Haute Normandie
Paysage Normand - Vincent de Roses
Le bateau était couvert de monde.
La traversée s'annonçant fort belle, les Havraises allaient
faire un tour à Trouville.
On détacha les amarres ; un
dernier coup de sifflet annonça le départ, et, aussitôt,
un frémissement secoua le corps entier du navire, tandis
qu'on entendait, le long de ses flancs, un bruit d'eau remuée.
Les roues tournèrent quelques secondes, s'arrêtèrent, repartirent
doucement ; puis le capitaine, debout sur sa passerelle,
ayant crié par le porte-voix qui descend dans les profondeurs
de la machine : "En route !" elles se mirent à battre la
mer avec rapidité.
Nous filions le long de la jetée,
couverte de monde. Des gens sur le bateau agitaient leurs
mouchoirs, comme s'ils partaient pour l'Amérique, et les
amis restés à terre répondaient de la même façon.
Le
grand soleil de juillet tombait sur les ombrelles rouges,
sur les toilettes claires, sur les visages joyeux, sur l'Océan
à peine remué par des ondulations. Quand on fut sorti du
port, le petit bâtiment fit une courbe rapide, dirigeant
son nez pointu sur la côte lointaine entrevue à travers
la brume matinale.
A notre gauche s'ouvrait l'embouchure
de la Seine, large de vingt kilomètres. De place en place
les grosses bouées indiquaient les bancs de sable, et on
reconnaissait au loin les eaux douces et bourbeuses du fleuve
qui, ne se mêlant point à l'eau salée, dessinaient de grands
rubans jaunes à travers l'immense nappe verte et pure de
la pleine mer.
Guy de Maupassant
Extrait de Découverte