Le Nord
Givet - Vincent de Roses
Autour des bâtiments, le carreau
s'étendait, et il ne se l'imaginait pas si large, chargé
en un lac d'encre par les vagues montantes du stock de charbon,
hérissé de hauts chevalets qui portaient les rails des passerelles,
encombré dans un coin de la provision des bois pareille
à la moisson d'une forêts fauchée. Vers la droite, le terri
barrait la vue, colossal comme une barricade de géants,
déjà couvert de l'herbe dans sa partie ancienne, consumé
à l'autre bout par un feu intérieur qui brulait depuis un
ans, avec une fumée épaisse, en laissant à la surface, au
milieu du gris blafard des schistes et des grès, de longues
trainées de rouille sanglante. Puis, les champs se déroulaient,
des champs sans fin de blé et de betteraves, nus à cette
époque de l'année, des marais aux végétations dures coupés
de quelques saules rabougris, des prairies lointaines, que
séparaient des files maigres de, de petites taches blanches
indiquaient des villes, Marchiennes au sud, Montsou au midi;
tandis que la forêt de Vandame à l'est, bordait l'horizon
de la ligne violâtre de ses arbres dépouillés. Et sous le
ciel livide, dans ce jour bas de cet après midi d'hiver,
il semblait que tout le noir de Voreux, toute la poussière
volante de la houille se fut abattue sur le plaine, poudrant
les arbres, sablant les routes, ensemençant la terre.
Ce qui le surprenait surtout, c'était un canal, la rivière
de la Scarpe canalisée, qu'il n'avait pas vu dans la nuit.
De Voreux à Marchiennes, ce canal allait droit, un ruban
d'argent mat de deux lieue, une avenue bordée de grands
arbres, élevée au dessus des bas terrains, filant à l'infini
avec la perspective de ses berges vertes, de son eau pâle
où glissait l'arrière vermillonné des péniches. Près de
la fosse, il y avait un embarcadère, des bateaux amarrées,
que les berlines des passerelles emplissaient directement.
Ensuite, le canal faisait un coude, coupant de biais les
marais; et toute l'âme de cette de cette grande plaine rase
paraissait être là, dans cette eau géométrique qui la traversait
comme une grand routes , charriant la houille et le fer.
Emile Zola
Germinal