Les Pyrénées
Les Pyrénées - Vincent de Roses
Le marbre affleure jusqu’à l’endroit
où commencent les champs, et les blocs que l’érosion détache
de ses veines roulent jusque sous le soc du laboureur ;
c’est la griotte, en réalité rouge sang et non cerise ;
c’est le baudéon, noir veiné de blanc ; c’est le sarrancolin
grisâtre… Pour construire les petites fromageries isolées
dans les pâturages du pays bigordan, on mêlait les moellons
d’un marbre presque blanc à des blocs de schiste couleur
d’ardoise, un peu comme la Renaissance italienne le faisait
dans ses monuments. C’était là moins l’impression d’un souci
esthétique que le besoin de marquer la présence de l’homme,
celle du troupeau, l’existence d’une propriété qui serait
restée non située, abstraite, au milieu de ces espaces déserts,
de ces prairies vallonnées à l’infini et boisées par endroit,
où l’ombre, celle de la montagne et, bientôt, celle du soir,
tend à tout confondre, à tout effacer.
Les toits d’ardoises
des habitations, singularité de cette région méridionale
au nord de la quelle règne pleinement la tuile romaine,
apportent dans le paysage, une notre sombre que la couleur
des murs, peint d’un lait de chaux d’un blanc cru, essaie
de compenser. Image de la dualité de cette région où le
roc colossal, acéré, souvent couleur de fer, et les terres
ocres et chaudes, ensoleillées, où se prolonge la fertilité
des plaines de la Gascogne, voisine étroitement.
les
eaux vives, si nombreuses ici, gardent la pureté et, en
même temps, la dureté qu’on peut attendre d’une eau issue
d’un glacier, qui coule d’abord sur du marbre. En fait,
elle dévale plus qu’elle ne coulent ou ne court, saute de
cascade en cascade. Le gave pyrénéen n’a pas d’équivalent
dans les autres massifs montagneux. plus impétueux que tout
autre torrent, il lui est arrivé souvent de changer de cours
; ses lits secs et pierreux, au milieu des prairie, le rappelle
; ses crues sont soudaine et dévastatrices ; bruyant, il
fait, par contraste, ressortir la paix des vertes vallées,
où il n’a pas encore ralenti son allure ni perdu l’effervescence
qui blanchit son courant, alors que déjà les peupliers et
les aunes d’une Arcadie le bordent.
Pierre Gascar