Basse Normandie
Manoir en Normandie - Vincent de Roses
De Dieppe au Havre, la côte présente
une falaise ininterrompue, haute de cent mètres environ,
et droite comme une muraille. De place en place, cette grande
ligne de rochers blancs s’abaisse brusquement, et une petite
vallée étroite, aux pentes rapides couvertes de gazon ars
et de joncs marins, descend du plateau cultivé vers une
plage de galets où elle aboutit par un ravin semblable au
lit d’un torrent.
Jusqu’à l’horizon, le ciel est bleu.
Les fermes normandes semées par la plaine semblent , de
loin, de petits bois, enfermées dans leur ceinture de hêtres
élancés. De près, quand on ouvre une barrière vermoulue,
on croit voir un jardin géant, car tous les antiques pommiers,
osseux comme les paysans sont en fleur.
Quand le soir
vient, tous les pêcheurs arrivent à la même heure. Longtemps,
ils tournent autour des grosses barques échouées, pareilles
à de lourds poissons morts ; ils mettent dedans leurs filets,
un pain, un pot de beurre, un verre, puis ils poussent vers
l’eau la masse qui , se balance, ouvre ses ailes et disparaît
dans la nuit, avec un petit feu au bout du mât.
A Vire,
il es midi, la famille dine à l’ombre du poirier planté
devant la porte : le père, la mère, les quatre enfants.
On ne parle guère. On mange la soupe, puis on découvre le
plat de fricot plein de pommes de terre et de lard.
Dans la ferme, la cuisine enfumée était haute et vaste.
Les cuivres et les faïences brillaient, éclairés par les
reflets de l’âtre. Un chat dormait sur une chaise ; un chien
dormait sous une table. On sentait, là-dedans, le lait,
la pomme, la fumée, et cette odeur innommable des vieilles
maisons paysannes, odeur de sol, des murs, des meubles,
odeur des bêtes et des gens mélées, des choses et des êtres,
odeurs du temps, du temps passée.
Guy de Maupassant
Extrait de Boule-de-Suif