Le Limousin

Devant la première pente du Massif Central, la locomotive soufflait. Puis on cria le nom de la première gare limousine et soudain, ce département que j'avais quitté à deux ans et que je croyais ignorer me reçu comme un enfant. Mon père l'avait habité toute sa jeunesse, tous les noms propres que l'on prononçait chez moi avec amour et respect étaient pris dans les almanachs, les annuaires, les journaux du pays, et jamais noms n'avaient contenu pour moi plus de nostalgie. Dès le sud de Châteauroux tous les bourgs dont je ne connaissais seulement par mon père les dates de foires, et de frairies sortirent pour une si belle rencontre de leur réserve fixée par le préfet, et Eygurande, de son premier jeudi mensuel, Saint-Sébastien de son troisième mardi, La Souterraine de son deuxième vendredi et son 28 févier des années bissextiles, vinrent me saluer jusqu'au quai. Gargilesse, Crozant, par un seul de ces bourg dont je ne connusse exactement à quel jour et à quelle saison se produisait vers lui la migration des génisses, des dindons et des poulains. (...) J'entrais dans le pays le plus légendaire pour moi après celui de Gulliver, mais où les hommes avaient ma taille et où le train passait.

Jean Giraudoux
Siegfried et le Limousin