La Corse
Paysage de l'Ile de Beauté - Vincent de Roses
Ajaccio ! Ajaccio ! Cette fois, nous
arrivons ! Subitement guéri, je saute à bas de ma couchette,
gagne l’escalier et monte sur le pont ; l’air vif me ranime.
Ajaccio, c’est une muraille de hautes montagnes, d’arabesques
violentes de granit, dominée par des neiges, on dirait éternelle
; la silhouette de la Corse, ainsi apparu dans le soleil
levant, est hautaine et sombre ; c’est comme la proue immobile
et géante d’un monumentale vaisseau de granit ; mais, au-dessus
des premiers contrefort, les cimes du Monte d’Oro et de
l’Incudine, resplendissent, éblouissante ; une lumière d’Afrique
les embrase et, sous le vif argent de leurs neiges incendiées,
les collines descendent délicieusement bleutées, estompées
de forêts de sapins, avec de grands pans d’ombre et de reliefs,
tout en clartés violettes, et cela jusqu’au golfe d’un bleu
léger de soie peint sur velours !
Comme un écran de nacre
incandescente, le Monte d’Oro et les sommets de l’Incudine
dominent et emplissent tout le fond de la baie du pétillement
givré et de l’éclat de leur crêtes. Et dire que c’est de
ces montagnes que s’est élancé le vol énorme et formidable
de l’Aigle impérial !
Jean Lorrain
Extrait de Heures de Corses