troupes du roi, rasa de fond en comble les beaux
faubourgs de la ville, afin de punir les habitants et de dégager
les abords de la place. La plupart des fugitifs passèrent en Espagne
; les autres, au bout de sept ans et à la sollicitation de l'évêque,
qui avait perdu à la destruction des faubourgs une partie de ses
revenus, obtinrent du roi la permission de s'établir sur une place
unie de l'autre côté de l’Aude. Là s'éleva la ville basse, qui est
aujourd'hui infiniment plus importante que la ville haute.
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Philippe
le Hardi, Philippe le Bel s'arrêtèrent plusieurs fois à Carcassonne.
Le second y fit cesser, par ses sages mesures, les rigueurs de l'inquisition,
qui soulevaient les habitants. Il faut dire qu'à peine la ville
basse commençait-elle à s'élever que, par crainte sans doute d'y
laisser germer les doctrines albigeoises, les moines s'y abattirent
par essaims, et l’on vit surgir des couvents de cordeliers, de jacobins,
de carmes, etc. Il arriva pourtant que, en 1305, les habitants de
la ville basse formèrent le complot de se révolter contre Philippe
et de supprimer tout à fait l'inquisition. Les consuls du bourg
(ainsi appelait-on la ville basse) étaient à la tête, et, de leur
part, frère Bernard Délicieux, cordelier, ennemi de l'inquisition,
se rendit auprès du roi d'Aragon pour lui demander ses secours.
Ferdinand les promit. Exaltés par cette espérance, les consuls voulurent
tout de suite entamer l'entreprise et surprendre la cité qui eût
pu devenir un obstacle sérieux. Ils organisèrent une procession
qui devait aller faire une station à la cathédrale et donnèrent
l'ordre secret à tous ceux qui en feraient partie de cacher des
épées dans de la cire en forme de cierges ; dès qu'on serait dans
la cité, on égorgerait la garde et l'on s'emparerait des portes.
Ce complot fut découvert, et les huit consuls, déclarés coupables
de lèse-majesté, furent, dans leurs robes consulaires, traînés par
terre jusqu'à la potence, pendus et leurs biens confisqués. Le consulat
fut quelque temps supprimé frère Délicieux fut dégradé et mis au
pain et à l'eau dans une prison pour le reste de ses jours. Il était
le chef d'une secte dissidente de l'ordre de Saint-François, celle
des spirituels, assez semblables aux Fraticielles, et qui donnèrent
dans ce siècle beaucoup d'occupation aux inquisiteurs de Carcassonne.
Philippe de Valois fit fortifier la ville basse, ce qui n'empêcha
point le prince Noir de la prendre et de la livrer aux flammes.
Quant à la ville haute, le prince anglais n'osa pas s'y heurter.
C'est à Carcassonne que s'assemblèrent, en 1358, les états de Languedoc,
lesquels envoyèrent au roi Jean, captif à Londres, huit commissaires
chargés de lui offrir « les corps, les biens et les familles de
tous les habitants de la province pour sa délivrance. » La ville
basse fut relevée, et ses consuls confirmés dans leurs privilèges.
L'importance de Carcassonne comme place de guerre était alors fort
appréciée. Le duc d'Anjou, accordant divers privilèges et franchises
aux sergents et aux habitants, l'appelle « le chef, la maitresse
et la clef de la Languedoc et la chère chambre du roi ». Le
commandant de la place portait alors le titre de connétable. Elle
contenait en outre un dépôt d'artillerie royale, c'est-à-dire des
engins et machines en usage à cette époque.
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Dès le commencement
duXIVème siècle, Carcassonne comptait 1,213 feux taillables
et 800 feux de pauvres francs de taille, plus 43 notaires, 9 médecins,
15 avocats, 40 sergents 19 prêtres, 250 clercs, 12 familles de Lombards
et 30 de juifs.
Philippe le Bel, en 1310, autorisa la tenue
d'un marché hebdomadaire et de deux foires annuelles sur la grande
place carrée ou place Royale, ménagée au milieu de la ville basse
lors de sa construction. Il y ajouta d'autres mesures favorables
l'industrie. Au reste, le grand nombre de notaires, d'avocats, de
Lombards, de juifs, atteste un grand mouvement d'affaires. Carcassonne
était une des huit villes du Languedoc où les juifs avaient des
synagogues, des cimetières et des boucheries réservés. Ils payaient
une taxe séparée dont ils faisaient eux-mêmes la perception dans
toute la sénéchaussée. En 1288, les clercs royaux les avaient placés
sous la juridiction d'un juge particulier chargé de leur assurer
pleine justice « ut eis super eorum negotiis faciat debitæ justicæ
complementum »; on reconnaît le gouvernement de Philippe le
Bel.
En 1302, il amortit un terrain pour agrandir leur cimetière.
Ces juifs de Carcassonne fournirent au XIVème siècle
plusieurs médecins et chirurgiens habiles et de grand renom.
Le règne de Charles VI fut un temps fâcheux pour Carcassonne, principalement
à cause des pillages du duc de Berry, oncle du roi, dans tout le
Languedoc. En 1414, le maréchal de Boucicaut, capitaine général
dans cette province, eut à comprimer un soulèvement des Carcassonnais,
qui refusaient de payer le subside contre les Anglais. Il fit couper
la tête à quatre des plus compromis et retira aux consuls leurs
clefs et leurs chaines. Rattachée de force à la cause du gouvernement
du roi, Carcassonne résista d'abord aux tentatives du dauphin Charles.
En 1421, pourtant, les états de Languedoc, réunis dans la ville
basse, lui offrirent une aide de 200,000 francs, « A cause de
son joyeux avènement dans le païs ».
Carcassonne fit sous
Louis XI, en 1467, un mouvement populaire ; le parlement de Toulouse,
qui s'avisa de le soutenir, fut transporté à Montpellier. L'affaire
n'eut pas d'autres suites. Au XVIème, siècle, Carcassonne
vit plusieurs fois dans ses murs François Ier et sa brillante
cour; Henri Il la dota d'un présidial. Le calvinisme y pénétra dès
1551, et, en 1560, les calvinistes de la ville eurent l'imprudence
d'arracher de sa niche une statue de la Vierge et de la trainer
dans la rue. La grande majorité des habitants, très catholique,
se vengea peu de jours après, pendant la procession qui se faisait
pour aller replacer la statue exalté par la fureur religieuse, ce
peuple méridional courut aux armes, égorgea dans les rues tous les
calvinistes et pilla leurs maisons. Une scène du même genre eut
lieu à l'occasion de l'édit de janvier 1552, les commissaires royaux
avaient assigné aux protestants, comme lieu de réunion, l'hôpital
des pestiférés, situé à l'extrémité de la ville et près du pont;
le 15 mars, revenant du prêche, les calvinistes trouvèrent les portes
fermées, les canons braqués et furent assaillis par les balles.
Repoussés également du pont, par où ils tentaient de s'enfuir, ils
périrent presque tous, tués par les projectiles ou noyés dans la
rivière. Charles IX supprima le prêche de Carcassonne.
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En 1565,
il vint dans la ville, et les consuls lui en offrirent un plan en
argent, pesant treize marcs.
Une population si passionnée contre
le calvinisme ne manqua pas d'adhérer à la Ligue (1577), et Scipion
de Joyeuse, ayant séduit les mortes-payes, s'introduisit dans la
cité. La ville basse restait aux royalistes. Henri III, de son camp
de Beaugency, ordonna l'érection d'un parlement à Carcassonne sa
mort étant survenue, Henri IV transféra à Carcassonne le parlement
de Toulouse. Ce fut la cause indirecte de l'expulsion des royalistes,
le juge mage, irrité de se voir éclipsé par le président du parlement,
ouvrit la ville basse aux ligueurs en 1591. C'est seulement en 1596,
à la paix de Folembray, que Carcassonne rentra sous l'autorité royale;
encore Henri de Joyeuse eut-il soin de se réserver, dans son traité
secret, la capitainerie de la cité et du château de Carcassonne.
On devine aisément que Carcassonne ne prêta aucun appui, en 1621,
au duc de Rohan, chef des protestants révoltés; elle se prononça
également, onze ans plus tard, contre le duc de Montmorency, ce
qui lui valut l'affection de Richelieu.
Ce fut surtout le gouvernement
de Louis XIV qui favorisa Carcassonne en protégeant sa plus importante
industrie, celle des draps. Cette industrie datait du moyen âge
et donnait lieu à une exportation sur presque tout le littoral de
la Méditerranée. Saint Louis lui ouvrit tous les débouchés possibles
lorsqu'il étendit aux peuples de la sénéchaussée de Carcassonne
le privilège dont jouissaient déjà ceux de la sénéchaussée de Beaucaire,
à savoir de trafiquer partout, même avec les Sarrasins, excepté
en cas de guerre (1254). Philippe le Bel, fixant son attention sur
l'industrie des draps, défendit la sortie des laines et des bêtes
à cornes du pays par une ordonnance, que Philippe le Long confirma
en 1317.
Les Carcassonnais rencontrèrent dans le Levant la concurrence
des draps anglais et hollandais. La lutte parait s'être engagée
sérieusement au XVème siècle. Les Anglais et les Hollandais
donnèrent leurs draps à perte ; les Carcassonnais, ne pouvant faire
les mêmes sacrifices, altérèrent la qualité des leurs, afin de pouvoir
baisser aussi leurs prix. Ce fut une mesure fâcheuse, qui décria
les fabriques de Carcassonne dans le Levant et laissa pour longtemps
ce commerce aux Anglais et aux Hollandais.
Vers 1570, les sieurs
de Saptès essayèrent de relever la fabrique de Carcassonne et firent
confectionner à une lieue de là au lieu appelé les Saptès, des draps
fins semblables à ceux de Hollande. Environ cent ans après, le sieur
de Varennes s'empara de cet établissement, y introduisit les procédés
hollandais, qu'il avait été étudier dans le pays même, et enfin
fit embaucher par ses' émissaires des ouvriers de Hollande, qu'il
établit aux Saptès. Alors on fabriqua en cet endroit, non seulement
les draps fins en usage en Europe mais encore ceux dont on se servait
dans les États du Grand Seigneur ; les mahons, les londrins, etc.
Colbert favorisa puissamment l'entreprise de Varennes, qui lui offrait
un moyen de contrarier le commerce des Hollandais, de se procurer
les soies du Levant par voie d'échange, sans faire sortir d'argent
du royaume, afin de donner des ressources au pays de Carcassonne,
assez stérile et pauvre en produits. L'affaire ne marcha pas pourtant
facilement les recouvrements se faisaient attendre trois années,
cause de l'éloignement du débouché et de la difficulté du débit.
Le sieur de Varennes pas en état de porter seul le fardeau. Alors
se forma, par les soins du sieur Pennautier, une compagnie qui se
chargea de prendre 300 pièces de draps fins londrins, de les payer
à Varennes à mesure qu'ils seraient fabriqués et de les débiter
dans le Levant. Les Hollandais baissèrent leurs prix ; la compagnie
fit de même, se gardant bien d'altérer les produits, ce qui avait
ruiné l'ancien commerce carcassonnais. Ce furent cette fois les
Hollandais qui se lassèrent les premiers et qui recoururent à ce
procédé toujours funeste après sept années de pertes, ils diminuèrent
la qualité dc leurs draps. C'était le triomphe de Carcassonne les
draps hollandais tombèrent dans le décri ; ceux de Carcassonne demeurèrent
maitres du Levant. L'intelligence du gouvernement de Colbert était
pour beaucoup dans ce succès; vers 1678, le roi, par son conseil,
fit prêter 130,000 livres sans intérêt, pour trois années, à la
fabrique des Saptès et à celle de Clermont, en Languedoc, récemment
fondée, et il fit donner par la province une pistole de gratification
pour chaque pièce de drap fin qui s'y fabriquerait. Nous n'énumérerons
pas toutes les fabriques qui s'ajoutèrent à celles-là. « La plus
grande et la plus considérable, dit le P. Bouges, est celle de la
ville de Carcassonne, car cette ville n'est à proprement parler
qu'une manufacture de toutes sortes de draps. Les gros marchands
y font travailler un certain nombre d'ouvriers et de familles qui
leur sont attachés ; ainsi tous les habitants y sont occupés, les
uns à filer, les autres à carder, et à tout le reste, ce qui les
fait subsister commodément. Les habitants de Carcassonne.ne sont
pas les seuls occupés à ces fabriques ; ce travail se répand aux
paroisses voisines et au-delà, et tout le diocèse s'en ressent.
Les draps destinés pour le Levant n'occupent pas seuls cette manufacture
; on y fait encore des draps fins pour le royaume et des grossiers
qu'on envoie en Allemagne, en Flandre, en Suisse, à Gênes, en Sicile,
à Malte, etc. »
. Carcassonne, où les états de Languedoc s'étaient
réunis vingt-six fois sous l'ancien régime, ne perdit rien sous
le nouveau. Elle garda son siège épiscopal et fut érigée, en 1800,
en chef-lieu du département de l'Aude.
Elle a conservé, dans
la cité, le Château, flanqué de tours du XIIIème siècle;
l'église Saint-Nazaire (monument historique). Elle a conservé aussi
les imposantes fortifications du moyen âge, si bien étudiés et décrites
et restaurées par Viollet le- Duc, qui enveloppent dans leurs flancs
épais la vieille et noire cité.
Sauvée de la destruction par
l'action et la ténacité de l'archéologue Jean-Pierre Cros-Mayrevieille,
puis restaurée au XIXÈME siècle de manière parfois controversée
sous la direction de Viollet-le-Duc puis de Boeswillwald, la Cité
de Carcassonne est, depuis 1997, classée au patrimoine mondial de
l'UNESCO. Le château comtal, les fortifications, et les tours appartiennent
à l'État et sont gérés par le centre des monuments nationaux, tandis
que les lices et le reste de la Cité font partie du domaine municipal.
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